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Ce que je n'ai pu faire avec toutes mes voix,
Quoique j'aie eu pour moi jusqu'à celle des rois,
Quoique toute leur cour, de mes douceurs charmée,
Ait par-delà mes vœux enflé ma renommée;
Un coup d'œil le va faire, et ton art plus charmant
Pour un si grand effet ne veut qu'un seul moment.
Je vois, je vois déja dans ton académie,
Par de royales mains en ces lieux affermie,
Tes Zeuxis renaissants, tes Apelles nouveaux,
Étaler à l'envi des chefs-d'œuvre si beaux,
Qu'un violent amour pour des choses si rares
Transforme en généreux les cœurs les plus avares;
Et, les précipitant à d'inouïs efforts,
Fait dérouiller les clefs des plus secrets trésors.
Je les vois s'effacer ces chefs-d'œuvres antiques,
Dont jadis les seuls rois, les seules républiques,
Les seuls peuples entiers pouvoient faire le prix,
Et pour qui l'on traitoit les talents de mépris :
Je vois le Potosi te venir rendre hommage,
Je vois se déborder le Pactole et le Tage,
Je les vois à grands flots se répandre sur toi.
N'accusons plus le siècle; enfin je la revoi,
Je la revois enfin cette belle inconnue,
Et par toi rappelée, et pour toi revenue.
Oui, désormais le siècle a tout son ornement,
Puisqu'enfin tu lui rends en cet heureux moment
Cette haute vertu, cette illustre bannie,
Cette source de gloire en torrents infinie,
Cette reine des cœurs, cette divinité :
J'ai retrouvé son nom, la Libéralité.

Xxx.
SONNET

SUR LA CONTESTATION

ENTRE

LE SONNET D'URANIE ET CELUI DE JOB 2.

Demeurez en repos, frondeurs et mazarins,

▲ Recueil de Sercy; Paris, 1660, tome 1, page 438.

2 Voyez l'histoire de cette contestation dans les Mémoires de Littérature, impri

Vous ne méritez pas de partager la France;
Laissez-en tout l'honneur aux partis d'importance
Qui mettent sur les rangs de plus nobles mutins.

Nos Uranins ligués contre nos Jobelins
Portent bien au combat une autre véhémence;
Et s'il doit achever de même qu'il commence,
Ce sont guelfes nouveaux, et nouveaux gibelins.

Vaine démangeaison de la guerre civile,
Qui partagiez naguère et la cour et la ville,
Et dont la paix éteint les cuisantes ardeurs,

Que vous avez de peine à demeurer oisive,
Puisqu'au même moment qu'on voit bas les frondeurs,
Pour deux méchants sonnets on demande Qui vive!

XXXI.

SONNET'.

Deux sonnets partagent la ville,
Deux sonnets partagent la cour,
Et semblent vouloir à leur tour
Rallumer la guerre civile.

Le plus sot et le plus habile
En mettent leur avis au jour,
Et ce qu'on a pour eux d'amour
A plus d'un échauffe la bile.

Chacun en parle hautement
Suivant son petit jugement;
Et, s'il y faut mêler le nôtre,

L'un est sans doute mieux rêvé,
Mieux conduit et mieux achevé;
Mais je voudrois avoir fait l'autre.

més à La Haye, tome 1, page 120. Le sonnet d'Uranie étoit de Voiture, et celui de Job, de Benserade. Une pareille contestation donneroit aujourd'hui matière à quelques épigrammes, mais ne formeroit pas un sujet d'histoire. (P.)

Recueil de Sercy, tome 1, page 440.

XXXII.

ÉPIGRAMME'.

Ami, veux-tu savoir, touchant ces deux sonnets,

Qui partagent nos cabinets,

Ce qu'on peut dire avec justice?

L'un nous fait voir plus d'art, et l'autre plus de vif; L'un est le plus peigné, l'autre est le plus naïf;

L'un sent un long effort, et l'autre un prompt caprice;

Enfin l'un est mieux fait, et l'autre plus joli :

Et, pour te dire tout en somme,

L'un part d'un auteur plus poli,
Et l'autre d'un plus galant homme.

XXXIII.

JALOUSIE 2.

N'aimez plus tant, Phylis, à vous voir adorée :
Le plus ardent amour n'a pas grande durée;
Les nœuds les plus serrés sont le plus tôt rompus;
A force d'aimer trop, souvent on n'aime plus,
Et ces liens si forts ont des lois si sévères
Que toutes leurs douceurs en deviennent amères.

Je sais qu'il vous est doux d'asservir tous nos soins :
Mais qui se donne entier n'en exige pas moins;
Sans réserve il se rend, sans réserve il se livre;
Hors de votre présence il doute s'il peut vivre :
Mais il veut la pareille, et son attachement
Prend compte de chaque heure et de chaque moment.
C'est un esclave fier qui veut régler son maître,
Un censeur complaisant qui cherche à trop connoître,
Un tyran déguisé qui s'attache à vos pas,
Un dangereux Argus qui voit ce qui n'est pas;
Sans cesse il importune, et sans cesse il assiége,
Importun par devoir, fâcheux par privilége,
Ardent à vous servir jusqu'à vous en lasser,

Recueil de Sercy, tome 1, page 441.

2 Ibid., cinq. part., page 73.

Mais au reste un peu tendre et facile à blesser.
Le plus léger chagrin d'une humeur inégale,
Le moindre égarement d'un mauvais intervalle,
Un souris par mégarde à ses yeux dérobé,
Un coup d'œil par hasard sur un autre tombé,
Le plus foible dehors de cette complaisance
Que se permet pour tous la même indifférence;
Tout cela fait pour lui de grands crimes d'état;
Et plus l'amour est fort, plus il est délicat..
Vous avez vu, Phylis, comme il brise sa chaîne
Sitôt qu'auprès de vous quelque chose le gène,
Et comme vos bontés ne sont qu'un foible appui.
Contre un murmure sourd qui s'épand jusqu'à lui.
Que ce soit vérité, que ce soit calomnie,
Pour vous voir en coupable il suffit qu'on le die;
Et lorsqu'une imposture a quelque fondement
Sur un peu d'imprudence, ou sur trop d'enjouement,
Tout ce qu'il sait de vous et de votre innocence
N'ose le révolter contre cette apparence,
Et souffre qu'elle expose à cent fausses clartés
Votre humeur sociable et vos civilités..
Sa raison au-dedans vous fait en vain justice,
Sa raison au-dehors respecte son caprice;
La peur de sembler dupe aux yeux de quelques fous.
Étouffe cette voix qui parle trop pour vous..
La part qu'il prend sur lui de votre renommée
Forme un sombre dépit de vous avoir aimée;
Et, comme il n'est plus temps d'en faire un désaveu,
Il fait gloire partout d'éteindre un si beau feu :
Du moins s'il ne l'éteint, il l'empêche de luire,
Et brave le pouvoir qu'il ne sauroit détruire.
Voilà ce que produit le don de trop charmer.
Pour garder vos amants faites-vous moins aimer;
Un amour médiocre est souvent plus traitable :
Mais pourriez-vous, Phylis, vous rendre moins aimable?
Pensez-y, je vous prie, et n'oubliez jamais,
Quand on vous aimera, que L'AMOUR EST DOUX; MAIS...

XXXIV.

BAGATELLE.

Quoi ! sitôt que j'en veux rabattre,
Vous vous faites tenir à quatre,
Et, quand j'en devrois enrager,
Votre ordre ne se peut changer;
Il faut vous en faire cinquante.
Ma foi, le nombre m'épouvante;
Un vieux garçon de cinquante ans
N'en fait guère en beaucoup de temps,
Et ne va pas tout d'une haleine
A la benoiste cinquantaine.
Encor, pour être votre fait,
Il faut qu'ils soient doux comme lait,
Qu'ils aillent droit comme une quille,
Qu'ils n'aient point de fausse cheville,
Que tout y soit bien ajusté,
Que rien n'y penche d'un côté,
Rien n'y soit de mauvaise mise,
Rien n'y sente la barbe grise.
Voilà bien des conditions
Pour mes pauvres inventions :
Le temps les a presque épuisées,
Les vieux travaux les ont usées;
Comment pourront-elles trouver
Le secret de bien achever?

Devenez un peu complaisante,
Et daignez vous passer à trente;
Vous serez servie à souhait,
Et je vous dirai haut et net
Que je craindrai fort peu la honte
De vous fournir mal votre compte.
Mais je vaux moins qu'un quinola,
Si je n'en fais vingt par-delà:
Tenir à demi sa parole,
C'est une méchante bricole ;

Recuil de Serry, cinq. part., page 75.

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