On doit s'efforcer jusqu'au bout, Et ne rien faire, ou faire tout. Il faut donc que je m'évertue, Que je me débatte, et remue, Que je pousse de tout mon mieux, Dussé-je en crever à vos yeux : Aux grands coups on voit les grands hommes. Voyons, de grace, où nous en sommes :
Si je compte bien par mes doigts, Je passe les quarante et trois; Encor six, vous n'auriez que dire, Et vous commencez à sourire De voir mon reste de vertu, Sans vous avoir rien rabattu, Ni tourné la tête en arrière, Toucher au bout de la carrière. En faut-il encor? je le veux, Voilà jusqu'à cinquante-deux; Plaignez-vous, en cette aventure, De n'avoir pas bonne mesure.
J'ai vu la peste en raccourci : Et, s'il faut en parler sans feindre, Puisque la peste est faite ainsi, Peste, que la peste est à craindre!
De cœurs qui n'en sauroient guérir Elle est partout accompagnée, Et, dût-on cent fois en mourir, Mille voudroient l'avoir gagnée.
L'ardeur dont ils sont emportés, En ce péril leur persuade Qu'avoir la peste à ses côtés, Ce n'est point être trop malade.
Recueil de Sercy, cinq. part., page 77.
Aussi faut-il leur accorder Qu'on auroit du bonheur de reste, Pour peu qu'on se pût hasarder Au beau milieu de cette peste.
La mort seroit douce à ce prix, Mais c'est un malheur à se pendre, Qu'on ne meurt pas d'en être pris, Mais faute de la pouvoir prendre.
L'ardeur qu'elle fait naître au sein N'y fait même un mal incurable Que parcequ'elle prend soudain, Et qu'elle est toujours imprenable.
Aussi chacun y perd son temps; L'un en gémit, l'autre en déteste; Et ce que font les plus contents, C'est de pester contre la peste.
Vous aimez que je me range Auprès de vous chaque jour, Et m'ordonnez que je change En amitié mon amour.
Cette méchante bricole Vous fait beaucoup hasarder, Et je vous trouve bien folle Si vous me pensez garder.
Une passion si belle N'est pas une bagatelle Dont on se joue à son gré;
Et l'amour qui vous rebute
Recueil de Sercy, cinq. part., page 78.
Ne sauroit choir d'un degré Qu'il ne meure de sa chute.
DE MADAME LA MARQUISE DE B. A. T.1.
Allez, belle marquise, allez en d'autres lieux Semer les doux périls qui naissent de vos yeux. Vous trouverez partout les ames toutes prêtes A recevoir vos lois et grossir vos conquêtes, Et les cœurs à l'envi se jetant dans vos fers Ne feront point de vœux qui ne vous soient offerts; Mais ne pensez pas tant aux glorieuses peines De ces nouveaux captifs qui vont prendre vos chaines, Que vous teniez vos soins tout-à-fait dispensés De faire un peu de grace à ceux que vous laissez. Apprenez à leur noble et chère servitude L'art de vivre sans vous et sans inquiétude; Et si sans faire un crime on peut vous en prier, Marquise, apprenez-moi l'art de vous oublier.
En vain de tout mon cœur la triste prévoyance A voulu faire essai des maux de votre absence; Quand j'ai cru le soustraire à des yeux si charmants, Je l'ai livré moi-même à de nouveaux tourments : Il a fait quelques jours le mutin et le brave, Mais il revient à vous, et revient plus esclave, Et reporte à vos pieds le tyrannique effet De ce tourment nouveau que lui-même il s'est fait. Vengez-vous du rebelle, et faites-vous justice; Vous devez un mépris du moins à son caprice; Avoir un si long temps des sentiments si vains, C'est assez mériter l'honneur de vos dédains. Quelle bonté superbe, ou quelle indifférence A sa rebellion ôte le nom d'offense ?
Quoi! vous me revoyez sans vous plaindre de rien? Je trouve même accueil avec même entretien? Hélas! et j'espérois que votre humeur altière
Recueil de Sercy, cinq. part., page 79,
M'ouvriroit les chemins à la révolte entière; Ce cœur, que la raison ne peut plus secourir, Cherchoit dans votre orgueil une aide à se guérir : Mais vous lui refusez un moment de colère; Vous m'enviez le bien d'avoir pu vous déplaire; Vous dédaignez de voir quels sont mes attentats, Et m'en punissez mieux ne m'en punissant pas. Une heure de grimace ou froide ou sérieuse, Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse, Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté, M'eût peut-être à vos yeux rendu la liberté. J'aime, mais en aimant je n'ai point la bassesse D'aimer jusqu'au mépris de l'objet qui me blesse ; Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur. Non qu'enfin mon amour prétende cœur pour cœur : Je vois mes cheveux gris : je sais que les années Laissent peu de mérite aux ames les mieux nées; Que les plus beaux talents des plus rares esprits, Quand les corps sont usés, perdent bien de leur prix; Que, si dans mes beaux jours je parus supportable, J'ai trop long-temps aimé pour être encore aimable, Et que d'un front ridé les replis jaunissants Mêlent un triste charme au prix de mon encens. Je connois mes défauts; mais, après tout, je pense Étre pour vous encore un captif d'importance : Car vous aimez la gloire, et vous savez qu'un roi Ne vous en peut jamais assurer tant que moi. Il est plus en ma main qu'en celle d'un monarque De vous faire égaler l'amante de Pétrarque, Et mieux que tous les rois je puis faire douter De sa Laure ou de vous qui le doit emporter.
Aussi, je le vois trop, vous aimez à me plaire, Vous vous rendez pour moi facile à satisfaire; Votre ame de mes feux tire un plaisir secret, Et vous me perdriez sans honte avec regret.
Marquise, dites donc ce qu'il faut que je fasse : Vous rattachez mes fers quand la saison vous chasse: Je vous avois quittée, et vous me rappelez Dans le cruel instant que vous vous en allez. Rigoureuse faveur, qui force à disparoître
Ce calme étudié que je faisois renaître, Et qui ne rétablit votre absolu pouvoir Que pour me condamner à languir sans vous voir! Payez, payez mes feux d'une plus foible estime; Traitez-les d'inconstants; nommez ma fuite un crime; Prêtez-moi, par pitié, quelque injuste courroux ; Renvoyez mes soupirs qui volent après vous; Faites-moi présumer qu'il en est quelques autres A qui jusqu'en ces lieux vous renvoyez des vôtres, Qu'en faveur d'un rival vous allez me trahir : J'en ai, vous le savez, que je ne puis haïr; Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même: « Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu'il m'aime, « Et m'aime d'autant plus que son cœur enflammé « N'ose même aspirer au bonheur d'être aimé; « Je fais tous ses plaisirs, j'ai toutes ses pensées, « Sans que le moindre espoir les ait intéressées. » Puissé-je malgré vous y penser un peu moins, M'échapper quelques jours vers quelques autres soins, Trouver quelques plaisirs ailleurs qu'en votre idée, Et voir toute mon ame un peu moins obsédée; Et vous, de qui je n'ose attendre jamais rien, Ne ressentir jamais un mal pareil au mien ! Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent, Son feu s'évanouit, ses déplaisirs cessèrent : Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui, Comme la dame ailleurs se divertit sans lui. Heureux en son amour, si l'ardeur qui l'anime
N'en conçoit les tourments que pour s'en plaindre en rime, Et si d'un feu si beau la céleste vigueur
Peut enflammer ses vers sans échauffer son cœur !
QUI REPRÉSENTOIT LA NUIT EN LA COMÉDIE D'ENDYΜΙΟΝ.
Si la lune et la nuit sont bien représentées,
Recueil de Sercy, cinq. part., page 82.
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