Vous répondriez mal d'un cœur... ARIANE. Comment, hélas! Répondrois-je de moi? Je ne me connois pas. Peut mériter qu'un jour vous oubliiez Thésée... ARIANE. Non, parjure Thésée, Ne crois pas que jamais je puisse être apaisée; Le plus grand de mes maux est de ne t'aimer plus : Ovide et Catulle, le premier dans ses Héroïdes, le second dans les Noces de Thétis et de Pélée, ont essayé de peindre le désespoir qui s'empara d'Ariane lorsqu'elle se vit abandonnée par Thésée. Il serait trop long de transcrire ici la pièce d'Ovide; mais nous rapporterons le passage de Catulle, qui nous représente Ariane plus accablée de sa douleur qu'occupée du soin de se venger. Fluentisono prospectans littore Diæ, Thesea cedentem celeri cum classe tuetur Mais quelle est mon erreur! Dieux! je menace en l'air Et méritez ma main en vengeant mon amour. (Ell e se jette sur l'épée de Pirithoüs.) Tu m'arrêtes, cruel! NÉRINE. Que faites-vous, madame? Soutiens-moi; je succombe aux transports de mon ame. Omnia quæ toto delapsa e corpore passim Sel neque tum mitræ, neque tum fluitantis amictus Illa vicem curans, toto ex te pectore, Theseu, Toto animo, tota pendebat perdita mente. De Nuptiis Pelei et Thetidos, v. 52. * Cette pièce est au rang de celles qu'on joue souvent, lorsqu'une actrice vent se distinguer par un rôle capable de la faire valoir. La situation est très touchante. Une femme qui a tout fait pour Thésée, qui l'a tiré du plus grand péril, qui s'est sacrifiée pour lui, qui se croit aimée, qui mérile de l'ètre, qui se voit trahie par sa sœur et abandonnée par son amant, est un des plus heureux suj ts de l'antiquité. Il est bien plus intéressant que la Didon de Virgite; car Didon a bien moins fait pour Énée, et n'est point trahie par sa sœur: elle n'éprouve point d'infidélité, et il n'y avait peutêtre pas là de quoi se brûler. Il est inutile d'ajouter que le sujet vaut mieux que celui de Médée. Une empoisonneuse, une meurtrière, ne peut toucher des cœurs et des Voltaire trouve ce sujet plus heureux et plus intéressant que celui de Didon, parceque Ariane a plus fait pour Thésée que Didon pour Énée, parce que Didon n'est point trahie par sa sœur et n'éprouve pas une véritable infidélité. Il se peut qu'Ariane soit encore plus malheureuse; mais Didon prête plus à la scène. Énée est en quelque sorte forcé d'immoler son amour à la religion et à la gloire; Thésée est odieux et vil; son ingratitude n'a point d'excuse: on souffre de voir jouer un rôle si bas à l'un des plus fameux héros de l'antiquité. (GEOFFROY.) esprits bien faits. Thomas Corneille fut plus heureux dans le choix de ce sujet que son frère ne le fut dans aucun des siens depuis Rodogune; mais je doute que Plerre Corneille eût mieux fait le rôle d'Ariane que son frère. On peut remarquer, ea lisant cette tragédie, qu'il y a moins de solécismes et moins d'obscurités que dans les dernières pièces de Pierre Corneille. Le cadet n'avait pas la force et la profondeur du génie de l'aîné; mais il parlait sa langue avec plus de pureté, quoiqu'avec plus de faiblesse. C'était d'ailleurs un homme d'un très grand mérite, et d'une vaste littérature; et si vous exceptez Racine, au quel il ne faut comparer personne, il était le seul de son temps qui fût digne d'être le premier au-dessous de son frère. (V.) - Thésée et le roi de Naxe (Enarus) jouent un triste rôle dans cette tragédie; Phèdre et Pirithoüs, qui sont à peu près ce qu'ils doivent être, ne peuvent pas en jouer un bien considérable; mais Ariane remplit la pièce, et la beauté de son rôle supplée à la foiblesse de tous les autres. La rivalité de Phèdre est conduite avec art, et la marche du drame est simple, claire et sage. Ariane est, de toutes les amantes abandonnées, celle qui inspire le plus de compassion, parcequ'il est impossible d'aimer de meilleure foi et d'éprouver une ingratitude plus odieuse. La conduite de Thésée n'a aucune excuse, au lieu que celle de Titus, dans Bérénice, et d'Énée, dans Didon, a du moins des motifs probables. Enfin, ce qui rend Ariane encore plus à plaindre, elle est trahie par une sœur qu'elle aime et à qui elle se confie comme à une autre elle-même. Toutes ces circonstances sont si douloureuses, qu'il n'y auroit point au théâtre d'amour plus parfait qu'Ariane, si le style était celui de Bérénice. Cependant il s'en faut de beaucoup que, même dans cette partie, el'e soit sans beautés : si les sentiments sont presque toujours vrais, l'expression a quelquefois la même vérité et le même naturel; et, pour tout dire en un mot, il y a quelques endroits dignes de la plume de Racine. (LA H.) FIN D'ARIANE. LE FESTIN DE PIERRE', COMÉDIE. -1677. AVIS. Cette pièce, dont les comédiens donnent tous les ans plusieurs représentations, est la même que feu M. de Molière fit jouer en prose peu de temps avant sa mort 2. Quelques personnes qui ont tout pouvoir sur moi m'ayant engagé à la mettre en vers, je me réservai la liberté d'adoucir certaines expressions qui avoient blessé les scrupuleux. J'ai suivi la prose assez exactement dans tout le reste, à l'exception des scènes du troisième et du cinquième acte, où j'ai fait parler des femmes. Ce sont scènes ajoutées à cet excellent original, et dont les défauts ne doivent point être imputés au célèbre auteur sous le nom duquel cette comédie est toujours représentée. wwww D. LOUIS, père de D. Juan. ELVIRE, ayant épousé D. JUAN. PERSONNAGES. MATHURINE, autre paysanne. PIERROT, paysan. M. DIMANCHE, marchand. LA RAMÉE, valet de chambre de D. Juan. LA STATUE DU COMMANDEUR 5. Le Festin de Pierre est imité d'une comédie espagnole de Tirso de Molina, intitulée El Combidado di Piedra (le Convié de Pierre). Dès 1659, ce sujet avoit été traité par de Villiers; et en 1661 il le fut encore par Dorimon, toujours sous le même titre, et toujours avec succès. Ce titre, sur le sens duquel on n'est pas d'accord, peut s'expliquer en admettant que le commandeur tué par D. Juan se nommoit D. Pèdre: c'est du moins le seul moyen de justifier la rime de ces deux vers de Boileau A tous ces beaux discours j'étois comme une pierre, SAT. III, V. 129. En supposant que cette rime ait besoin de justification. 2 Molière fit jouer sa pièce en 1665. Il mourut en 1673. 5 Thomas Corneille n'a pas indiqué le lieu où se passe l'action. Suivant Molière, la scène est en Sicile. ACTE PREMIER. SCÈNE I. SGANARELLE, GUSMAN. SGANARELLE, prenant du tabac, et en offrant à Gusman. Si bien, mon cher Gusman, qu'Elvire ta maîtresse Toutes les éditions modernes portent : . et sa docte cabale. 2 On sait que cette plante fut apportée en France par Nicot, ambassadeur de François II à la cour de Madrid. Catherine de Médicis en favorisa l'usage, et les médecins, pour flatter cette reine, attribuèrent au tabac des guérisons miraculeuses, et lui donnèrent les qualifications pompeuses d'herbe à la reine, d'herbe sainte, d'herbe sacrée. Les disputes duroient encore du temps de Molière, qui prêta à Sganarelle le langage de son siècle. (M. AIME-MARTIN.) |