Endymion n'étoit qu'un sot : Il devoit dès le premier mot Renvoyer à leur ciel les cornes argentées. Ténébreuse déesse, un œil bien éclairé Dans tes obscurités eût cherché sa fortune; Et je n'en connois point qui n'eût tôt préféré Les ombres de la nuit aux clartés de la lune..
Iris, je vais parler; c'est trop de violence.. Il est temps que mon feu se dérobe au silence, Et qu'il fasse échapper au respect qui me nuit L'aveu du triste état où vous m'avez réduit. Depuis le jour fatal que pour vous je soupire, Mes yeux se sont cent fois chargés de vous le dire, Et cent fois, si mon mal vous pouvoit émouvoir, Leur mourante langueur vous l'auroit fait savoir: Mais les vôtres partout, certains de leur victoire, D'une obscure conquête estiment peu la gloire, Et veulent, pour daigner en faire part au cœur, Que l'éclat du triomphe en apporte au vainqueur. C'est par-là que, jaloux de l'orgueil qui l'inspire, Ce cœur n'a point sur moi reconnu son empire; Que, mettant ma défaite au-dessous de ses soins, Il en a récusé mes soupirs pour témoins, Et craint de s'exposer, s'il avouoit mes peines, A rougir d'un captif indigne de vos chaînes. Je le confesse, Iris, il n'est point parmi nous De mérite assez haut pour aller jusqu'à vous. A voir ce que je suis tout mon espoir chancelle; Mais le peu que je vaux ne vous rend pas moins belle : J'ai des yeux comme un autre à me laisser charmer, J'ai comme un autre un cœur ardent à s'enflammer; Et, dans les doux appas dont vous êtes pourvue, J'ai dû brûler pour vous, puisque je vous ai vue. Oui, de votre beauté l'éclat impérieux
• Recueil de Sercy, cinq. part., page 83.
Touche aussitôt le cœur qu'il vient frapper les yeux : Ce n'est point un brillant dont la fausse lumière Ne fasse qu'éblouir au moment qu'elle éclaire; Ce n'est point un effort de charmes impuissants Qui prennent pour appui la surprise des sens : Quoi qu'en vous leur rapport vante d'un prix extrême, La raison convaincue y souscrit elle-même, Et, sans appréhender de le voir démenti, Par son propre suffrage affermit leur parti. Alors que ne peut point sur les plus belles ames Ce vif amas d'attraits, cette source de flammes, Ces beaux yeux qui, portant le jour de toutes parts, Font autant de captifs qu'ils lancent de regards! Alors que ne peut point ce pompeux assemblage Des traits les plus perçants dont brille un beau visage, Et qui dessus le vôtre étalent hautement
Ce qu'ailleurs cent beautés font voir de plus charmant! Aussi, que leur adresse aux dons de la nature Ajoute encor de l'art la plus douce imposture, Que de lis empruntés leur visage soit peint, On les verra pâlir auprès de votre teint, Ce teint dont la blancheur, sans être mendiée, Passe en vivacité la plus étudiée,
Et pare avec orgueil le plus brillant séjour Où les graces jamais aient attiré l'amour. C'est là, c'est en vous seule, Iris, que l'on doit croire Qu'aimant à triompher, il triomphe avec gloire, Et qu'il trouve aussitôt de quoi s'assujettir Quiconque de ses traits s'étoit pu garantir. Pour moi, je l'avouerai, comme aucune surprise N'avoit jusques ici fait trembler ma franchise, Permettant à mes yeux l'heur de vous regarder, Mon cœur trop imprudent ne crut rien hasarder. Ainsi de vos beautés qu'on vantoit sans pareilles Je voulus à loisir contempler les merveilles, Ainsi j'examinai tous ces riches trésors Que prodigua le ciel à former votre corps, Ce port noblement fier, cette taille divine Qui par sa majesté marque son origine, Seule égale à soi-même, et tellement à vous
Que, la formant unique, il s'en montra jaloux. De tant d'appas divers mon ame possédée Se plut d'en conserver la précieuse idée : Je l'admirai sans cesse, et de mon souvenir, Ne croyant qu'admirer, j'eus peur de la bannir: Mais de ce sentiment la flatteuse imposture N'empêcha pas le mal pour cacher la blessure; Et ce soin d'admirer, qui dure plus d'un jour, S'il n'est amour déja, devient bientôt amour. Un je ne sais quel trouble où je me vis réduire De cette vérité sut assez tôt m'instruire ; Par d'inquiets transports me sentant émouvoir, J'en connus le sujet quand j'osai vous revoir. A prendre ce dessein mon ame tout émue Eut peine à soutenir l'éclat de votre vue; Mon cœur en fut surpris d'un doux saisissement Qui me fit découvrir que j'allois être amant : Un désordre confus m'expliqua son martyre; Je voulus vous parler, et ne sus que vous dire; Je rougis, je pâlis; et d'un tacite aveu, Si je n'aime point, dis-je, hélas! qu'il s'en faut peu! Soudain (le pourrez-vous apprendre sans colère?) Je jugeai la révolte un parti nécessaire, Et je n'épargnai rien, dans cette extrémité, Pour soulever mon cœur contre votre beauté. L'ardeur de dégager ma franchise asservie Me fit prendre les yeux de la plus noire envie; Je ne m'attachai plus qu'à chercher des défauts, Qui, détruisant ma flamme, adoucissent mes maux : Mais, las! cette recherche un peu trop téméraire Produisit à sa cause un effet bien contraire; Et vos attraits, par elle à mes sens mieux offerts, Au lieu de les briser redoublèrent mes fers. Plus je vous contemplai, plus je connus de charmes Contre qui ma raison me refusa des armes; Et sans cesse l'amour, par de vives clartés, Me découvrit en vous de nouvelles beautés. Tout ce que vous faisiez étoit inséparable De ce je ne sais quoi sans qui rien n'est aimable; Tout ce que vous disiez avoit cet air charmant
Qui des plus nobles cœurs triomphe en un moment. J'en connus le pouvoir, j'en ressentis l'atteinte : Contraint de vous aimer, j'aimai cette contrainte; Et je n'aspirai plus, par mille vœux offerts, Qu'à vous faire avouer la gloire de mes fers. Y consentirez-vous, belle Iris? et pourrai-je Promettre à mes desirs ce charmant privilége? Je ne demande point que, sensible à mon feu, L'assurance du vôtre en couronne l'aveu; Je ne demande point qu'à mes vœux favorable Vous vous montriez amante en vous montrant aimable, Et que, par un transport qui n'examine rien, Le don de votre cœur suive l'offre du mien :
Quoi qu'on ait fait pour vous et de grand et d'insigne, C'est un prix glorieux dont on n'est jamais digne, Et que ma passion me faisant desirer, L'excès de mes défauts me défend d'espérer. Permettez seulement, pour flatter mon martyre, Que vous osant aimer j'ose aussi vous le dire; Qu'à vos pieds mon respect apporte chaque jour Les serments redoublés d'un immuable amour; Que là, par son ardeur, je vous fasse connoître Qu'étant pur et sincère il doit toujours s'accroître; Que ce n'est point l'effet d'un aveugle appétit Que le desir fit naître et que l'espoir nourrit; Et qu'aimant par raison d'un amour véritable Ce que jamais le ciel forma de plus aimable, Le temps dessus mon cœur n'aura rien d'assez fort Pour en bannir les traits que par ceux de la mort.
Je vous estime, Iris, et crois pouvoir sans crime Permettre à mon respect un aveu si charmant :
Il est vrai qu'à chaque moment Je songe que je vous estime.
Cette agréable idée, où ma raison s'abyme, Recueil de Sercy, cinq, part., page 87.
Tyrannise mes sens jusqu'à l'accablement; Mais pour vouloir fuir ce tourment La cause en est trop légitime.
Aussi, quelque désordre où mon cœur soit plongé, Bien loin de faire effort à l'en voir dégagé, Entretenir sa peine est toute mon étude.
J'en aime le chagrin, le trouble m'en est doux. Hélas! que ne m'estimez-vous Avec la même inquiétude?
D'un accueil si flatteur, et qui veut que j'espère, Vous payez ma visite alors que je vous voi, Que souvent à l'erreur j'abandonne ma foi, Et crois seul avoir droit d'aspirer à vous plaire.
Mais si j'y trouve alors de quoi me satisfaire, Ces charmes attirants, ces doux je ne sais quoi, Sont des biens pour tout autre aussi bien que pour moi; Et c'est dont un beau feu ne se contente guère.
D'une ardeur réciproque il veut d'autres témoins, Un mutuel échange et de vœux et de soins, Un transport de tendresse à nul autre semblable.
C'est là ce qui remplit un cœur fort amoureux : Le mien le sent pour vous; le vôtre en est capable. Hélas! si vous vouliez, que je serois heureux !
XLII. STANCES 2.
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Recueil de Sercy, cinq. part., page 88. * Ibid., page 89.
« AnteriorContinuar » |