Souvenez-vous qu'à mon âge Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses Se plaît à faire un affront, Et saura faner vos roses Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes Règle nos jours et nos nuits : On m'a vu ce que vous êtes; Vous serez ce que je suis.
Cependant j'ai quelques charmes Qui sont assez éclatants Pour n'avoir pas trop d'alarmes De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore; Mais ceux que vous méprisez Pourroient bien durer encore Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire Des yeux qui me semblent doux, Et dans mille ans faire croire Ce qu'il me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle, Où j'aurai quelque crédit, Vous ne passerez pour belle Qu'autant que je l'aurai dit.
Pensez-y, belle marquise. Quoiqu'un grison fasse effroi, Il vaut bien qu'on le courtise, Quand il est fait comme moi.
STANCE A LA REINE.
C'est trop faire languir de si justes desirs,
Reine; venez assurer nos plaisirs
Par l'éclat de votre présence;
Venez nous rendre heureux sous vos augustes lois,
Et recevez tous les cœurs de la France
Avec celui du plus grand de ses rois.
Usez moins avec moi du droit de tout charmer : Vous me perdrez bientôt si vous n'y prenez garde. J'aime bien à vous voir, quoi qu'enfin j'y hasarde; Mais je n'aime pas bien qu'on me force d'aimer.
Cependant mon repos a de quoi s'alarmer : Je sens je ne sais quoi dès que je vous regarde; Je souffre avec chagrin tout ce qui m'en retarde; Et c'est déja sans doute un peu plus qu'estimer.
Ne vous y trompez pas : l'honneur de ma défaite N'assure point d'esclave à la main qui l'a faite; Je sais l'art d'échapper aux charmes les plus forts;
Et, quand ils m'ont réduit à ne plus me défendre, Savez-vous, belle Iris, ce que je fais alors? Je m'enfuis, de peur de me rendre.
SONNET PERDU AU JEU 3.
Je chéris ma défaite, et mon destin m'est doux, Beauté, charme puissant des yeux et des oreilles ;
Extrait du Recueil des beaux plus vers qui ont été mis en chant; Sercy, 1661, page 89.
Et je n'ai point regret qu'une heure auprès de vous Me coûte en votre absence et des soins et des veilles.
Se voir ainsi vaincu par vos rares merveilles, C'est un malheur commode à faire cent jaloux; Et le cœur ne soupire, en des pertes pareilles, Que pour baiser la main qui fait de si grands coups.
Recevez de la mienne, après votre victoire, Ce que pourroit un roi tenir à quelque gloire, Ce que les plus beaux yeux n'ont jamais dédaigné.
Je vous en rends, Iris, un juste et prompt hommage. Hélas! contentez-vous de me l'avoir gagné,
Sans me dérober davantage.
Vos beaux yeux sur ma franchise N'adressent pas bien leurs coups, Tête chauve et barbe grise Ne sout pas viande pour vous; Quand j'aurois l'heur de vous plaire, Ce seroit perdre du temps; Iris, que pourriez-vous faire D'un galant de cinquante ans?
Ce qui vous rend adorable N'est propre qu'à m'alarmer. Je vous trouve trop aimable, Et crains de vous trop aimer : Mon cœur à prendre est facile, Mes vœux sont des plus constants ; Mais c'est un meuble inutile Qu'un galant de cinquante ans.
Si l'armure n'est complète, Si tout ne va comme il faut,
* Recueil de 1660, cinq. part., page 9..
Il vaut mieux faire retraite Que d'entreprendre un assaut : L'amour ne rend point la place A de mauvais combattants, Et rit de la vaine audace Des galants de cinquante ans.
Caliste, lorsque je vous voi, Dirai-je que je vous admire? C'est vous dire bien peu pour moi, Et peut-être c'est trop vous dire.
Je m'expliquerois un peu mieux Pour un moindre rang que le vôtre ; Vous êtes belle, j'ai des yeux, Et je suis homme comme un autre.
Que n'êtes-vous, à votre tour, Caliste, comme une autre femme! Je serois pour vous tout d'amour Si vous n'étiez point si grand'dame.
Votre grade hors du commun Incommode fort qui vous aime, Et sous le respect importun Un beau feu s'éteint de lui-même.
J'aime un peu l'indiscrétion Quand je veux faire des maîtresses; Et quand j'ai de la passion, J'ai grand amour pour les caresses.
Mais si j'osois me hasarder Avec vous au moindre pillage, Vous me feriez bien regarder Le grand chemin de mon village.
Recueil de 1060, cing. part., page 95.
J'aime donc mieux laisser mourir L'ardeur qui seroit maltraitée, Que de prétendre à conquérir Ce qui n'est point de ma portée.
A MADEMOISELLE SERMENT 2.
Mes deux mains à l'envi disputent de leur gloire, Et dans leurs sentiments jaloux Je ne sais ce que j'en dois croire. Phylis, je m'en rapporte à vous ; Réglez mon amour par le vôtre.
Vous savez leurs honneurs divers : La droite a mis au jour un million de vers; Mais votre belle bouche a daigné baiser l'autre. Adorable Phylis, peut-on mieux décider Que la droite lui doit céder?
Je ne veux plus devoir à des gens comme vous;
Je vous trouve, Phylis, trop rude créancière.
Recueil de 1660, cinq. part., page 94.
2 Mademoiselle Serment ayant baisé la main à M. Corneille par un excès d'estime, il lui envoya ce madrigal. Mademoiselle Serment étoit née à Grenoble, et mourut à Paris en 1692. Elle fut du nombre des femmes qui cultivèrent les lettres, et qui se composèrent une cour de tous les beaux-esprits du temps. Quinault, entre autres, lui fut tendrement attaché, et la consultoit, dit-on, sur ses ouvrages. (P.)
Elle fit à Corneille la réponse suivante :
Si vous parlez sincèrement
Lorsque vous préféréz la main gauche à la drěte, De votre jugement je suis mal satisfaite.
Le baiser le plus doux ne dure qu'un moment; Un million de vers dure éternellement,
Quand ils sont beaux comme les vôtres; Mais vous parlez comme un amant, Et peut-être comme un Normand:
Vendez vos coquilles à d'autres.
(OEuvres diverses de P. Corneille, Paris, 1738, p. 209.)
Recueil de Sercy, Paris, 1660, cinq. part., page 94.
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