Non, mon cher Salsbury', vous n'avez rien à craindre : Il n'y eut point de Salsbury (Salisbury) mêlé dans l'affaire du comte d'Essex. Son principal complice était un comte de Southampton; mais apparemment que le premier nom parut plus sonore à l'auteur, ou plutôt il n'était pas au fait de l'histoire d'Angleterre. (V.) Ne vous aveuglez point sur trop de confiance : Tout a tremblé sous moi, vous voulez que je tremble? SALSBURY. L'état fleurit par vous, par vous on le redoute : On produit des témoins, et l'indice est puissant. LE COMTE D'ESSEX. Et que peut leur rapport si je suis innocent? Si mon avis suivi pouvoit faire sa paix. • Pierre Corneille avoit dit : Et, pour te faire choir, je n'aurois aujourd'hui Qu'à retirer la main qui seule est ton appui. Cinna, acte v, scène 1. Comme il hait les méchants, il me seroit utile Ne veut pas que contre eux les gens de bien l'instruisent; Leur grandeur se formant par la chute des autres... LE COMTE D'ESSEX. Ah! faute irréparable, et que trop tard j'ai faite ! SALSBURY. Que m'apprend ce transport? LE COMTE D'ESSEX. Qu'une flamme secrète Unissoit mon destin à celui d'Henriette, Et que de mon amour son jeune cœur charmé Ne me déguisoit pas que j'en étois aimé. SALSBURY. Le duc d'Irton l'épouse, elle vous abandonne; Et vous pouvez penser... 4 Robert Cecil, lord Burleigh, fils de William Cecil, lord Burleigh, principal ministre d'état sous Élisabeth, fut depuis comte de Salisbury. Il s'en fallait beaucoup que ce fût un homme sans nom. L'auteur ne devait pas faire d'un comte de Salisbury un confident du comte d'Essex, puisque le véritable comte de Salisbury était ce même Cecil, son ennemi personnel, un des seigneurs qui le condamnèrent. Walter Raleigh était un vice-amiral, célèbre par ses grandes actions et par son génie, et dont le mérite solide était fort supérieur au brillant du comte d'Essex. Il n'y eut jamais de Coban, mais bien un lord Cobham, d'une des plus illustres maisons du pays, qui, sous ie roi Jacques In, fut mis en prison pour une conspiration vraie ou prétendue. Il n'est pas permis de falsifier à ce point une histoire si récente, et de traiter avec tant d'indignité des hommes de la plus grande naissance et du plus grand mérite. Les personnes instruites en sont révoltées, sans que les ignorants y trouvent beaucoup de plaisir. (V.) * Il n'y a jamais eu ni duc d'Irton, ni aucun homme de ce nom, à la cour de Londres. Il est bon de savoir que, dans ce temps-là, on n'accordait le titre de duc qu'aux seigneurs al'iés des rois et des reines (V.) LE COMTE D'ESSEX. Son hymen vous étonne; Mais enfin apprenez par quels motifs secrets Confidente à la fois et fille de la reine, Elle avoit su vers moi le penchant qui l'entraîne. * Il semblerait qu'Élisabeth fût une Roxane, qui, n'osant entretenir le comte d'Essex, lui fit parler d'amour sous le nom d'une Atalide. Quand on sait que la reine d'Angleterre était presque septuagénaire, ces petites intrigues, ces petites sollicitations amoureuses deviennent bien extraordinaires. Quant au style, il est faible, mais clair, et entièrement dans le genre médiocre. (V.) La reine, dont pour vous la tendresse infinie LE COMTE D'ESSEX. C'est là sa tyrannie. Et que me sert, hélas! cet excès de faveur, Ah ciel! SALSBURY. Elle est coupable, il la faut oublier. LE COMTE D'ESSEX. L'oublier! et ce cœur en deviendroit capable! SCÈNE II. LA DUCHESSE, LE COMTE D'ESSEX. LA DUCHESSE. J'ai causé vos malheurs; et le trouble où vous êtes M'apprend de mon hymen les plaintes que vous faites; Il n'y avait pas plus de sœur de Suffolk que de duc d'Irton. Le comte d'Essex était marié. L'intrigue de la tragédie n'est qu'un roman; le grand point est que ce roman puisse intéresser. On demande jusqu'à quel point il est permis de falsifier l'his. toire dans un poëme? Je ne crois pas qu'on puisse changer, sans déplaire, les faits ni même les caractères connus du public. Un auteur qui représenterait César battu à Pharsale serait aussi ridicule que celui qui, dans un opéra, introduisait César sur la scène, chantant Alla fuga, a lo scampo, signori. Mais quand les événements qu'on traite sont ignorés d'une nation, l'auteur en est absolument le maître. Presque personne en France, du temps de Thomas Corneille, n'était instruit de l'histoire d'Angleterre: aujourd'hui un poëte devrait être plus circonspect. (V.) |