Pour un baiser prêté qui m'a fait cent jaloux Vous avez retenu mon ame prisonnière. Il fait mauvais garder un si dangereux prêt; J'aime mieux vous le rendre avec double intérêt, Et m'acquitter ainsi mieux que je ne mérite ; Mais à de tels paiements je n'ose me fier, Vous accroîtrez la dette en vous laissant payer, Et doublerez mes fers si par-là je m'acquitte : Le péril en est grand, courons-y toutefois, Une prison si belle est trop digne d'envie ; Puissé-je vous devoir plus que je ne vous dois, En peine d'y languir le reste de ma vie!
Que vous sert-il de me charmer? Aminte, je ne puis aimer
Où je ne vois rien à prétendre ;
Je sens naître et mourir ma flamme à votre aspect, Et si pour la beauté j'ai toujours l'ame tendre,
Jamais pour la vertu je n'ai que du respect.
Vous me recevez sans mépris,
Je vous parle, je vous écris,
Je vous vois quand j'en ai l'envie;
Ces bonheurs sont pour moi des bonheurs superflus ; Et si quelque autre y trouve une assez douce vie, Il me faut pour aimer quelque chose de plus.
Le plus grand amour sans faveur, Pour un homme de mon humeur, Est un assez triste partage;
Je cède à mes rivaux cet inutile bien, Et qui me donne un cœur, sans donner davantage, M'obligeroit bien plus de ne me donner rien.
Je suis de ces amants grossiers Qui n'aiment pas fort volontiers
• Recueil de Sercy, cinq. part., page 95.
Sans aucun prix de leurs services,
Et veux, pour m'en payer, un peu mieux qu'un regard ;
Et l'union d'esprit est pour moi sans délices
Si les charmes des sens n'y prennent quelque part.
Qu'on te flatte, qu'on te baise, Tu ne t'effarouches point,
Phylis, et le dernier point Est le seul qui te déplaise. Cette amitié de milieu Te semble être selon Dieu, Et du ciel t'ouvrir la porte : Mais détrompe-toi l'esprit : Quiconque aime de la sorte Se donne au diable à crédit.
LII. RONDEAU 2.
Je pense, à vous voir tant d'attraits, Qu'Amour vous a formée exprès Pour faire que sa fête on chomme; Car vous en avez une somme Bien dangereuse à voir de près. Vous êtes belle plus que très, Et vous avez le teint si frais,
Qu'il n'est rien d'égal (au moins comme Je pense) à vous.
Vos yeux, par des ressorts secrets, Tiennent mille cœurs dans vos rets; Qui s'en défend est habile homme : Pour moi qu'un si beau feu consomme, Nuit et jour, percé de vos traits, Je pense à vous.
Ainsi du Dieu vivant la bonté surprenante Verse, quand il lui plaît, sa grace prévenante; Ainsi du haut des cieux il aime à départir Des biens dont notre espoir n'osoit nous avertir. Comme ses moindres dons excèdent le mérite, Cette même bonté seule l'en sollicite; Il ne consulte qu'elle, et, maître qu'il en est, Sans devoir à personne, il donne à qui lui plaît.
Telles sont les faveurs que ta main nous partage, Grand roi, du Roi des rois la plus parfaite image: Tel est l'épanchement de tes nouveaux bienfaits ; Il prévient l'espérance, il surprend les souhaits, Il passe le mérite, et ta bonté suprême Pour faire des heureux les choisit d'elle-même. Elle m'a mis du nombre, et me force à rougir De ne me voir qu'un zèle incapable d'agir. Son excès dans mon cœur fait des troubles étranges. Je sais que je te dois des vœux et des louanges, Que ne t'en pas offrir c'est te les dérober; Mais si j'y fais effort, je cherche à succomber, Et le plus beau succès que ma muse en obtienne Profanera ta gloire et détruira la mienne.
Je veux bien l'immoler tout entière à mon roi : Mais, si je n'en ai plus, je ne puis rien pour toi; Et j'en dois prendre soin, pour éviter le crime D'employer à te peindre un pinceau sans estime.
Il n'est dans tous les arts secret plus excellent Que de savoir connoître et choisir son talent. Pour moi qui de louer n'eus jamais la méthode, J'ignore encor le tour du sonnet et de l'ode. Mon génie au théâtre a voulu m'attacher;
• Corneille composa cette pièce pour remercier le roi de l'avoir compris dans le nombre des savants célèbres à qui il avoit accordé des gratifications, en 1662. On la trouve à la suite du poëme sur les Victoires du Roi. Voyez la Continuation de l'Histoire de l'Académie françoise, in-12, page 155. (OŒuvres diverses de P. Corneille.)
Il en a fait mon sort, je dois m'y retrancher; Partout ailleurs je rampe, et ne suis plus moi-même : Mais là j'ai quelque nom, là quelquefois on m'aime ; Là ce même génie ose de temps en temps Tracer de ton portrait quelques traits éclatants. Par eux de l'Andromède il sut ouvrir la seène ; On y vit le Soleil instruire Melpomène, Et lui dire qu'un jour Alexandre et César Sembleroient des vaincus attachés à ton char : Ton front le promettoit, et tes premiers miracles Ont rempli hautement la foi de mes oracles. A peine tu parois les armes à la main, Que tu ternis les noms du Grec et du Romain; Tout tremble, tout fléchit sous tes jeunes années : Tu portes en toi seul toutes les destinées; Rien n'est en sûreté s'il ne vit sous ta loi: On t'offre, ou, pour mieux dire, on prend la paix de toi : Et ceux qui se font craindre aux deux bouts de la terre, Pour ne te craindre plus renoncent à la guerre.
Ton hymen est le sceau de cette illustre paix : Sur ces grands incidents tout parle, et je me tais ; Et, sans me hasarder à ces nobles amorces, J'attends l'occasion qui s'arrête à mes forces. Je la trouve, et j'en prends le glorieux emploi, Afin d'ouvrir ma scène encore un coup pour toi : J'y mets la Toison d'or; mais, avant qu'on la voie, La paix vient elle-même y préparer la joie; L'Hymen l'y fait descendre; et de Mars en courroux Par ta digne moitié j'y romps les derniers coups.
On te voyoit dès-lors à toi seul comparable Faire éclater partout ta conduite adorable, Remplir les bons d'amour, et les méchants d'effroi. Jusque là toutefois tout n'étoit pas à toi;
Et, quelques doux effets qu'eût produits ta victoire, Les conseils du grand Jule' avoient part à ta gloire. Maintenant qu'on te voit en digne potentat
Réunir en ta main les rênes de l'état, Que tu gouvernes seul, et que, par ta prudence, Tu rappelles des rois l'auguste indépendance,
Il est temps que d'un air encor plus élevé
Je peigne en ta personne un monarque achevé; Que j'en laisse un modèle aux rois qu'on verra naître, Et qu'en toi pour régner je leur présente un maître. C'est là que je saurai fortement exprimer L'art de te faire craindre, et de te faire aimer; Cet accès libre à tous, cet accueil favorable Qu'ainsi qu'au plus heureux tu fais au misérable. Je te peindrai vaillant, juste, bon, libéral, Invincible à la guerre, en la paix sans égal : Je peindrai cette ardeur constante et magnanime De retrancher le luxe et d extirper le crime ; Ce soin toujours actif pour les nobles projets, Toujours infatigable au bien de tes sujets ; Ce choix des serviteurs fidèles, intrépides, Qui soulagent tes soins, mais sur qui tu présides, Et dont tout le pouvoir qui fait tant de jaloux N'est qu'un écoulement de tes ordres sur nous. Je rendrai de ton nom l'univers idolâtre : Mais pour ce grand chef-d'œuvre il faut un grand theatre. Ouvre-moi donc, grand roi, ce prodige des arts, Que n'égala jamais la pompe des Césars, Ce merveilleux salon où ta magnificence Fait briller un rayon de sa toute-puissance; Et peut-être, animé par tes yeux de plus près, J'y ferai plus encor que je ne te promets. Parle, et je reprendrai ma vigueur épuisée Jusques à démentir les ans qui l'ont usée. Vois comme elle renaît dès que je pense à toi, Comme elle s'applaudit d'espérer en mon roi! Le plus pénible effort n'a rien qui la rebute : Commande, et j'entreprends; ordonne, et j'exécute.
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