Imágenes de páginas
PDF
EPUB

LETTRES INÉDITES.

LETTRES A L'ABBÉ DE PURE'.

I.

A Rouen, ce 19 de mai 1658.

MONSIEUR,

J'appris hier, à mon retour de la campagne, où j'ai passé huit jours, les nouvelles obligations que je vous ai, par le riche présent que vous m'avez fait; et si la haute estime que j'ai pour tout ce qui part de vous, et la satisfaction que j'ai reçue de la lecture de vos trois premières parties de la Précieuse, m'en firent d'abord attendre une entière de cette conclusion, mon frère, qui l'avoit lue et admirée, m'en fut un garant assez assuré pour en tenir le jugement moins suspect que la modestie avec laquelle vous me préparez à souffrir des défauts qu'il n'y a pu remarquer. C'est par lui que je sais déja avec quelle délicatesse et de termes et de pensées vous continuez à examiner les questions les plus subtiles de l'amour, surtout en voulant établir l'union pure des esprits exempts de la foiblesse qui nous impose la nécessité du mariage. Il avoue qu'il n'en connoît pas tout le fin, et il se persuade que l'interruption d'Eulalie, qui se plaint de voir employer son nom dans un roman, n'est pas le seul endroit qui ait ses secrets réservés. Mais il trouve tant de liberté d'esprit dans la manière agréable dont vous traitez vos idées les plus mystérieuses, qu'il voit partout sujet d'admirer l'heureuse fécondité de votre génie, et me laisse dans la certitude que je n'y rencontrerai rien qui ne me satisfasse pleinement, si j'en excepte la première page, qui me défend d'espérer une plus ample suite d'un ouvrage si galant, après cette quatrième partie. Voilà, monsieur, tout ce que je vous dirai aujourd'hui là-dessus, car vous me dispenserez de faire une réponse précise à la belle et obligeante lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Elle porte ce merveilleux caractère qui ne vous permettra jamais de vous déguiser, mais elle ne me persuade pas; et, quelque défiance que vous preniez plaisir à témoigner de vous-même, vous connoissez trop bien ce que vous valez pour appréhender la critique la plus rigoureuse. Si quelque scrupule vous embarrasse, vous n'avez qu'à vous consulter pour en sortir; et quand vous aurez subi votre propre censure, vous êtes assuré de l'approbation du public. Cependant je me réjouis du secret que vous avez trouvé de me faire faire des souhaits pour les avantages de MM. de l'hôtel de Bourgogne. J'apprends que vous leur donnez une pièce de théâtre qu'ils se préparent à représenter dans peu de temps. J'en attends le succès avec impatience, et je me le figure déja aussi glorieux que je le souhaite, non pas tant à cause que vos amis les plus éclairés publient qu'ils n'ont rien vu de plus achevé, que parceque je suis convaincu qu'il ne peut rien partir de vous qui n'en soit digne.

Michel de Pure, à qui Boileau a donné une triste célébrité, mourut en 1680. Quelle que soit la médiocrité de ses écrits, on se souviendra toujours qu'il fut lié avec les deux Corneille.

2 C'est le titre d'un roman de l'abbé de Pure.

Le mariage de mademoiselle Le Ravon, si précipité, est une aventure assez surprenante; mais pour moi, je n'y en vois pas davantage qu'au voyage de M. de Beauchâteau 2 en Angleterre. Il a voulu produire son cher fils à l'Altesse protectrice; et elle s'est lassée du veuvage. Je m'imagine que ses camarades ont été assez alarmés de son dessein, dans l'appréhension qu'elle ne choisît pas un mari d'assez bonne humeur pour lui souffrir encore la comédie. Nous attendons ici les deux beautés que vous croyez devoir disputer cet hiver d'éclat avec la sienne. Au moins ai-je remarqué en mademoiselle Rejac grande envie de jouer à Paris; et je ne doute point qu'au sortir d'ici cette troupe n'y aille passer le reste de l'année. Je voudrois qu'elle voulût faire alliance avec le Marais : elle en pourroit changer la destinée. Je ne sais si le temps pourra faire ce miracle; mais je sais que ces changements n'auront rien assez fort pour diminuer l'ardeur avec laquelle je chercherai, toute ma vie, les occasions de vous témoigner avec quelle passion je suis,

Ostorius, tragédie aussi faiblement conçue que faiblement écrite, et qui n'eut aucun succès. Boileau, dans son dialogue intitulé les Héros de Roman, fait dire à Pluton: « Je ne me souviens point d'avoir jamais nulle part lu ce nom-là dans l'histoire; et aucun de ses nombreux commentateurs n'a remarqué que l'abbé de Pure avait pris son sujet dans Tacite, Annal., liv. Xır.

2 François Châtelet de Beauchâteau étoit gentilhomme. Il embrassa la carrière du théâtre en 1643, y joua avec succès les premiers rôles, et mourut en 1665. Son fils, dont il est question ici se fit connoître dès l'âge de huit ans par plusieurs petites piè. ces de vers, qui ont été recueillies et publiées en 1657, in-4°.

MONSIEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur, CORNEILLE.

Mon frère vous est infiniment obligé de l'honneur de votre sou

venir, et vous assure pour moi de ses très humbles services.

wwmw

II.

A Rouen, ce 4 d'avril 1659.

MONSIEUR,

Ne croyez pas que je sois assez téméraire pour m'engager à plus que je ne puis, en songeant à vous attirer à un combat dont je sais que je ne pourrois me tirer qu'avec honte. Nos forces ne sont point égales, et l'heureuse facilité que vous avez à faire de belles et merveilleuses lettres ne me laisse aucune envie d'entrer en différend avec vous. Ainsi, dispensez-moi de vous faire un compliment étudié pour vous prier d'agréer le mauvais présent que je vous fais. Ce sont deux pièces de théâtre qui vous ont fait écrire de plus belles choses que vous n'y en remarquerez. Je vous les envoie, et l'aurois fait même sans les accompagner d'une lettre, si je n'avois eu une grace à vous demander: c'est, monsieur, de souffrir que je vous en adresse pour deux de nos plus illustres amis, MM. de Brébœuf1 et Lucas2, et d'avoir la bonté de les leur faire tenir de ma part. Après cela je fais retraite, et ne trouve rien à souhaiter, pourvu que vous soyez persuadé autant que je le souhaite de la passion avec laquelle je suis,

MONSIEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur, CORNEILLE.

J'apprends que les trois troupes se maintiennent à Paris. Je ne sais ce qui arrivera des deux foibles, mais je vais commencer à

Le traducteur de la Pharsale.

2 Père du célèbre voyageur de ce nom.

travailler au hasard. Tiendrez-vous parole à mademoiselle des Urlis'?

Mon frère vous assure de ses services, et a donné charge à M. Courbé de vous porter son Edipe.

w

III.

A Rouen, ce ter de décembre 1659.

MONSIEUR,

Il n'est point un ami plus obligeant que vous, et je ne sanrois assez vous remercier du soin que vous vous êtes donné de voir M. Magnon en ma faveur. Je vous l'aurois néanmoins épargné, si j'eusse prévu que M. de la Coste eût dû vous écrire sur le bruit qui couroit d'un double Stilicon. J'en ai assez bien jugé pour avoir toujours cru que c'étoit une fausse alarme, et vous m'auriez rendu un mauvais office auprès de M. Magnon 2, si vous lui aviez laissé croire que j'eusse besoin de l'assurance qu'il me donne pour n'appréhender pas le péril de la contrefaçon. Je reçois sa lettre comme une civilité obligeante, et je lui ferois tort, si, doutant qu'il fût capable de se manquer à soi-même, je me persuadois que la considération de mes intérêts eût contribué quelque chose à l'éloigner d'une entreprise qu'on lui a faussement imputée. J'ai cru devoir abondonner le sujet de Stratonice qui me plaisoit fort, seulement à cause que M. Quinault étoit plus avancé de deux cents vers que moi 3; et je n'ai rien fait, en ce rencontre, que ce que j'imagine qu'un autre feroit pour moi dans une pereille occasion. J'ai eu bien de la joie de ce que vous avez écrit d'Oreste et de Pylade, et suis fâché en même temps que la haute opinion que M. de La Cleville avoit du jeu de MM. de Bourbon n'ait pas été remplie avantageusement pour lui. Tout le monde dit qu'ils ont joué détestablement sa pièce : et le grand monde qu'ils ont eu à leur farce des Précieuses, après l'avoir quittée, fait bien connoître qu'ils ne

Mademoiselle des Urlis étoit femme de Brécourt, auteur et acteur de la troupe de

Molière.

2 Jean Magnon, auteur de plusieurs tragédies, fut assassiné en 1662. Il avolt été le camarade et l'ami de Molière.

La Stratonice de Quinault parut le 2 janvier 1660.

4 Les Précieuses ridicules de Molière furent jouées, pour la première fois, le 18 novembre 1659.

sont propres qu'à soutenir de pareilles bagatelles, et que la plus forte pièce tomberoit entre leurs mains.

M. de Sourdéac fait toujours travailler à la machine, et j'espère qu'elle paroîtra à Paris sur la fin de janvier. J'y serai auparavant pour Stilicon', et c'est là que je me réserve à vous mieux exprimer de bouche combien je me tiens votre obligé, et à quel point je suis,

[blocks in formation]

Vous devez avoir été bien surpris de mon silence après le beau présent que vous m'avez fait; mais vous le serez encore davantage, quand je vous dirai que je le reçois présentement, et que sans un de mes amis qui m'a fait savoir qu'il avoit vu un paquet pour moi écrit sur le livre du messager, il auroit encore long-temps demeuré entre ses mains. M. de Luyne 2 qui l'en a chargé n'a point songé à m'en donner avis par la poste, et cette négligence de sa part me rendroit coupable auprès de vous, si vous ne me rendiez assez de justice pour croire que j'ai autant de reconnoissance pour les graces que vous me faites, que d'estime pour toutes les productions de votre esprit. Il y a long-temps que j'admire celles dont vous avez gratifié le public, et je ne doute point que cette dernière ne remplisse l'attente de tout le monde. Si je pouvois obtenir de moi-même de différer un jour à vous témoigner combien je me trouve sensible à ce surcroît d'obligation que vous voulez que je vous aie, je vous rendrois compte de toutes les beautés que je suis assuré de découvrir dans la lecture de cet ouvrage; mais après la confusion que j'ai de vous avoir donné lieu pendant dix jours de me soupçonner d'avoir peu de soin de me rendre digne de vos bontés, il n'y a pas moyen de ne vous pas remercier sur l'heure. J'ai seulement lu votre épître en hate, à laquelle vous avez

Stilicon fut représenté au commencement de l'année 1660.

2 Libraire.

« AnteriorContinuar »