donné cet air galant qui fait l'ame des belles choses, et je me prépare à voir votre livre avec plus de plaisir que ne fera M. Ch.., s'il jette les yeux sur votre préface. Comme j'en ai trouvé deux dans le paquet, j'ai cru que vous en destiniez une à mon frère, quoique vous ne m'en parliez point dans votre lettre, et il me charge de vous en faire ses compliments. J'ai bien de la joie de la résolution où vous êtes de donner votre pièce à MM. du Marais. Pourvu que Lafleur 1 y ait grand emploi, elle ne peut manquer de réussir hautement. On l'admire hautement. On l'admire ici, et on er fort satisfait du reste de la troupe. Je ne laisse pas de douter si ce sera la même chose à Paris, et si les deux nouveaux acteurs y seront traités avec autant d'indulgence qu'ils le sont ici. Vous les examinerez, et résoudrez alors plus fortement de toutes choses; car, quelque attachement que j'aie pour cette compagnie, j'ai un respect pour vous qui ne me permet pas de vous rien demander contre vos intérêts. C'est ce que vous conjure de croire, MONSIEUR, Votre très humble et très J'ai fait deux actes d'une pièce dont je ne suis pas très satisfait; mais il est trop tard pour prendre un autre dessein. mmww EXTRAIT DES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE, TRADUITES EN VERS PAR TH. CORNEILLE. PRÉFACE. Il y a plus de vingt ans 2 que je fis paroître la traduction en vers françois des six premiers livres des Métamorphoses d'Ovide. Elle fut reçue assez favorablement pour m'obliger à ne la pas laisser imparfaite. Le travail avoit de quoi m'étonner par sa longueur, et il avoit des difficultés qui ne pouvoient être surmontées que par le temps, qui a coutume de faire venir à bout de toutes les choses qu'on entreprend. Un autre, sans doute, auroit beaucoup mieux imité que moi les graces de l'original. J'ai travaillé selon mon foible génie, et j'ai cru ne pouvoir rien faire de mieux que de garder pendant plusieurs années la traduction entière de ce grand ouvrage, pour être plus en état d'en connoître les défauts, parcequ'on se pardonne ordinairement beaucoup de choses dans la chaleur de la composition. Si je me suis quelquefois donné la liberté d'étendre quelques endroits, c'a été sans avoir mêlé mes pensées à celles de mon auteur; mais j'ai cru qu'il pouvoit m'ètre permis de ne point tant chercher la brièveté du style que le repos du vers le plus agréable à l'oreille; et j'en ai fait d'autant moins de scrupule, que toutes les fables dont il a fait le tissu de son admirable poëme étant différentes les unes des autres, je les ai regardées comme autant de chapitres où le lecteur se peut arrêter, sans qu'il soit obligé de se souvenir de ce qu'il a lu, pour entendre ce qui lui reste encore à lire. Je me suis particulièrement attaché à ne rien omettre, et pour n'y laisser aucune obscurité, j'ai ajouté de temps en temps un vers ou deux qui expliquent ce qui a besoin de commentaire dans l'original, mais sans rien changer dans la pensée. J'ai encore plus fait. J'ai employé plusieurs vers en divers endroits, pour donner l'intelligence parfaite de certaines fables, comme dans celle d'Érichton', où je n'ai pas cru que ce fût assez de dire que c'étoit un enfant né sans mère, si je ne faisois connoître le mystère de cette naissance. Ovide écrivoit dans un temps où ces matières étoient si généralement connues, qu'il lui suffisoit d'en dire un mot pour se faire entendre, ce qui l'obligeoit à s'arrêter sur ce qui lui sembloit le plus riant pour la poésie. Ainsi, dans la fable de Danaé 2, il s'est contenté de dire que Jupiter avoit eu d'elle un fils appelé Persée; et dans celle d'Andromède 3, que Persée voyant cette infortunée princesse attachée à un rocher, prête à être dévorée d'un monstre, résolut de le combattre pour l'en garantir; et il m'a paru bon d'expliquer comment Jupiter avoit été obligé de se changer en * Cet acteur succéda à Montfleury dans l'emploi des rois, et joua d'original le rôle d'Acomat dans Bajazet. * Cette préface fut imprimée en 1697. Dès 1669, Thomas Corneille avoit livré au public les deux premiers livres de sa traduction. pluie d'or pour voir Danaé, et par quelle injure reçue les néréides avoient obtenu de Neptune qu'il envoyat un monstre marin pour ravager le royaume de Céphée. Il est assez difficile de deviner ce qu'Ovide a prétendu faire entendre sur la fin du quatrième livre, quand, faisant raconter au même Persée de quelle manière il étoit venu à bout de couper la tête à Méduse, il ne lui fait rien dire autre chose, sinon qu'étant arrivé en un lieu environné de hautes murailles, où demeuroient deux sœurs qui n'avoient qu'un œil qu'elles se prêtoient tour-à-tour, il eut l'adresse de le dérober en avançant sa main dans l'instant que l'une croyoit le donner à l'autre, et que de là il se rendit au palais de Méduse par des chemins entrecoupés de rochers et de forêts. On ne connoît rien à ces deux sœurs, et on ne voit point ce que cet œil dérobé devoit contribuer à sa victoire, en sorte que cet endroit seroit demeuré obscur si je n'avois expliqué la fable des Grecs, qui n'est peut-être connue que de fort peu de personnes; mais, afin que l'on remarque ce que j'ai cru devoir prêter à Ovide, j'ai fait imprimer en caractère italique tout ce qui n'est point dans l'original. Je me suis assujetti dans tout le reste à n'exprimer que ce que dit mon auteur. J'ai pourtant changé quelque chose dans un endroit où il semble se contredire lui-même. C'est dans le reproche qu'il fait faire par Penthée aux vieillards de Thèbes, qui, après s'être exilés de Tyr, leur patrie, et avoir passé de vastes mers pour venir bâtir leur nouvelle ville, ont la lácheté de se vouloir soumettre à Bacchus. Tous ceux qui avoient suivi Cadmus, quand Agénor lui ordonna d'aller chercher sa sœur Europe, avoient péri, ou par les morsures, ou par l'haleine empestée du serpent de Mars; et Cadmus étant resté seul de cette défaite, c'est à lui seul que j'ai cru que Penthée pouvoit adresser la parole. J'aurois encore quelques légères remarques à faire sur de pareilles difficultés, mais il ne sera pas malaisé de concevoir la raison qui m'a fait transposer ou changer quelques vers, partout où l'on s'apercevra qu'il y aura du changement ou de la transposition. Je ne parle point des anachronismes. Plusieurs tiennent qu'il ne faut point observer d'ordre de temps dans les fables, et il ya grande apparence qu'Ovide étoit de ce sentiment, puisqu'en traitant l'aventure de Phaéton, il dit que les étoiles de l'Ourse, échauffées pour la première fois des rayons dont il étoit environné dans le char du Soleil son père, tâchèrent inutilement de se plon ger dans la mer pour s'en garantir. Cependant Calisto n'avoit point encore été changée en astre, puisque nous voyons par la suite que Jupiter ne prit de l'amour pour elle que lorsqu'il alla réparer dans l'Arcadie les désordres que l'embrasement du monde, causé par Phaéton, y avoit produits... Ce seroit ici le lieu de parler de différentes beautés que l'on admire dans l'original, et qui ont fait acquérir au fameux Ovide une gloire qui portera son nom jusque dans la postérité la plus éloignée; mais qui ne les connoît pas, et quelle nation ne s'est pas empressée à traduire les Métamorphoses? Les Grecs même, qui se vantent d'avoir ouvert le chemin des sciences à toute la terre, et de n'avoir eu besoin du secours d'aucun autre peuple pour les acquérir, n'ont pas dédaigné de les mettre en vers dans leur langue, tant ce merveilleux ouvrage leur a paru digne d'être lu, comme étant un parfait modèle de tout ce qui est à imiter ou à fuir dans la vie humaine et dans la civile. Cela est si vrai, que si l'on examine bien les fables, on reconnoîtra qu'elles contiennent non seulement ce qu'il y a de plus excellent dans les plus nobles sciences, mais encore les plus beaux secrets de la morale, de la physique, et même de la politique. C'est ce qui a fait dire à Platon que les sages de l'antiquité avoient voulu qu'elles fussent le premier lait que l'on fit sucer aux hommes, qui devoient les considérer comme un aliment qui passe dans l'esprit sans peine, et qui, l'entretenant agréablement, le rend enfin capable d'une plus solide nourriture. En effet, quelles grandes utilités ne tire-t-on pas de la connoissance de la fable qui nous donne de si belles instructions de morale, en nous apprenant à nous gouverner dans l'une et dans l'autre fortune, en détournant notre esprit des passions déréglées par les exemples qu'elle nous propose des malheurs arrivés à ceux qui s'y sont abandonnés, et en nous enseignant la crainte de Dieu, crainte salutaire, qui vaut seule toutes les vertus ensemble ? L'ENVIE '. Au fond d'une vallée étroite, obscure, affreuse, L'Envie avidement, ainsi qu'à l'ordinaire, : INVIDIA. . Domus est imis in vallibus antri Abdita, sole carens, non ulli pervia vento, 4OVID., lib. II, 761. |