Ici le char de Mars, là celui de Bellone; Que la Victoire vole, et que les grands exploits Soient portés en tous lieux par la nymphe à cent voix? Qu'ont la terre et la mer, si l'on n'ose décrire Ce qu'il faut de tritons à pousser un navire, Cet empire qu'Éole a sur les tourbillons, Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons? Tous ces vieux ornements, traitez-les d'antiquailles : Moi, si jamais je peins Saint-Germain et Versailles, Les nymphes, malgré vous, danseront tout autour; Cent demi-dieux follets leur parleront d'amour; Du satyre caché les brusques échappées Dans les bras des sylvains feront fuir les napées; Et, si je fais baller pour l'un de ces beaux lieux, J'y ferai malgré vous trépigner tous les dieux.
Vous donc, encore un coup, troupe docte et choisie, Qui nous forgez des lois à votre fantaisie, Puissiez-vous à jamais adorer cette erreur Qui pour tant de beautés inspire tant d'horreur, Nous laisser à jamais ces charmes en partage, Qui portent les grands noms au-delà de notre âge! Et, si le vôtre atteint quelque postérité, Puisse-t-il n'y traîner qu'un vers décrédité!
En matière d'amour je suis fort inégal; J'en écris assez bien, et le fais assez mal; J'ai la plume féconde, et la bouche stérile, Bon galant au théâtre, et fort mauvais en ville: Et l'on peutarement m'écouter sans ennui, Que quand je me produis par la bouche d'autrui.
Voilà, monsieur, une petite peinture que je fis de moi-même if ya près de vingt ans. Je ne vaux guère mieux à présent. Quoi qu'il en soit, monsieur le suriutendant a voulu savoir ces six vers; et je ne suis point fâché de lui avoir fait voir que j'ai tou
* Ce billet a été imprimé pour la première fois dans le recueil des OEuvres diverses, déja cité. * Fouquet.
jours eu assez d'esprit pour connoître mes défauts, malgré l'amour-propre qui semble être attaché à notre métier. J'obéis done sans répugnance aux ordres qu'il lui a plu m'en donner, et vous supplie de me ménager un moment d'audience pour prendre congé de lui, puisqu'il a voulu que je l'importunasse encore une fois. II me témoigna, dimanche dernier, assez de bonté pour me faire espérer qu'il ne dédaignera pas de prendre quelque soin de moi; et je ne doute point que tôt ou tard elle n'aie son effet, principalement quand vous prendrez la peine de l'en faire souvenir. Je me promets cela de la généreuse amitié dont vous m'honorez, et suis à vous de tout mon cœur.
SUR LA POMPE DU PONT NOTRE-DAME '.
Que le dieu de la Seine a d'amour pour Paris! Dès qu'il en peut baiser les rivages chéris, De ses flots suspendus la descente plus douce Laisse douter aux yeux s'il avance ou rebrousse; Lui même à son canal il dérobe ses eaux, Qu'il y fait rejaillir par de secrètes veines; Et le plaisir qu'il prend à voir des lieux si beaux, De grand fleuve qu'il est, le transforme en fontaines.
VIS-A-VIS LE LOUVRE.
C'est trop gémir, nymphes de Seine, Sous le poids des bateaux qui cachent votre lit, Et qui ne vous laissoient entrevoir qu'avec peine Ce chef-d'œuvre étonnant dont Paris s'embellit,
Cette pièce, ainsi que les deux suivantes, est traduite du latin de Santeuil, et se trouve parmi ses OŒuvres.
Dont la France s'enorgueillit.
Par une route aisée, aussi bien qu'imprévue, Plus haut que le rivage un roi vous fait monter:
Qu'avez-vous plus à souhaiter?
Nymphes, ouvrez les yeux, tout le Louvre est en vue.
SUR LE CANAL DU LANGUEDOC,
POUR LA JONCTION DES DEUX MERS.
IMITATION D'UNE PIÈCE LATINE DE PARISOT, AVOCAT DE TOULOUSE.
La Garonne et l'Atax dans leurs grottes profondes Soupiroient de tous temps pour voir unir leurs ondes, Et faire ainsi couler par un heureux penchant Les trésors de l'aurore aux rives du couchant; Mais à des vœux si doux, à des flammes si belles, La nature, attachée à ses lois éternelles, Pour obstacle invincible opposoit fièrement Des monts et des rochers l'affreux enchaînement. France, ton grand roi parle, et ces rochers se fendent, La terre ouvre son sein, les plus hauts monts descendent; Tout cède, et l'eau qui suit les passages ouverts Le fait voir tout puissant sur la terre et les mers.
SUR SA LIBÉRALITÉ ENVERS LES MARCHANDS DE LA VILLE DE PARIS.
Chantez, peuples, chantez la valeur libérale, La bonté de Louis à son grand cœur égale : Du trône, d'où ses soins insultent les remparts, Forcent les bastions, brisent les boulevards, Il vous rend cette main qui lance le tonnerre; Et quand vous lui portez des secours pour la guerre, Qu'à tout donner pour lui vous vous montrez tout prêts,
Ces vers sont imités d'une pièce latine dont nous ignorons l'auteur, et qui fut imprimée avec la traduction de Corneille en 1674.
Il vous rend et vos dons, et d'heureux intérêts. Ainsi quand du soleil la course rayonnante Fait rouler dans les cieux sa pompe dominante, Qu'en maître souverain de ce brillant séjour Il règle les saisons et dispense le jour, Il ne dédaigne point d'épandre ses lumières Sur les sables déserts et les tristes bruyères, Et, sans que pour régner il veuille aucun appui, Il aime à voir l'amour que la terre a pour lui; La terre qui l'adore exhale des nuages Qui du milieu des airs lui rendent ses hommages; Mais il n'attire à lui cette semence d'eaux Que pour la distiller en de féconds ruisseaux, Et de tous les présents que lui fait la nature Il n'en reçoit aucun sans rendre avec usure.
O vous, célèbre corps, à qui de l'univers Tous les bords sont connus et tous les ports ouverts; Vous, par qui les trésors des plus heureuses plages Viennent de notre France enrichir les rivages, Oyez ce qu'au milieu du bruit de cent canons Votre grand roi prononce en faveur de vos dons, Ce qu'en votre faveur la muse me révèle! Peuples, dit ce héros, je connois votre zèle, J'en aime les efforts, et dans tout l'avenir J'en saurai conserver l'amoureux souvenir; Vous n'avez que trop vu ce qu'ose l'Allemagne, Ce que fait la Hollande, et qu'a tramé l'Espagne, Ce que leur union attente contre moi. Plus l'attentat est grand, plus grande est votre foi, Et vous n'attendez point que je vous fasse dire Comme il faut soutenir ma gloire et mon empire; Vous courez au-devant, et prodiguez vos biens Pour en mettre en mes mains les plus aisés moyens; C'est votre seul devoir qui pour moi s'intéresse; C'est votre pur amour qui pour moi vous en presse : Je le vois avec joie. A ces mots ce vainqueur, Sur son peuple en vrai père épanchant son grand cœur, Fait prendre ces présents, qu'un léger intervalle Renvoie accompagnés de sa bonté royale.
C'est assez, poursuit-il, d'avoir vu votre amour;
La tendresse du mien veut agir à son tour. Pour rendre cette guerre à ses auteurs funeste, Sujets dignes de moi, j'ai des trésors de reste ; J'en ai de plus sûrs même et de beaucoup plus grands Que ceux que vous m'offrez, que ceux que je vous rends : J'ai le fond de vos cœurs, et c'est de quoi suffire Aux plus rares exploits où mon courage aspire: C'est aux ordres d'un roi ce qui donne le poids, C'est là qu'est le trésor, qu'est la force des rois. Reprenez ces présents dont l'offre m'est si chère; Si je les ai reçus, c'est en dépositaire, Et je saurai sans eux dissiper les complots Que la triple alliance oppose à mon repos. Ce fruit de vos travaux destiné pour la guerre, Ces tributs que vous font et la mer et la terre, Votre amour, votre ardeur à servir mes desseins, Les rend assez à moi tant qu'ils sont en vos mains; Mes troupes, par moi-même au péril animées, Renverseront sans eux les murs et les armées, J'en ai la certitude; et de vous je ne veux Aucun autre secours que celui de vos vœux; Offrez-les sans relâche au grand Dieu des batailles, Tandis que mes canons foudroieront les murailles, Et devant ses autels, prosternés à genoux, Invoquez-le pour moi, je combattrai pour vous. Là se tait le monarque, et, sûr de ses conquêtes, Aux triomphes nouveaux il tient ses armes prêtes. Cet éclat surprenant de magnanimité
Par la nymphe à cent voix en tous lieux est porté. Que de ravissements suivent cette nouvelle ! Colbert y met le comble en ministre fidèle: Ce grand homme sous lui, maître de ses trésors, Mande par ordre exprès ce grand et nombreux corps, Le force d'admirer des bontés sans mesure,
Et remet en ses mains ses dons avec usure.
De là ces doux transports, ces prompts frémissements
Qui poussent jusqu'au ciel mille applaudissements, Ces vœux si redoublés qui hâtent sa victoire,
Ces titres par avance élevés à sa gloire.
On voit Paris en foule accourir aux autels,
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