Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Et l'amoureux attrait qui règne en leurs bontés
Leur gagne d'un coup d'œil toutes les volontés.
Pourriez-vous en avoir une plus sûre marque,
Belges? vous le voyez, cet illustre monarque,
A vos temples ouverts conduire ses vainqueurs
Pour y bénir le ciel de vos propres bonheurs.
Est-il environné de ces pompes cruelles
Dont à Rome éclatoient les victoires nouvelles,
Quand tout autour d'un char elle voyoit traînés
Des peuples soupirants et des rois enchaînés,
Qu'elle admiroit l'amas des affreux brigandages
D'où tiroient leurs grands noms ses plus grands personnages,
Et des fleuves domptés les simulacres vains

Qui sous des flots de bronze adoroient ses Romains ?
Il n'y fait point porter les dépouiltes des villes,
Comme ses Marius, ses Métels, ses Émiles,
Et ce reste insolent d'avides conquérants,
Grands héros dans ses murs, partout ailleurs tyrans.

Il entre avec éclat, mais votre populace
Ne voit point sur son front de fast ni de menace;
Il entre, mais d'un air qui ravit tous les cœurs,
En père des vaincus, en maître des vainqueurs.
Peuples, repentez-vous de votre résistance;
Il ramène en vos murs la joie et l'abondance;
Votre défaite en chasse un sort plus rigoureux :
Si vous aviez vaincu, vous seriez moins heureux.

On m'en croit, on l'aborde, on lui porte des plaintes;
Il écoute, il prononce, il fait des lois plus saintes;
Chacun reste charmé d'un si facile accès,
Chacun des maux passés goûte le doux succès,
Jure avec l'Espagnol un éternel divorce,
Et porte avec amour un joug reçu par force.
C'est ainsi que la terre, au retour du printemps,
Des graces du soleil se défend quelque temps,
De ses premiers rayons refuit les avantages,
Et pour les repousser élève cent nuages;
Le soleil plus puissant dissipe ces vapeurs,
S'empare de son sein, y fait naître des fleurs,
Y fait germer des fruits; et la terre, à leur vue
Se trouvant enrichie aussitôt que vaincue,

Ouvre à ce conquérant jusques au fond du cœur,
Et, pleine de ses dons, adore son vainqueur.

Poursuis, grand roi, poursuis: c'est par-là qu'on s'assure
Du respect immortel chez la race future;
C'est par-là que le ciel prépare ton Dauphin
A remplir hautement son illustre destin :
Il y répond sans peine, et son jeune courage
Accuse incessamment la paresse de l'âge ;
Toute son ame vole après tes étendards,
Brûle de partager ta gloire et tes hasards,
D'aller ainsi que toi de conquête en conquête.
Conservez, justes cieux, et l'une et l'autre tête;
Modérez mieux l'ardeur d'un roi si généreux :
Faites-le souvenir qu'il fait seul tous nos vœux,
Que tout notre destin s'attache à sa personne,
Qu'il feroit d'un faux pas chanceler sa couronne;
Et, puisque ses périls nous forcent de trembler,
Du moins n'en souffrez point qui nous puisse accabler.

II.

AU ROI,

SUR SON RETOUR DE FLANDRE'

Tu reviens, ô mon roi, tout couvert de lauriers;
Les palmes à la main, tu nous rends nos guerriers;
Et tes peuples, surpris et charmés de leur gloire,
Mêlent un peu d'envie à leurs chants de victoire.

:

Ils voudroient avoir vu comme eux aux champs de Mars
Ton auguste fierté guider tes étendards,
Avoir dompté comme eux l'Espagne en sa milice,
Réduit comme eux la Flandre à te faire justice,
Et su mieux prendre part à tant de murs forcés
Que par des feux de joie et des vœux exaucés.

Nos muses à leur tour, de même ardeur saisies,
Vont redoubler pour toi leurs nobles jalousies,
Et ta France en va voir les merveilleux efforts
Déployer à l'envi leurs plus rares trésors.
Elles diront quels soins, quels rudes exercices,

• Ces vers furent imprimés en 1667, et réimprimés en 1669.

Quels travaux assidus étoient lors tes délices,
Quels secours aux blessés prodiguoit ta bonté,
Quels exemples donnoit ton intrépidité,
Quels rapides succès ont accru ton empire,
Et le diront bien mieux que je ne le puis dire.
C'est à moi de m'en taire, et ne pas avilir
L'honneur de ces lauriers que tu viens de cueillir.
De mon génie usé la chaleur amortie
A leur gloire immortelle est trop mal assortie,
Et défigureroit tes grandes actions
Par l'indigne attentat de ses expressions.
Que ne peuvent, grand roi, tes hautes destinées
Me rendre la vigueur de mes jeunes années !
Qu'ainsi qu'au temps du Cid je ferois de jaloux !
Mais j'ai beau rappeler un souvenir si doux,
Ma veine, qui charmoit alors tant de balustres,
N'est plus qu'un vieux torrent qu'ont tari douze lustres ;
Et ce seroit en vain qu'aux miracles du temps
Je voudrois opposer l'acquis de quarante ans.
Au bout d'une carrière et si longue et si rude
On a trop peu d'haleine et trop de lassitude;
A force de vieillir un auteur perd son rang;
On croit ses vers glacés par la froideur du sang;
Leur dureté rebute, et leur poids incommode;
Et la seule tendresse est toujours à la mode.

Ce dégoût toutefois ni ma propre langueur
Ne me font pas encor tout-à-fait perdre cœur;
Et dès que je vois jour sur la scène à te peindre,
Il rallume aussitôt ce feu prêt à s'éteindre.
Mais comme au vif éclat de tes faits inouïs
Soudain mes foibles yeux demeurent éblouis,
J'y porte, au lieu de toi, ces héros dont la gloire
Semble épuiser la fable et confondre l'histoire,
Et, m'en faisant un voile entre la tienne et moi,
J'assure mes regards pour aller jusqu'à toi.

Ainsi de ta splendeur mon idée enrichie
En applique à leur front la clarté réfléchie,
Et forme tous leurs traits sur le moindre des tiens,
Quand je veux faire honneur aux siècles anciens.
Sur mon théâtre ainsi tes vertus ébauchées

Sèment ton grand portrait par pièces détachées;
Les plus sages des rois, comme les plus vaillants,
Y reçoivent de toi leurs plus dignes brillants.
J'emprunte, pour en faire une pompeuse image,
Un peu de ta conduite, un peu de ton courage;
Et j'étudie en toi ce grand art de régner,
Qu'à leur postérité je leur fais enseigner.
C'est tout ce que des ans me peut souffrir la glace :
Mais j'ai d'autres moi-même à servir en ma place,
Deux fils dans ton armée, et dont l'unique emploi
Est d'y porter du sang à répandre pour toi 1 :
Tous deux ils tâcheront, dans l'ardeur de te plaire,
D'aller plus loin pour toi que le nom de leur père;
Tous deux, impatients de le mieux signaler,
Ils brûleront d'agir, quand je tremble à parler;
Et ce feu qui sans cesse eux et moi nous consume
Suppléera par l'épée au défaut de ma plume.
Pardonne, grand vainqueur, à cet emportement :
Le sang prend malgré nous quelquefois son moment;
D'un père pour ses fils l'amour est légitime;
Et j'ai droit pour les miens de garder quelque estime,
Après qu'en leur faveur toi-même as bien voulu
M'assurer que l'abord ne t'en a point déplu.

Le plus jeune a trop tôt reçu d'heureuses marques :
D'avoir suivi les pas du plus grand des monarques :.
Mais s'il a peu servi, si le feu des mousquets
Arrêta dès Douay ses plus ardents souhaits,
Il fait gloire du lieu que perça la tempête :
Ceux qu'elle atteint au pied ne cachent pas leur tête ;
Sur eux à ta fortune ils laissent tout pouvoir;
Ils s'offrent tout entiers aux hasards du devoir.

De nouveau je m'emporte. Encore un coup, pardonne Ce doux égarement que le sang me redonne; Sa flatteuse surprise aisément nous séduit; La pente est naturelle, avec joie on la suit; Elle fait une aimable et prompte violence, Dont pour me garantir je n'ai que le silence. Grand roi, qui vois assez combien j'en suis confus, Souffre que je t'admire, et ne te parle plus.

Voyez, aux Poésies diverses, no LXIII, la note sur les fils de Corneille.

III.

TRADUCTION ET IMITATIONS

DE L'ÉPIGRAMME LATINE DE M. DE MONTMOR,

PREMIER MAÎTRE DES REQUÊTES DE L'HÔTEL DU ROI.

Fulminat allonitas Scaldis Lodoïcus ad arces,
Intrepidusque hostes terret ubique suos :
Dum tamen augustum caput objectare periclis
Non timet, heu! populos terret et ille suos.

TRADUCTION.

Sur l'Escaut étonné tu lances la tempête,

Grand prince, et fais trembler partout tes ennemis ;
Mais, quand tu ne crains pas d'y hasarder ta tête,
Tu fais trembler aussi ceux que Dieu t'a soumis.

IMITATION.

Tes glorieux périls remplissent tes projets,

Grand roi: mais tu fais peur aux deux partis ensemble;

Et, si devant tes pas toute l'Espagne tremble,

Ces périls où tu cours font trembler tes sujets.

AUTRE.

Ton courage, grand roi, que la gloire accompagne,
Jette les deux partis dans un pareil effroi;
Et si quand tu parois tu fais trembler l'Espagne,
Les lieux où tu parois nous font trembler pour toi.

AUTRE.

Et l'Espagne et les tiens, grand prince, à te voir faire,
De pareilles frayeurs se laissent accabler :
L'Espagne à ton aspect tremble à son ordinaire,
Les tiens par tes périls apprennent à trembler.

« AnteriorContinuar »