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couleurs ordinaires, avant de les repréfenter par des couleurs, que leur donne l'action du feu fur les métaux. Homere dit pofitivement que ces objets repréfentés fur le bouclier d'Achille, étoient diftingués par ies couleurs. On y voyoit, dit-il, des Laboureurs qui formoient des fillons dans un vafte champ, & à mesure que le coutre de la charrue ouvroit la terre, cette terre, toute d'or qu'elle étoit, devenoit noire, telle qu'elle le paroît, quand la charrue y a paffé. Iliad. liv. 18, v. 548. Le même Poëte avoit dit v. 545, qu'à la fin de chaque fillon, un homme préfentoit au Laboureur un verre de vin.

Parlant enfuite d'une vigne que Vulcain y avoit représentée, il dit que les feps étoient d'or, & les grappes noires, ibid. v. 562. Elle étoit, ajoute-t-il, garnie d'échalas d'or, & environnée d'un foffé bleu. D'un autre côté, des lions furieux devoroient un taureau, & avaloient le fang rouge-noir, qui couloit de fes bleffures, v. 183. Pour repréfenter au naturel les taureaux, les boeufs & les geniffes, Vulcain avoit choisi l'or & l'étain, comme des métaux, dont la couleur étoit très-propre à cet effet.

Bien d'autres obfervations fe préfenteroient à faire fur ce bouclier; mais celles-là fuffifent pour infinuer qu'il y avoit du tems d'Homere une forte de Peinture qui fe pratiquoit au moyen du feu ; mais le travail de la tapifferie, où l'on voit dans le même Auteur, que les femmes mettoient en œuvre des laines de diverses couleurs, pour y représenter les objets au naturel, eft une preuve à laquelle on ne peut fe refuser.

Sur les repréfentations d'Hector, Paris ayant pris le parti de terminer la guerre de Troye par un combat fingulier avec Ménélas, Iris va en avertir Héléne, & la trouve occupée à un ouvrage de tapifferie, où elle repréfentoit les combats que fes charmes avoient excités entre les Grecs & les Troyens. Iliade, liv. 3,

V. 125. L'on trouve encore dans le 22. liv. v. 439, que dans le moment qu'Androma que apprit la mort de fon mari Hector, elle travailloit à un morceau de tapisserie où elle formoit des fleurs avec une agréable variété.

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Junon s'apprêtant à tromper Jupiter, prit pour cet effet une robe dont Minerve lui avoit fait préfent, & fur l'étoffe de laquelle cette Déeffe des Arts, qui la premiere fit de la tapifferie, avoit représenté beaucoup de chofes avec un art admirable. Iliade, liv. 14, V. 178.

Homere fait dans le même livre une description charmante de la ceinture de Vénus, que cette Déefle prêta à Junon pour le même motif que ci-deffus. Vénus, dit notre Poëte, v. 214, ôta fa ceinture faite & peint à l'éguille, & repréfentant divers objets..... Prenez, dit-elle à Junon, prenez cette ceinture, où tout eft représenté, &c.

Telles étoient fans doute les fuperbes étoffes dont Hélene fit préfent à Télémaque; celles qu'Hecube' avoit en quantité. Tels auffi les ouvrages magnifiques que faifoit Circé dans le cinquiéme livre de l'Odiffée; & ceux du même genre que Minerve apprit à faire aux filles de Pandare. Ibid. liv. 20, v. 72.

De tous ces exemples il eft facile de conclure en faveur de la Peinture, ce que nous avons remarqué fur le bouclier d'Achille. Il est même très-vraisemblable qu'avant de peindre en tapifferie, on avoit employé des terres colorées naturellement ou par art, pour repréfenter les objets en peinture ordinaire; car il eft bien plus naturel d'employer les couleurs avec le pinceau, que d'imaginer de placer près l'un de l'autre des fils de laine teints de diverfes couleurs pour produire le même effet. Ce dernier Art, quoique fuppofé par les Poëtes une invention de Minerve, n'a dû être imaginé que long-tems

après la Peinture, dont elle paroît n'être qu'une fuite où une imitation. L'art de la Tapiflerie étant donc très-connu dans l'Egypte, à Sidon, en Phrygie, & dans une infinité d'autres lieux du tems de la guerre de Troye, de quelle ancienneté devoit être la Peinture dont il tiroit fon origine. Virgile avoit lû Homere avec beaucoup plus d'attention que Pline; puisqu'en parlant des mêmes tems que ce Poëte Grec fon modéle, il ne fait pas difficulté de fuppofer la Peinture même dans fa perfection, ou du moins très-perfectionnée, lorsqu'il dit, dans fon fixiéme livre, qu'Enée fe reconnut parmi les Héros peints dans les tableaux qui décoroient le Temple de Junon à Carthage.

Ces témoignages doivent fuffire pour prouver l'ancienneté de la Peinture. Les Auteurs poftérieurs à Homere, en font une mention très-pofitive. Il est furprenant que la Peinture & la Sculpture, fi estimées du tems de Polignote, d'Apelles, de Tymante, de Parthafius, de Zeuxis, &c. ayent été fi peu confidérées dans leurs commencemens, qu'Homere, qu'on peut regarder comme un Hiftorien, n'en ait pas fait une mention plus particuliere. Pour faire de fi admirables ouvrages en tapifferie, il eft vraisemblable que de même qu'aujourd'hui, on travailloit fur des patrons, qui par conféquent devoient être au moins auffi beaux que leurs copies. Comment dans ces tems-là ne jugeoit-on pas les noms de leurs Auteurs dignes de la mémoire des hommes ? Les progrès de ces Arts furent peut-être très-peu rapides : ils ne produifirent fans doute pendant long-tems, que des ouvrages trop informes pour mériter des éloges; mais dès qu'ils eurent acquis un certain dégré de confidération, les Artiftes travaillerent à l'envi å les perfectionner, & à fe faire un nom. Les peuples ouvrirent alors les yeux fur l'excellence de ces Arts: on confacra dans les faftes les noms des Peintres

les plus célébres. Les Rhodiens éleverent un Temple à un de leurs Artiftes en ce genre, la Grece dreffa des ftatues aux fiens; les Amphictions crurent que les ouvrages de Polignote n'avoient point de prix, & qu'on ne pouvoit s'acquitter envers lui, qu'en lui décernant des honneurs extraordinaires, & en ordonnant qu'il feroit nourri & reçu aux dépens du Public dans toutes les Villes de la Grece; ce qu'on accordoft qu'à ceux qui, par des actions éclatantes, avoient relevé la gloire de la Patrie. Plutarque.

Si la Peinture n'a pas toujours conservé ce dégré de confidération, elle a cependant toujours été trèseftimée par 'les plus grands hommes. Moyfe, il eft vrai, la défendit aux Ifraëlites, mais il avoit fes raifons; il connoiffoit će peuple très-enclin à l'idolâtrie des Egyptiens, & il voulut lui en ôter jusqu'à la moindre occafion. Séneque a blâmé la Peinture; 'mais le caprice y a eu beaucoup de part, de même que cet efprit de morale fauvage, dont ce Philofophe fait un fi grand étalage dans tous fes écrits. Platon, le divin Platon, en penfoit bien différemment ; le 'foleil, felon lui, fut le premier Peintre; & quelques Auteurs affurent que Platon & Socrate donnerent à la Peinture une partie de leur tems. Mahomet fat auffi l'ennemi de cet Art, & femble vouloir appuyer Ton fentiment fur les raifons de Moyfe; mais ce mauvais copiste d'un original admirable, a farci fon Alcoran de tant de rêveries extravagantes, que fon fentiment n'eft pas d'une grande autorité ; il paroît même qu'il a plutôt condamné les images par une précaution fuperftitieufe, ou par une fuite de la fauffe prudence des Iconoclaftes, que par un véritable motif de religion.

La Peinture peut oppofer à ce petit nombre d'ennemis, les plus grands hommes de tous les fiécles. On la regardoit même dans l'antiquité comme

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un Art au-deffus de la portée du commun, & il n'étoit permis qu'aux grands homines aux gens de condition, de l'exercer. Attale, Roi de Pergame, offrit deux cents foixante mille livres d'un tableau d'Ariftide. Jules Céfar acheta quatre-vingt talens, ou environ vingt-cinq mille écus, un tableau qui repréfentoit Ajax ; & long-tems auparavant, Candaule), Roi de Lidie, avoit donné For à boiffeaux pour un tableau, où l'on voyoit la bataille des Magnetes, peinte par Bularque. Demetrius facrifia fa propre gloire à la confervation d'un tableau de Protogene; il préféra de lever le fiége de, Rhodes, dont il fe feroit infailliblement rendu maître en mettant le feu aux maisons voilines de l'attaque; mais il fçavoit que ce tableau admirable fe trouvoit dans une de ces mailons il aima mieux renoncer à cette conquête, que de l'y faire périr.

Etion, au rapport de Lucien, expofa aux jeux Olympiques un tableau de fa main, représentant les Noces d'Alexandre & de Roxane. Tous les fpectateurs l'admirerent; mais Proxenis, Intendant des Jeux, qui en connoifloit encore mieux le mérite, en fut fi charmé, qu'il offrit fa fille à Etion qui étoit étranger, & n'avoit, dit on, d'autres avantages que fon habileté dans fon Art. Etion devint fon gendre.

Je pourrois rapporter nne infinité d'autres exemples de l'eftime qu'on a fait de la Peinture dans l'antiquité. Mais je renvoye au livre 35. de l'Hiftoire Naturelle de Pline, où cet Auteur parle de cet Art avec tant de goût, de fentiment & d'efprit, qu'on pourroit le regarder en un feus comme un des plus beaux Poëmes qu'on ait jamais fait en fon honneur. Elle s'eft maintenue dans cette confidération, malgré la révolution des Empires, & la barbarie des fiécles d'ignorance: elle a toujours trouvé des protecteurs. Si elle a fouffert quelques éclipfes, elle a reparu avec

tout

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