Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mans ou Chrétiens passent avec raison pour les plus civilisés de toute la Turquie. Les Négocians Européens ne jouissent dans aucun autre lieu d'autant de liberté et de considération de la part du peuple.

L'air d'Alep est très-sec et très-vif, mais en même temps très-salubre pour quiconque n'a pas la poitrine affectée; cependant la ville et son territoire sont sujets à une endémie singulière, que l'on appelle dartre ou bouton d'Alep; c'est en effet un bouton qui d'abord inflammatoire, devient ensuite un ulcère de la largeur de l'ongle. La durée fixe de cet ulcère est d'un an ; il se place ordinairement au visage, et laisse une cicatrice qui défigure la plupart des habitans d'Alep. On prétend même que tout étranger qui fait une ré-sidence de trois mois, en est attaqué; l'expérience a enseigné que le meilleur remède est de n'en point faire. On ne connaît aucune cause à ce mal; mais je soupçonne qu'il vient de la qualité des eaux, en ce qu'on le retrouve dans les villages voisins, dans quelques lieux du Diarbekr, et même en certains cantons près de Damas, où le sol et les eaux ont les mêmes apparences.

Tout le monde a entendu parler des pigeons

d'Alep, qui servent de couriers pour Alexandrette et Bagdad. Ce fait, qui n'est point une fable, 'a cessé d'avoir lieu depuis trente à quarante ans, parce que les voleurs Kourdes se sont avisés de tuer les pigeons. Pour faire usage de cette espèce de poste, l'on prenoit des couples qui eussent des petits, et on les portait à cheval, au lieu d'où l'on voulait qu'ils revinssent, avec l'attention de leur laisser la vue libre. Lorsque les nouvelles arrivaient, le correspondant attachait un billet à la patte des pigeons, et il les làchait. L'oiseau, impatient de revoir ses petits, partait comme un éclair, et arrivait en dix heures d'Alexandrette, et en deux jours de Bagdad. Le retour lui était d'autant plus facile, que sa vue pouvait découvrir Alep à une distance infinie. Du reste, cette espèce de pigeons n'a rien de particulier dans la forme, si ce n'est les narines, qui, au lieu d'être lisses et unies, sont renflées et raboteuses.

Cette facilité d'être vue de loin, attire à Alep des oiseaux de mer qui y donnent un spectacle assez singulier : si l'on monte après dîner sur les terrasses des maisons, et que l'on y fasse le geste de jeter du pain en l'air, bientôt l'on se trouve assailli d'oiseaux, quoique d'abord l'on n'en pût

[ocr errors]

voir aucun ; mais ils planaient dans le ciel, d'où ils descendent tout-à-coup pour saisir à la volée les morceaux de pain que l'on s'amuse à leur lancer.

lée

Après Alep, il faut distinguer Antioche, appepar les Arabes Antakié. Cette ville, jadis célèbre par le luxe de ses habitans, n'est plus qu'un bourg ruiné, dont les maisons de boue et de chaume, les rues étroites etfangeuses, offrent le spectacle de la misère et du désordre. Ces maisons sont placées sur la rive méridionale de l'Oronte, au bout d'un vieux pont qui se ruine: elles sont couvertes au sud par une montagne sur laquelle grimpe une muraille qui fut l'enceinte des Croisés. L'espace entre la ville actuelle et cette montagne, peut avoir deux cents toises; il est occupé par des jardins et des décombres qui n'ont rien d'intéressant.

[ocr errors]

Malgré la rudesse de ses habitans, Antioche étoit plus propre qu'Alep à servir d'entrepôt aux Européens. En dégorgeant l'embouchure de l'Oronte, qui se trouve six lieues plus bas, l'on eût pu remonter cette rivière avec des bateaux à la traîne, mais non avec des voiles, comme l'a prétendu Pocoke : son cours est trop rapide. Les

naturels, qui ne connoissent point le nom d'Orone, l'appellent, à raison de sa rapidité, El aasi (1), c'est-à-dire le rebelle. Sa largeur à Antioche, est d'environ quarante pas; sept lieues plus haut, il passe par un lac très-riche en poissons, et sur tout en anguilles. Chaque année l'on en sale une grande quantité, qui cependant ne suffit point aux carêmes multipliés des Grecs. Du reste, il n'est plus question à Antioche, ni du bois de Daphné, ni des scènes voluptueuses dont il était le théâtre.

La plaine d'Antioche, quoique formée d'un sol excellent, est inerte et abandonnée aux Turkmans; mais les montagnes qui bordent l'Oronte, sur-tout en face de Serkin, sont couvertes de plantations de figuiers, d'oliviers, de vignes et de mûriers, qui, par un cas rare en Turquie, sont alignées en quinconees, et forment un tableau digne de nos plus belles provinces.

Le Roi Macédonien Seleucus Nicator, qui fonda Antioche, avait aussi bâti à l'embouchure de l'Oronte, sur la rive du nord, une ville trèsforte qui portait son nom. Aujourd'hui il n'y reste pas une habitation: seulement l'on y voit

(1) C'est le terme que les Géographes Grecs ont rendu par Axios.

des décombres et des travaux dans le rocher adjacent, qui prouvent que ce lieu fut jadis trèssoigné. L'on apperçoit aussi dans la mer les traces de deux jetées, qui dessinent un ancien port désormais comblé. Les gens du pays y viennent faire la pêche, et appellent ce lieu Sonatdié. Delà, en remontant au nord, le rivage de la mer est serré par une chaîne de hautes montagnes que les anciens Géographes désignent sous le nom de Rhosus: ce nom, qui a dû être emprunté du Syriaque, subsiste encore dans celui de Rás-elKanzir, ou cap du Sanglier, qui forme l'angle de ce rivage.

Le Golfe, qui s'enfonce dans le nord-est, n'est remarquable que par la ville d'Alexandrette ou Skandaroun, dont il porte le nom. Cette ville, située au bord de la mer, n'est, à proprement parler, qu'un hameau sans murailles, peuplé de plus de tombeaux que de maisons, et qui ne doit sa foible existence qu'à la rade qu'il commande. Cette rade est la seule de toute la Syrie dont le fond tienne solidement l'ancre des vaisseaux, sans couper les cables: d'ailleurs, elle a une foule d'inconvéniens si graves, qu'il faut être bien maîtrisé par la nécessité, pour ne pas en abandonner l'usage.

« AnteriorContinuar »