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conséquences redoutables du talion dont j'ai parlé. L'usage peut nous en paraître barbare; mais il a le mérite de suppléer à la justice régulière, toujours incertaine et lente dans des États troublés et presque anarchiques.

Les Druzes ont un autre point d'honneur arabe, celui de l'hospitalité. Quiconque se présente à leur porte à titre de suppliant ou de passager, est sûr de recevoir le logement et la nourriture, de la manière la plus généreuse et la moins affectée. J'ai vu en plusieurs rencontres de simples paysans donner le dernier morceau de pain de leur maison au passant affamé; et lorsque je leur faisais l'observation qu'ils manquaient de prudence: Dieu est libéral et magnifique, répondaient-ils, et tous les hommes sont frères. Aussi personne ne s'avise de tenir auberge dans leur pays, non plus dans le reste de la Turquie. Lorsqu'ils contractent avec leur hôte l'engagement sacré du pain et du sel, rien ne peut par la suite le leur faire violer on en cite des traits qui font le plus grand honneur à leur caractère. Il y a quelques années qu'un Aga de Janissaires, coupable de rebellion, s'enfuit de Damas, et se retira chez les Druzes, Le Pacha le sut et le demanda à l'É

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mir, sous peine de guerre ; l'Émir le demanda au Chaik Talhouq qui l'avait reçu ; mais le Chaik indigné répondit: Depuis quand a-t-on vules Druzes livrer leurs hôtes? Dites à l'Emir que tant que Talhouq gardera sa barbe, il ne tombera pas uncheveu de la tête de son réfugié. L'Émir menaça de l'enlever de force; Talhouq arma sa famille. L'Émir craignant une émeute, prit une voie usitée comme juridique dans le pays ; il déclara au Chaik qu'il feroit couper cinquante mûriers par jour, jusqu'à ce qu'il rendît l'Aga. On en coupa mille et Talhouq resta inébranlable. A la fin, les autres Chaiks indignés prirent fait et cause, et le soulèvement allait devenir général, quand l'Aga se reprochant d'occasionner tant de désordres, s'évada à l'insu même de Talhouq (1).

(1) J'ai trouvé dans un recueil manuscrit d'anecdotes Arabes un autre trait qui, quoiqu'étranger aux Druzes, me semble trop beau pour être omis.

<< Au temps des Califs, dit l'auteur, lorsqu'Abdalah, le « verseur de sang, eut égorgé tout ce qu'il put saisir de des«cendans d'Ommiah, l'un d'eux nommé Ébrahim, fils de « Soliman, fils d'Abd-el- Malek, eut le bonbeur d'échap«per, et se sauva à Koufa, où il entra déguisé. Ne con<< naissant personnne à qui il pût se confier, il entra au hasard << sous le portique d'une grande maison, et s'y assit. Peu

Les Druzes ont aussi le préjugé des Bedouins sur la naissance: comme eux, ils attachent un

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après le maître arrive, suivi de plusieurs valets, descend de «< cheval, entre, et voyant l'étranger, il lui demande qui il « est. Je suis un infortuné, répond Ébrahim, qui te demande « l'asyle. Dieu te protège, dit l'homme riche; entre, et sois <«< en paix. Ébrahim vécut plusieurs mois dans cette maison, <«< sans que son hôte lui fît de questions. Mais lui-même « étonné de le voir tous les jours sortir et rentrer à cheval << à la même heure, se hasarda un jour à lui en demander << la raison. J'ai appris, répondit l'homme riche, qu'un nommé Ébrahim, fils de Soliman, est caché dans cette ville: «< il a tué mon père, et je le cherche pour prendre mon «talion. Alors je connus dit Ébrahim, que Dieu m'avait « conduit là à dessein; j'adorai son décret, et me résignant « à la mort, je répliquai: Dieu a pris ta cause, homme offensé, ta victime est à tes pieds. L'homme riche étonné répondit: O étranger! je vois que l'adversité te pèse, et <«< qu'ennuyé de la vie, tu cherches un moyen de la perdre ; « mais ma main est liée pour le crime. Je ne te trompe pas, « dit Ébrahim : ton père était un tel ; nous nous rencon<< trâmes en tel endroit, et l'affaire se passa de telle et telle «< manière ». Alors un tremblement violent saisit l'homme << riche; ses dents se choquèrent comme à un homme transi « de frold, ses yeux étincelèrent de fureur, et se remplirent << de larmes. Il resta ainsi quelque temps le regard fixé contre « terre ; enfin, levant la tête vers Ébrahim : Demain, le sort,

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dit-il, te joindra à mon père ; et Dieu aura pris mon talion.

Mais, moi, comment violer l'asyle de ma maison? Mal«< heureux étranger, fuis de ma présence; tiens, voilà cent

sequins: sors promptement, et que je ne te revoie jamais.

grand prix à l'ancienneté des familles : cependant l'on ne peut pas dire qu'il en résulte des inconvéniens essentiels. La noblesse des Émirs et des Chaiksneles dispense pas de payer le tribut, en proportion de leurs revenus; elle ne leur donne aucune prérogative, ni dans la possession des biens fonds, ni dans celle des emplois. On ne connaît dans le pays, non plus que dans toute la Turquie, ni droits de chasse, ni glèbe, ni dîmes seigneuriales ou ecclésiastiques, ni francs-fiefs, ni lods et ventes; tout est, comme l'on dit, en francaleu: chacun, après avoir payé son miri, sa ferme ou sa rente, est maître chez soi. Enfin, par un avantage particulier, les Druzes et les Maronites ne payent point le rachat des successions, et l'Émir ne s'arroge pas, comme le Sultan, la propriété foncière et universelle : néanmoins il existe dans la loi des héritages un abus qui a de fàcheux effets. Les pères ont, comme dans le Droit Romain, la faculté d'avantager tel de leurs enfans qu'il leur plaît; et de-là, il est arrivé dans plusieurs familles de Chaiks, que tous les biens se sont rassemblés sur un même sujet,qui s'en est servi pour intriguer et cabaler, pendant que ses parens sont demeurés, comme l'on dit, Princes d'oli

ves et de fromage; c'est-à-dire, pauvres comme

des paysans.

Par une suite de leurs préjugés, les Druzes n'aiment pas à s'allier hors de leurs familles. Ils préfèrent toujours leur parent, fût-il pauvre, à un étranger riche; et l'on a vu plus d'une fois de simples paysans refuser leurs filles à des marchands de Saide et de Baîrout, qui possédaient 12 et 15 mille piastres. Ils conservent aussi jusqu'à un certain point l'usage des Hébreux, qui voulait que le frère épousât la veuve du frère; mais il ne leur est pas particulier, et ils le partagent, ainsi que plusieurs autres de cet ancien peuple, avec les habitans de la Syrie, et en général avec les peuples Arabes.

En résumé, le caractère propre et distinctif des Druzes, est, comme je l'ai dit, une sorte d'esprit républicain qui leur donne plus d'énergie qu'aux autres sujets Turks, et une insouciance de Religion qui contraste beaucoup avec le zèle des Musulmans et des Chrétiens. Du reste, leur vie privée, leurs usages, leurs préjugés sont ceux des autres Orientaux. Ils peuvent épouser plusieurs femmes, et les répudier quand il leur plaît; mais à l'exception de l'Émir et de quelques Notables, les cas

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