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en sont très-rares. Occupés de leurs travaux champêtres, ils n'éprouvent point ces besoins factices, ces passions exagérées, que le désœuvrement donne aux habitans des villes. Le voile que portent leurs femmes est lui-même un préservatif de ces desirs qui troublent la société. Chaque homme ne connaît de visage de femme que celui de la sienne, de sa mère, de sa sœur et de sa bellesœur. Chacun vit au sein de sa famille et se répand peu au-dehors. Les femmes, celles même des Chaiks, pétrissent le pain, brûlent le café, lavent le linge, font la cuisine, en un mot vaquent à tous les ouvrages domestiques. Les hommes cultivent les vignes et les mûriers, construisent des murs d'appui pour les terres, creusent et conduisent des canaux d'arrosement. Seulement le soir ils s'assemblent quelquefois dans la cour, l'aire ou la maison du chef du village ou de la famille; et là, assis en rond, les jambes croisées, la pipe à la bouche, le poignard à la ceinture, ils parlent de la récolte et des travaux, de la disette ou de l'abondance, de la paix ou de la guerre, de la conduite de l'Émir, de la quantité de l'impôt, des faits du passé, des intérêts du présent, des conjectures de l'avenir. Souvent les

enfans, las de leurs jeux, viennent écouter en silence; et l'on est étonné de les voir à dix ou douze ans, raconter d'un air grave pourquoi Djezzâr a déclaré la guerre à l'Émir Yousef, combien le Prince a dépensé de bourses, de combien l'on augmentera le miri, combien il y avait de fusils au camp, et qui possédait la meilleure jument. Ils n'ont pas d'autre éducation: on ne leur fait lire ni les pseaumes, comme chez les Maronites, ni le Qorân, comme chez les Musulmans; à peine les Chaiks savent-ils écrire un billet. Mais si leur esprit est vuide de connoissances utiles ou agréables, du moins n'est-il pas préoccupé d'idées fausses et nuisibles; et sans doute cette ignorance de la nature vaut bien la sottise de l'art. Il en est du moins résulté un avantage, qui est que les esprits étant tous à-peu-près égaux, l'inégalité des conditions ne s'est pas rendue aussi sensible. En effet l'on ne voit point chez les Druzes cette grande distance entre les rangs, qui, dans la plupart des sociétés, avilit les petits sans améliorer les grands. Chaiks ou paysans, tous se traitent avec cette familiarité raisonnable qui ne tient ni de la licence, ni de la servitude. Le grand Emir lui-même n'est point un homme

différent des autres : c'est un bon gentilhomme, campagnard, qui ne dédaigne pas de faire asseoir à sa table le plus simple fermier. En un mot, ce sont les mœurs des temps anciens, c'est-àdire, les mœurs de la vie champêtre, par laquelle toute nation a été obligée de commencer; en l'on peut établir que tout peuple chez qui on les trouve, n'est encore qu'à la première époque de son état social.

sorte que

S. IV. Des Motouális.

A l'orient du pays des Druzes, dans la vallée profonde qui sépare leurs montagnes de celles du pays de Damas, habite un autre petit peuple connu en Syrie sous le nom de Motouâlis. Le caractère qui les distingue des autres habitans de la Syrie, est qu'ils suivent le parti d'Ali, comme les Persans, pendant que tous les Turks suivent celui d'Omarou de Moaouia. Cette distinction, fondée sur le schisme qui l'an 36 de l'Hedjire partagea les Arabes sur les successeurs de Mahomet, entretient, comme je l'ai dit, une haine irréconciliable entre les deux partis. Les sectateurs d'Omar, qui se regardent comme seuls Orthodores, se qualifient de Sonnites, qui a le même

sens, et appellent leurs adverses, Chiites, c'està-dire Sectateurs (d'Ali). Le mot de Motouâli a la même signification dans le dialecte de Syrie. Les sectateurs d'Ali, qui prennent ce nom en mauvaise part, y substituent celui d'Adlié, qui veut dire partisans de la justice (littéralement justiciers); et ils ont pris cette dénomination en conséquence d'un point de doctrine qu'ils ont élevé contre la croyance des Sonnites. Voici ce qu'en dit un petit Ouvrage arabe, intitulé : Fragmens théologiques sur les sectes et religions du monde (1).

«

<< On appelle Adlié ou Justiciers, des sectaires qui prétendent que Dieu n'agit que par des principes de justice conformes à la raison << des hommes. Dieu ne peut, disent-ils, pro<< poser un culte impraticable, ni ordonner des << actions impossibles, ni obliger à des choses << hors de notre portée mais en ordonnant << l'obéissance, il donne la faculté, il éloigne la << cause du mal, il permet le raisonnement ; il << demande ce qui est facile, et non ce qui est «< difficile; il ne rend point responsable de la << faute d'autrui; il ne punit point d'une action

(1) Abârât el Motkallamin fi mazâheb oua Dianât el Dònia,

étrangère; il ne trouve pas mauvais dans

<< l'homme ce que lui-même a créé en lui, et il

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n'exige pas qu'il prévienne ce que la destinée

« a décrété sur lui, parce que cela seroit une

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injustice et une tyrannie dont Dieu est incapable par la perfection de son être ». A cette doctrine, qui choque diamétralement celle des Sonnites, les Moutouâlis ajoutent des pratiques extérieures qui entretiennent leur aversion mutuelle. Par exemple, ils maudissent Omar et Moaouia comme usurpateurs et rebelles : ils célèbrent Ali et Hosain comme saints et martyrs. Ils commencent les ablutions par le coude, au lieude les commencer par le bout du doigt, comme les Turks; ils se réputent souillés par l'attouchement des étrangers; et, contre l'usage général du Levant, ils ne boivent ni ne mangent dans le vase qui a servi à une personne qui n'est pas de leur secte, ils ne s'asseyent même pas à la même table.

Ces principes et ces usages, en isolant les Motouâlis de leurs voisins, en ont fait une société distincte. On prétend qu'ils existent depuis longtemps en corps de nation dans cette contrée ; cependant leur nom n'a point paru avant ce siècle dans les livres ; il n'est pas même sur les cartes

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