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qu'encore qu'on les eût vaincus en guerre & faits prifonniers, on doit les laiffer libres fur ce point. Or je cite volontiers ici ce faint docteur , parce que nous n'avons point de meilleur témoin de la doctrine de fon tems. Il dit donc, fuivant S. Auguftin qu'il cite, que perfonne ne peut croire fans le vouloir, & qu'on ne contraint point la volonté d'où il s'enfuit que la profeffion extérieure du Chriftianifme ne fert de rien, fans la perfuafion intérieure. Car J.C.

a dit: Allez, inftruifez & baptifez; &: Qui croira & fera baptifé, Matth. XXVIII. fera fauvé. Et S. Paul: On croit de cœur pour être juftifié, & on Marc. XVI. 16. confeffe de bouche pour être fauvé. Il n'eft donc permis de bapti- Rom, X. 10. fer des adultes, qu'après les avoir fuffifamment inftruits, & s'être affûré autant qu'on le peut humainement de leur conviction quant à la doctrine, & de leur converfion quant aux mœurs ; & delà venoit cette fainte difcipline de l'antiquité, de préparer au baptême par tant d'instructions & de fi longues épreuves.

Or comment pouvoit-on inftruire ou éprouver des Livoniens, des Pruffiens, des Curlandois, qui le lendemain d'une bataille perduë venoient en foule demander le baptême pour éviter la mort ou l'ef clavage? Auffi dès qu'ils pouvoient fecoüer le joug des vainqueurs, ils retournoient à leur vie ordinaire & à leurs anciennes fuperftitions: ils chaffoient ou tuoient les prêtres, & abattoient les églises. Vous en avez vû plufieurs exemples. De tels hommes font peu touchez des promeffes & des fermens, dont ils ne comprennent ni la force ni les conféquences: c'eft l'objet prefent qui les frappe. Peutêtre eft-ce la caufe de la facilité avec laquelle ces peuples fe font laissez entraîner dans les dernieres héréfies: la religion n'avoit jamais eu chez eux de fondemens assez folides. Je joins à cet exemple un plus récent, celui des Morifques en Espagne.

Y

XIII.

Avantages temporels des Croi fades.

Hifi. liv. LXXX.

22. 2.

Pour revenir aux Croisades de ces pays du Nort, je crains que l'interêt temporel n'y eût autant, ou plus de part que le zéle de la religion. Car les papes donnerent aux chevaliers Teutoniques le domaine & la fouveraineté de toutes les terres qu'ils pourroient conquerir fur les infideles. Je n'examine point ici quel droit avoit le pape, ni quel befoin avoient les chevaliers qu'il autorisat leurs conquêtes: j'obferve feulement le fait ; & je dis qu'il eft à craindre que ces chevaliers ne cherchaffent plus l'accroiffement de que les leur domination que la propagation de la foi, Je croi bien religieux qui prêchoient la Croisade, & inftruifoient les néophytes, avoient une intention droite & un zéle fincere: mais je voi de grandes plaintes contre les chevaliers, de ce qu'ils réduifoient les nou- L. LXXXI, N.2. veaux Chrétiens à une espece de fervitude, & par là détournoient

les autres d'embraffer la foi: en forte que leurs armes nuifoient à

la religion, pour laquelle ils les avoient prifes. Voyez entre autres

le réglement du légat Jaques Pantaleon en 1249. Enfin de ces con- Hift.l.LXXXIII, quêtes fur les Payens font venus les duchez de Pruffe & de Curlande, n. s.

c ij

Franc.

Les Croisades de la Terre fainte dégénérerent auffi avec le tems en affaires temporelles, dont la religion n'étoit plus que le prétexte. Outre les conquêtes des royaumes & des principautez; ces entreprifes produifirent des effets moins brillans, mais plus folides: l'accroiffement de la navigation & du commerce qui enrichit Venife, Genes & les autres villes maritimes d'Italie. L'experience des premieres Croisades fit voir les inconveniens de faire par terre une marche de cinq ou fix cens lieuës pour aller gagner C. P. & la Natolie. On prit le chemin de la mer beaucoup plus court, & les Croifez felon les pays d'où ils venoient, s'embarquerent en Provence, en Catalogne, en Italie, ou en Sicile. Il fallut dans tous les ports multiplier les bâtimens & les équipages, pour paffer tant d'hommes & de chevaux avec les munitions de guerre & de bouche. Ainfi la navigation de la mer Méditerranée, dont les Grecs & les Arabes étoient en poffeffion depuis plufieurs fiecles, tomba entre les mains des Francs; & les conquêtes des Croifez leur affûrerent la liberté du commerce, pour les marchandifes de Grece, de Syrie & d'Egypte, & par confequent pour celles des Indes, qui ne venoient point encore en Europe par d'autres routes. Par là s'enrichirent & s'accrurent les puiffantes républiques de Venife, de Genes, de Pife, de Florence : car outre les ports de mer le commerce s'étendit aux villes où fleuriffoient les arts & les manufactures.

Or je ne doute point qu'un fi puiffant interêt n'ait fervi à la continuation des Croisades; & je croi en voir une preuve dans le traité du Venitien Sanuto, intitulé, les fecrets des fideles de la Croix : où il Gefta Dei per fait tant d'efforts pour perfuader au pape Jean XXII. de procurer le recouvrement de la Terre fainte; car on n'en défefperoit pas encore, quoiqu'en effet il n'y ait plus eu de Croifades. Les interêts particuliers étoient encore confiderables à caufe des grands privileges des Croisez. Ils étoient fous la protection de l'églife, à couvert des Hift. l. LXXVII. pourfuites de leurs créanciers qui ne pouvoient rien leur demander jusques à leur retour, ils étoient déchargez des ufures. C'étoit comme des hommes facrez; il y avoit excommunication de plein droit contre quiconque les attaquoit en leurs perfonnes ou en leurs biens; & comme quelques-uns en abufoient pour retenir le bien d'autrui, Hift. liv. Lxx. chercher l'impunité de leurs crimes ou en commettre de nouveaux, on fut obligé d'y pourvoir en plufieurs conciles.

8.17.

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La derniere Croifade qui eut fon execution fut celle où mourut S. Loüis, & dont vous avez vû le peu de fuccès: mais on ne renonça pas pour cela à ces entreprises, même depuis la perte de la Terre fainte arrivée vingt ans après. On continua pendant tout le refte du treiziéme fiecle, & bien avant dans le quatorziéme à prêcher la Croifade pour le recouvrement de la Terre fainte, & à lever des décimes pour ce fujet, ou fous ce prétexte, qu'ils s'employoient à d'autres guerres, fuivant la deftination des papes & le crédit des

princes. Depuis plus d'un fiecle on en eft défabufé, & il n'eft plus gueres mention de guerre contre les infideles que dans les fouhaits de quelques auteurs plus zélez qu'éclairez, & dans les prédictions des poëtes, quand ils veulent flatter les princes. Les gens fenfez inftruits par l'experience du paffé, & par les raifons que j'ai touchées en ce difcours voyent bien qu'en ces entreprises il y avoit plus à perdre qu'à gagner, & pour le temporel & pour le fpirituel.

XIV.

Math. X. 34.

Je m'arrête à cette derniere confideration qui eft de mon sujet, & je dis que les Chrétiens doivent s'appliquer à la converfion & non Qu'il vaut pas à la destruction des infideles. Quand J. C. a dit qu'il étoit venu mieux conver. apporter la guerre fur la terre, il eft clair & par la fuite de fon dif- tir ies Infideles. cours, & par la conduite de fes difciples, qu'il n'a voulu parler que Luc. XI. 51. du foûlevement qu'exciteroit fa célefte doctrine, où toute la vio- . lence feroit de la part de fes ennemis, & où les fideles ne feroient pas plus de réfiftance que des brebis attaquées par des loups. La Matth. X. 16. vraie religion doit fe conferver & s'étendre par les mêmes moyens qui l'ont établie, la prédication accompagnée de difcretion & de prudence, la pratique de toutes les vertus, & fur tout d'une patience fans bornes. Quand il plaira à Dieu d'y joindre le don des miracles, le progrès fera plus prompt. Machiavel difant que les prophetes défarmez n'ont jamais réuffi, montre également fon impieté & fon ignorance: puifque J. C. le plus défarmé de tous eft celui dont les conquêtes ont été les plus rapides & les plus folides. Je dis les conquêtes telles qu'il les prétendoit faire en gagnant les cœurs chanqeant interieurement les hommes, & les faifant bons de mauvais qu'ils étoient ; ce que n'a jamais fait aucun autre conque

rant.

La guerre ne produit que des effets exterieurs obligeant les vaincus à fe foûmettre à la volonté du vainqueur, lui payer tribut & executer les ordres. En matiere de religion, ce qui eft au pouvoir du fouverain, c'est d'empêcher l'exercice public de celle qu'il défaprouve, & faire pratiquer au dehors les cérémonies de la fienne : c'est-à-dire, punir ceux qui ne fe conforment pas fur ce point à fes volontez. Car s'ils méprifent les peines temporelles, il ne lui refte rien au delà: il n'a aucun pouvoir direct fur fes volontez.

Il faut encore fe défabufer d'une opinion qui n'est que trop établie depuis plufieurs fiecles, que la religion foit perdue dans un pays quand elle a ceffé d'y être dominante & foûtenuë par la puiffance temporelle: comme le Chriftianifme en Grece & en Natolie, comme la religion Catholique dans les pays du Nort. C'est fans doute pour nous prémunir contre cette erreur que Dieu a voulu former le Chriftianifme fous la domination des Payens, & ly fortifier pendant trois fiecles entiers au milieu de l'oppreffion & de la perfecution la plus cruelle. Preuve invincible que fa religion n'a pas befoin de l'appui des hommes; que lui feul la foû

Macch. Princi

pe. c. 6.

No 2.

Hift. liv. xvI. tient, & que l'oppofition des puiffances de la terre ne fait qu'affermir & purifier fon églife. Voyez ce que dit fur ce fujet S. Hilaire contre Auxence.

XV.

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Je reviens donc à dire qu'il ne faut pas chercher à diminuer les fauffes religions, ou étendre la véritable par les armes & la violence; ce n'eft pas les infideles qu'il faut détruire, mais l'infidelité en confervant les hommes, & les défabufant de leurs erreurs en un mot l'unique moyen eft de perfuader & de convertir. Je fai que l'on eft ordinairement prévenu de l'impoffibilité de convertir les Mufulmans, & que c'eft ce qui engage les plus zelez miffionnaires de paffer au delà pour prêcher l'évangile aux Indes & à la Chine: mais je crains que les fondemens de cette prévention ne foient pas affez folides. J.C. ordonnant à fes disciples d'aller inftruire toutes les nations, n'en a excepté aucune, & les anciennes prophéties qui marquent fi fouvent & fi clairement la converfion de tous les peuples n'y font aucune diftinction. Seroit-il donc poffible que tant de nations differentes réunies fous la religion de Mahomet occupant une fi grande partie du monde connu, fuffent feules excluës de ces magnifiques promeffes?

Ce ne font point des barbares errans & difperfez, comme les anciens Scythes, ou comme à prefent les Sauvages de l'Amerique : ce font des hommes vivant en focieté fous cert. ines loix, occupez de l'agriculure, des arts, du trafic, & aïant l'ufage des lettres. Ce ne font ni des Athées, ni des Idolâtres, au contraire leur religion toute fauffe qu'elle eft, a plufieurs principes communs avec la véritable, qui femblent des difpofitions à les y amener. Ils croyent un feul Dieu tout-puiffant, créateur de tout, également juste & mifericordieux : ils ont une horreur extrême de la multiplicité des Dieux & de l'idolâtrie. Ils croyent l'immortalité de l'ame, le jugement final, le paradis & l'enfer: les anges bons & mauvais, & même les anges gardiens. Ils connoiffent le déluge univerfel, ils honorent le patriarche Abraham comme leur pere & le premier auteur de leur religion: ils tiennent Moïfe & J. C. pour de grands prophétes envoyez de Dieu : la loi & l'évangile pour des livres divins. Quant aux pratide religion ils font une priere reglée cinq fois le jour à certaines heures. Ils fêtent un des jours de la femaine, ils jeûnent un mois chaque année; ils s'affemblent pour prier & écouter les inftruEtions de leurs docteurs ; ils recommandent fort l'aumône, ils prient pour les morts, ils font des pelerinages.

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Mais, dit-on, ils défendent fous des peines très-rigoureufes de parler aux Mufulmans pour leur faire changer de religion, & ils feroient mourir fans mifericorde quiconque en auroit converti un feul. Et fous Decius & Diocletien y alloit-il moins que la vie, nonfeulement de convertir des Payens, mais fimplement d'être Chrétiens? Si les apôtres & leurs premiers difciples avoient été retenus

par de telles défenfes & par la crainte de la mort, on n'auroit point prêché l'évangile. Encore les Mufulmans fouffrent-ils chez eux des Chrétiens, comme ils ont fait de tout tems jufqu'à leur laiffer le libre exercice de leur religion, moyennant un certain tribut. C'est cela même, direz-vous qui empêche de leur prêcher l'évangile, car ils extermineroient ces pauvres Chrétiens fi on entreprenoit de convertir des Musulmans. C'eft l'objection la plus fpécieufe que j'aie oüi faire fur ce sujet : mais je doute qu'elle foit folide, & que les princes Mufulmans, quand ce viendroit à l'execution fuffent affez mauvais politiques pour fe priver aifément d'une grande partie de leurs fujets. L'objection feroit forte, fi le nombre de ces Chrétiens n'étoit très-grand; & il eft en effet, fur tout dans les pays derniers conquis, comme la Grece, où il y en a beaucoup plus que de Mufulmans.

Or quand je propose de travailler à la converfion de ces der-. niers, j'entens qu'on s'y prenne avec une extrême difcrétion, comme dans la naiffance de l'églife. Il ne s'agit pas feulement de méprifer la mort, & fe l'attirer fans fruit, comme ces freres Mineurs qui fe firent tuer à Maroc & à Ceuta. S. Cyprien ne les auroit pas recon- Hist. l. LXXVIII¿, nus pour martyrs. Pefons bien ces paroles de nôtre divin maître. 25. n. 44. Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups: foyez donc prudens comme des ferpens, & fimples comme des colombes. N'allez pas effaroucher ces loups, pour en être dévorez avant que d'avoir pû les apprivoifer. Conduifez-vous avec une extrême prudence envers les infideles: gardez-vous de les irriter fans néceffité, & ne leur parlez de ma doctrine, que quand vous les verrez difpofez à l'écouter. Mais prenez garde auffi que vôtre prudence ne dégénére en fineffe & en artifice: qu'elle foit toûjours accompagnée de fimplicité & de droiture, qui eft l'ame de ma religion.

Je voudrois donc que ceux qui entreprendroient de prêcher la foi aux Mufulmans fuffent premierement bien inftruits des langues qui ont cours chez eux. L'Arabe qui eft la langue de leur religion, le Turc & le Perfan felon les pays: qu'ils euffent bien lû leurs livres & fuffent bien leur doctrine, leurs hiftoires & leurs fables: en un mot qu'ils euffent les mêmes fecours pour cette controverfe que les peres de l'églife avoient pour celle des anciens Payens. Qu'ils commençaffent à s'infinuer dans leurs efprits, par les véritez dont ils conviennent avec nous : l'unité de Dieu, fa puiffance, fa fageffe, fa bonté & fes autres attributs : les principes de morale qui nous font communs, comme la juftice; l'amour du prochain. Il faudroit bien fe garder de leur parler trop tôt des myfteres de la Trinité & del'Incarnation contre lefquels ils font prévenus: il faudroit auparavant bien établir l'autorité de l'évangile; en détruifant l'opinion dont ils font imbus que ce livre qu'ils reconnoiffent pour divin a été falfifié par les Chrétiens. Pour les défabufer fur ce point on

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Math. 16.

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