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1750.

la vie. Ils furent affez heureux pour la laiffer à plus de Septembre. dix-huit toifes derriere la chaloupe, & fe féliciterent d'avoir échappé fi à propos à ce torrent de feu, la que lumiere du jour ne laiffoit voir que comme une épaiffe fumée. Sa chaleur à cette distance de plus de cent pieds étoit très-vive, & telle qu'elle tira de la fumée de mes habits tout mouillés, quoiqu'elle n'eût pas le tems de les fécher. L'air libre avoit alors 25 degrés de chaleur, & je pense que la colomne de fumée devoit en avoir au moins 50 pour rendre sensible l'humidité qu'elle attiroit. Elle nous laiffa auffi une odeur trèsforte, plus nitreufe que fulfureuse, qui nous infecta long-tems, & dont la premiere impression se fit fentir par un léger picotement dans le nez. Cette impreffion occafionna dans quelques-uns l'éternûment, & en moi une pefanteur & une difficulté dans la respiration.

1751. 8 Mars.

Promenade

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Ce fut dans le mois de mars de l'année 1751 que je commençai à lever le plan des environs de l'ifle du autour de l'ile Sénégal. Le 8 je partis dans ma pirogue, avec mes de Sor. deux cubalots (c'est le nom qu'on donne aux nègres pêcheurs) dans le deffein de faire par eau le tour de l'ifle de Sor, dont je connoiffois affez l'intérieur. Je remontai le Niger en rangeant toute la terre de cette ifle jufqu'à fa pointe boréale, pour entrer dans le marigot de Kantaï qui en baigne le bord oriental, & pour Marigot de en tracer le cours. Quand j'y fus entré, je crus me poiflonneux. trouver plutôt dans un vivier que dans une riviere de quinze à vingt toises de large, tant elle étoit poiffonneufe. C'étoit un charme de naviger fur cette riviere, dont l'eau claire & unie comme une glace, étoit bordée de mangliers fort hauts, qui procurent une ver

Kantai très

Mars

dure & une fraîcheur raviffante dans l'efpace de plus 1751
d'une lieue. Les poissons y fautoient de tous côtés;
mais ce qu'il y avoit de plus fingulier, c'eft que par-
tout où nous paffions, il en entroit continuellement
dans la pirogue. Les plus gros, comme les meilleurs
fauteurs, paffoient par-deffus; mais prefque tous les
moyens y retomboient. Les mouvemens qu'ils fai-
foient en pirouettant, ne me paroiffant pas naturels ni
faits à plaifir, je les examinai pour en découvrir la
cause : ils avoient reçu la plûpart quelques coups de
dents, qui me firent connoître qu'ils avoient été pour-
fuivis par les plus gros, qui leur faifoient la chasse.
Pendant deux heures que je fus à parcourir ce mari-
got, je comptai deux cens trente poiffons appellés car-
pets (1), qui fe trouverent pris fans autre artifice. C'é-
toit une pêche honnête pour mes nègres. Comme ils
étoient cubalots, c'eft-à-dire, pêcheurs de leur métier,
ils n'en furent pas fort furpris; & me dirent que quand
ils faifoient la pêche aux gros poiffons avec la ligne
ou la varre, ils laiffoient aller leur pirogue au courant
de ces petites rivieres, & comptoient fouvent davan-
tage fur les petits poiffons qui fe prenoient d'eux-
mêmes, que fur le hazard des gros.

Jamais les cormorans, les plongeons, les faucons-
pêcheurs n'avoient eu plus beau jeu : auffi les mangliers
de cette riviere en étoient tout couverts. Le faucon- Oifeau ap-
pellé faucon-
pêcheur, que les oualofes appellent du nom de nguiar- pêcheur.
kol, & les françois de celui de nanette, est un oiseau
de la grandeur d'une oye, & dont le plumage est brun,
à l'exception de la tête, du col, de la poitrine & de la

(1) Efpece de vieille femblable à la carpe, mais plus courte.

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1751.

Mars.

22 Avril.

queue qui font d'un très-beau blanc. Il a le bec trèsfort & crochu comme celui de l'aigle, & des ferres aigues, courbées en demi-cercle, dont il fe fert admirablement bien pour la pêche. Il fe tient ordinairement fur les arbres au-deffus de l'eau, & quand il voit un poisson approcher de fa furface, il fond deffus, & l'enleve avec les ferres. J'en tuai un qui me fit regarder d'un fort mauvais œil par mes nègres, parce que cet oiseau eft craint & refpecté chez eux : ils portent même la superstition au point de le mettre au nombre de leurs marabous, c'est-à-dire, de leurs prêtres, qu'ils regardent comme des gens facrés & divins. Ils s'appaiferent cependant dès qu'ils virent que je leur avois procuré un poiffon de plus de quatre livres, que ce prétendu marabou avoit porté fur le rivage pour en faire curée.

Une aventure à peu près femblable m'arriva le 22 Scène fingur d'avril au village de Sor. J'étois affis fur une natte au d'une vipere. milieu d'une cour, avec le gouverneur du village &

liere au fujet

toute sa famille. Une vipere de l'efpece malfaisante, après avoir fait le tour de la compagnie, s'approcha de moi. Cette familiarité ne me plaifoit guère; & pour éviter les accidens, je m'avisai de la tuer d'un coup de baguette que je tenois à la main. Toute la compagnie se leva auffi-tôt, en jettant les hauts cris, comme fi j'eus fait un meurtre : chacun s'éloigna de moi, & prit la fuite: l'endroit fut bientôt défert. Comme la chofe devenoit férieuse, & que le bruit s'en répandoit dans tout le village ; je profitai de cet instant où j'étois feul, pour mettre la vipere dans mon mouchoir, & la cacher dans la poche de ma vefte. C'étoit le moyen de m'affurer

1751.

Avril.

cet animal, qu'il étoit fi difficile de fe procurer dans ce pays ; & en même tems de calmer tous les efprits en le leur ôtant de la vûe. Je n'étois pas trop en fûreté dans ce lieu, & l'on m'y auroit fait un mauvais parti; mais le maître du village, homme de bon fens, chez qui tout cela s'étoit paffé, réfléchit qu'il étoit de fon honneur & de fon intérêt de faire ceffer le tuinulte & d'étouffer le bruit: l'autorité que lui donnoit fa place, fon caractere de marabou, & la maniere dont il s'y prit, lui en affurerent la réuffite. Voilà un trait qui Les nègres fait voir combien les nègres font zélés obfervateurs font fort filde leur religion & des fuperftitions qui y font attachées. Ils ne regardent pas les ferpens comme leurs fetiches ou leurs divinités, ils les refpectent cependant affez pour ne les pas tuer : ils les laiffent croître & multiplier dans leurs cafes, quoique fouvent ces animaux mangent leurs poulets, & ofent coucher, pour ainfi dire, avec eux. Il est vrai qu'il eft rare qu'ils faffent du mal à personne; il faut qu'ils soient attaqués ou bleffés, ou qu'on leur marche fur le corps, pour les obliger à donner un coup de dent.

perstitieux.

7 Mai. Promenade

got de Del.

Le 7 de mai je defcendis le Niger pour visiter le marigot de Del, qui n'est pas fort éloigné de fon em- dans le maribouchure. Le vent étoit favorable; & mes nègres pour s'éviter la peine de pagayer ou de ramer, mirent à la voile. On peut croire que celle d'une petite pirogue de trente pieds de long, ne doit pas être bien grande: auffi ne furent-ils pas beaucoup embarrassés pour la trouver. L'un d'eux planta une perche de dix pieds fur l'avant, & la croifant en haut avec un petit bâton, y étendit la pagne dont il étoit vêtu. Ces pagnes font

1751. Mai.

d'un ufage merveilleux : leur forme est telle que l'on peut dans l'occasion en faire une voile, un drap, une couverture, un manteau, une jupe ou une ceinture. Je ne puis mieux comparer la figure qu'avoit cette voile, qu'à celle d'une baniere, dont les deux bouts d'en-bas furent attachés aux côtés de la pirogue. Le nègre qui étoit derriere à la poupe, gouvernoit avec fa pagaïe, pendant que l'autre dirigeoit la voile & la tournoit au vent. Avec ce foible fecours, je fis près de deux lieues en moins d'une heure de tems, & j'arrivai Son entrée à l'entrée du marigot de Del. A l'endroit où il se déeft fermée par bouche dans le Niger, il est fermé par une barre de

une barre.

fable fur laquelle les vagues du fleuve brifent quelquefois affez dans les vents de nord-ouest, pour en empêcher l'entrée aux grandes pirogues. Mes gens prirent fi bien leur tems, qu'ils franchirent la difficulté, & après m'avoir fait parcourir le marigot dans tous fes détours, ils me conduifirent au village de Del, qui étoit bâti fur l'extrêmité d'un banc de coquilles. Ce Banc de co- banc s'étendoit de près d'une lieue dans le nord ; & il

quilles.

me parut remarquable en ce qu'il étoit entierement découvert à fleur de terre, & que toutes les coquilles étoient d'une même efpece d'huîtres, qui avoient vécu autrefois fur les mangliers des marigots voifins, de la même maniere que celles que j'avois obfervées dans le fleuve Gambie.'

La mer avoit amené dans le Niger une quantité prodigieufe de poumons marins & de vélettes, que j'eus tout le loifir à mon retour de voir flotter für fes eaux. Les premiers de ces animaux fe connoiffent dans le pays fous le nom de bonnets-flamans, & les

dernierş

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