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1749. Avril.

Beauté du climat,

15.

Ténérif.

de vignes. Dans la partie moyenne, on ne voyoit que le titimale arbrisseau (1); enfin, leurs fommets étoient couverts de forêts d'euphorbe (2), dont les tiges de douze à quinze pieds de hauteur, m'avoient paru d'enbas, comme une verte peloufe d'une herbe très-fine. L'euforbe & le titimale étoient pour lors en fleurs, & environnés de plufieurs efpeces de liferons, qui fer pentoient autour de leurs tiges. Je ne trouvai dans mes promenades qu'une efpece de coquille terreftre, dont on verra la defcription & la figure dans l'Hiftoire des Coquillages, qui fuit cette relation (3).

Je ne me laffois point d'admirer la beauté de ce pays. La douceur d'un climat où il ne gêle jamais, la fituation avantageufe de l'ifle, la variété de fes productions, tout cela avoit pour moi des attraits infinis ; & j'y euffe refté plus long-tems fi les circonstances l'euffent permis. Mais la faifon s'avançoit, nos provi fions d'eau & de vivres étoient faites, il falloit nous rendre au lieu de notre destination.

Nous levâmes l'ancre le 15 avril, & nous quittâmes Départ de l'ifle Ténérif après huit jours de relâche. Les vents ali fés de N-E. affez modérés pour ne pas trop élever la mer, nous permirent de voguer tranquillement juf ques fous les tropiques. Là les jours clairs & sereins, & les grandes chaleurs nous firent connoître que nous avions changé pour la troifiéme fois de climat: l'hiver, le printems, l'été & la canicule; nous avions éprouvé

(1) Tithymalus dendroides linariæ foliis ex infulâ Canarinâ. Pluk. Phyt. tab. 319. fig. 5.

(2) Euphorbia aculeata nuda fubquinquangularis, aculeis geminatiş, Linn. Hort. Cliff. pag. 196.

(3) Limaçons univalves. Genre 5. planc. 1. fig. 2. Pouchet.

1749. Avril.

Mer lumi

toutes ces faifons en moins de fix femaines. La mer
qui, dans ces parages, paroît comme en feu, lorf-
qu'elle eft agitée pendant la nuit, marquoit notre neufe.
route par un fillon de lumiere que le vaiffeau laissoit
derriere lui. Ce phénomene, dont le détail se trouvera
dans un autre ouvrage, me parut affez intéreffant, &
je paffai plufieurs nuits à le confidérer, & à en recher-
cher la caufe.

251 Vûe de la

Nous continuâmes notre route avec la même faveur du ciel jufqu'au 25 avril, où l'on fe trouva à la vûe côte du Séné de la côte du Sénégal. C'étoit une terre basse, sablo- gal. neuse & très-blanche, qu'on avoit affez de peine à diftinguer, quoique le tems fût bien clair, & qu'on n'en fût éloigné que de trois à quatre lieues : cependant on reconnut à une touffe d'arbres masquée en partie par les dunes de fables, que l'on étoit par le travers du bois de Griel, c'eft-à-dire, à deux lieues au nord de l'ifle du Sénégal. Peu de tems après on apperçut au-deffus du bâtiment un oifeau qui paroiffoit fatigué & cherchoit à fe repofer; en effet il s'arrêta fur une manœuvre, d'où on le fit defcendre d'un coup de fufil. Cet oiseau étoit d'une beauté trop finguliere Oifeau de pour que je n'en faffe pas une légère defcription. C'é paffage. toit une efpece de geai (1), auquel il reffembloit fort par la groffeur du corps, & par la figure du bec & des pieds; mais il en différoit à quelques autres égards. Il étoit d'un bleu pâle sous le ventre, & fauve sur le dos. Sa queue qui avoit pour ornement deux plumes de la longueur du refte de fon corps, étoit relevée auffi-bien que fes aîles, par l'éclat d'un bleu céleste le

(1) Garrulus argentoratenfis. Willug, ornith. pag. 89, tab. 20.

Avril.

1749. plus beau qu'on puiffe imaginer. J'ai eu fouvent occa fion de voir ce geai dans les terres du Sénégal; mais comme j'ai reconnu depuis que c'étoit un oiseau de passage, qui vient habiter pendant quelques mois de l'été dans les pays méridionaux de l'Europe, & qui retourne paffer le refte de l'année au Sénégal, je ne laiffer ignorer qu'il a été rencontré quelquefois en mer dans le tems de fon paffage.

Mouillage

veux pas

Le même jour on arriva devant l'habitation du Sédans la rade, négal. Après avoir fait les fignaux ordinaires, & falué le fort de plufieurs coups de canon, on alla mouiller trois lieues au-deffus, à l'embouchure du fleuve Niger, par les neuf braffes, fur un fond de vafe & de bonne tenuë. Quoique l'on fût à une demi-lieue de la barre, la mer étoit très-forte, & les vents du large y excitoient des houles furieuses, qui causoient au vaifCanot verfé. seau un tangage infuportable. Le canot qu'on avoit mis à la mer, fit capot fous une lame, & nous fûmes témoin d'un malheur qui n'est que trop ordinaire dans la navigation. Comme il tourna fens deffus deffous, les matelots qui étoient dedans, tomberent à la mer, & l'un d'eux disparut & fur perdu fans ressource. Nous ne reftâmes pas long-tems dans cette rade, un bateau envoyé de l'ifle du Sénégal, vint nous prendre pour nous faire paffer la barre, & nous entrer dans le fleuve. On entend de barre l'effet que produipar le nom fent plufieurs lames, qui en passant sur un haut fond, s'enflent & s'élèvent en une nappe d'eau de dix à douze pieds de hauteur, & retombent enfuite en se brifant. La premiere lame n'a pas plutôt eu fon effet, qu'elle eft fuivie par une feconde, & celle-ci par une troifiéme.

Barre, ce que c'eft.

Elles

Elles commencent à fe faire fentir à cent & quelquefois à cent cinquante toifes de la côte, & font autant à craindre pour les plus gros que pour les plus petits bâtimens. Un canot rifque d'y être submergé, & un navire y feroit bientôt mis en pieces. Cette barre s'étend fur toute la côte du Sénégal, du moins y a-t-il fort peu d'endroits qui n'y foient fujets. C'étoit un pareil écueil qu'il falloit franchir pour entrer dans le fleuve, dont l'embouchure étoit masquée par un banc de fable fur lequel les lames brifoient. Heureusement nous arrivions dans la faison où la mer eft plus traitable, & la barre moins rude; & nous étions conduits par des nègres, tous gens de bonne volonté, & tellement familiarisés avec la barre qu'il eft rare d'y voir arriver des accidens.

1749.

Avril.

Bateaux de

barre.

Les bateaux de barre font des petits bâtimens pon- Bate tés, de cinquante à foixante tonneaux, & quelquefois davantage. On les envoie ordinairement fur leur left; alors ils ne tirent guères plus de quatre à cinq pieds d'eau. Le foin en eft totalement confié aux nègres, & il ne faut pas vouloir les contrarier ou leur donner des confeils. Lorfqu'on est sur la barre chacun garde un profond filence, pour ne point interrompre le commandement: les uns fe cachent, foit par timidité, soit crainte d'être mouillés; les autres plus aguerris, reftent fur le pont pour confidérer l'effet des lames. Comme obfervateur, je ne pouvois me dispenser de garder ce dernier poste, auffi fus-je bien mouillé. Nous Paffage de la demeurâmes plus d'un demi-quart-d'heure fur ce dangereux paffage, tantôt élevés par des lames qui fléchiffoient fous nous, tantôt batus par d'autres qui fe

C

barre.

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Avril.

Largeur du Niger à fon

brifoient contre les flancs du bâtiment, & finiffoient en le couvrant d'une nappe d'eau. Une lame nous foulevoit, puis nous laiffoit à fec: une autre venoit nous relever, & étoit bientôt fuivie par d'autres femblables. Après toutes ces alternatives, nous nous vîmes enfin hors de tous dangers. C'est un ufage qu'on faffe après ce paffage quelque générofité aux nègres de barre: chacun des paffagers s'en acquitta noblement, & ils furent tous fort contens.

Dès que nous fûmes entrés dans le fleuve, nous embouchure. nous trouvâmes dans un canal fort tranquille, d'une largeur de plus de trois cens toifes, c'est-à-dire, quatre ou cinq fois plus grande que celle de la Seine au PontRoyal. Sa direction fuit affez exactement le nord & le fud, parallèlement à la côte, dans une étendue de trois lieues, depuis fon embouchure jufqu'à l'isle du Sénégal. Le terrein des deux côtés n'eft qu'une plaine de fable mouvant, d'une grande blancheur, femé çà & là de petites dunes que le vent éleve & déplace auffi faciPointe de lement. Le bord occidental forme une langue de terre fort basse, qui sépare le fleuve de la mer, & dont la plus grande largeur n'a pas cent cinquante toifes: c'eft ce qu'on appelle la Pointe de Barbarie. Le bord orien– tal eft plus élevé; mais tous deux font également arides & ftériles, & ne produisent que quelques plantes affez baffes. On ne commence à trouver des arbres que deux lieues au-deffus, vers l'iflet aux Anglois; encore ne font-ce que des mangliers: c'eft prefque le feul arbre qu'on rencontre jusqu'à l'ifle du Sénégal.

Barbarie.

Débarquement à l'ifle

Cette ifle eft à trois lieues de l'embouchure du fleuve, du Sénégal. & à deux tiers de lieue de l'iflet aux Anglois. C'est le

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