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tant de reffort dans l'action, une mar che fi aifée, fi impofante, fi ferme, fi rapide; fes intrigues font fi habilement ménagées, conduites avec tant de dextérité, terminées par une explosion (qu'on nous paffe ce terme) fi lumineufe, fi frappante, que la terreur & la pitié qui naiffent au gré du Poëte & faififfent le Spectateur, ne font jamais affoiblies par le fertiment de l'admiration.

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Il eft inutile de s'étendre davantage fur cet étonnant Génie; ce n'eft qu'à la repréfentation ou à la lecture qu'un homme de goût peut en faifir les nuances & en découvrir les riches beautés. Quand nous renvoyons à la lecture de fes Pieces, on fent bien que nous ne prétendons pas indiquer l'édition commentée par M. de Voltaire: ce feroit renvoyer aux cendres de Corneille, & n'offrir de ce Grand Homme qu'un fquelette décharné par le fcalpel de la malignité. Ce n'eft pas par des Remarques plus fubtiles que juftes, par des Réflexions plus fauffes que conformes au goût, par des Analyfes infidelles & infidieusement

présentées, par des Critiques minutieuses & fouvent puériles, par des Notes grammaticales auxquelles on attache une importance d'autant plus ridicule, que les fautes de langue qu'on y releve appartiennent moins au Poëte qu'au temps où il vivoit, qu'on pourroit fe former une idée sûre du Héros de la Tragédie.

Quels motifs ont pu porter un Ecrivain dont la réputation n'a rien de commun avec ce grand Poëte Tragique, à s'acharner contre les hommages rendus de tout temps à fa fupériorité? Voltaire a fait des Tragédies, il est vrai; mais fa touche eft fi foible auprès de celle de l'Auteur de Cinna, de Polieucte, de Rodogune, des Horaces, qu'il auroit dû fe borner au genre de fuffrages qu'il mérite, fans chercher à détruire une efpece de culte dont la France & l'Europe Littéraire ne fe départiront jamais en fa faveur. Sila jaloufie étoit la fource de cet achatment, elle cefferoit d'être odieufe pour des venir ridicule. Il y aura toujours une extrême diftance entre les Chef-d'œuvres de

Corneille & les meilleures Pieces de Voltaire. Nous ne craignons même pas de dire que dans Othon, Sertorius, Sophonisbe, Edipe, Sureña, on trouve des Scènes qui fuppofent plus d'élévation & de vigueur dans l'ame, qu'Alzire, ou Mérope, ou Mahomet. Cette affertion, qui trouvera fans doute des contradicteurs, n'en eft pas moins fondée, & ne fauroit être démentie que par des Efprits étroits, plus jaloux des petites convenances, que propres à s'élever à la hauteur des grandes idées, & par cette raison incapable d'apprécier les grands traits. Une efquiffe feule de Rubens eft préférable aux tableaux les plus achevés d'un Peintre dont tout l'art fe borneroit au coloris, & même quelquefois au vernis feul.

Corneille ne ceffera donc jamais d'être LE GRAND CORNEILLE, malgré les efforts de ceux qui, n'ayant pu l'imiter, cherchent à miner le Coloffe de fa réputation. De petits Auteurs froids & compofés. auront beau differter, raifonner, fubti lifer, reffaffer ces mots impofans de vûes

juftes & fines, de difcernement sûr, de fentiment, de convenance, de fenfibilité; le Héros de notre Tragédie fera toujours en droit de dire, au fujet de fes fentimens & de fa Poéfie :

Rome n'eft plus dans Rome, elle est toute où je fuis. Ses Ouvrages conferveront fans altération la vive expreffion de fon génie & du caractere de fon ame, c'est-à-dire qu'ils retraceront le tableau de ces Edifices antiques, majestueux, folides, qui, malgré quelques irrégularités, n'en font pas moins fentir la petitesse de cette Architecture moderne, où l'ornement & la fymétrie s'efforcent en vain de suppléer à la.noblesse & à la magnificence,

2. GORNEILLE, [Thomas] Frere de Pierre, de l'Académie Françoise & de celle des Infcriptions, né à Rouen en 1625, mort à Andely en 1709.

Quand il n'auroit fait qu'Ariane & le Comte d'Effex, le Baron d'Albicrack & le Feftin de Pierre, Pieces qu'on joue en

core avec beaucoup de fuccès, il feroit fupérieur à prefque tous les Tragiques & Comiques de nos jours. On a dit que le nom de fon frere étoit un honneur dangereux pour lui: on doit en convenir; mais, malgré cela, fon frere ne pouvoit être mieux remplacé à l'Académie Françoife. D'ailleurs, il eft tant d'Auteurs qui n'ont un nom que parce qu'ils n'ont pas de frere, qu'il y auroit de l'injustice à lui refufer la gloire qu'il mérite, parce qu'il en a eu un plus célebre que lui. » La

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distance qui étoit entre leurs efprits, » dit M. l'Abbé de Voifenon, n'en mit » aucune dans leurs cœurs. Ils étoient » extrêmement unis, & logeoient enfem

ble. Thomas travailloit bien plus faci»lement que Pierre, & quand celui-ci » cherchoit une rime, il levoit une trappe

& la demandoit à Thomas, qui la lui donnoit auffi-tôt. L'un étoit un Dictionnaire de rimes, & l'autre un Dictionnaire d'idées & de raifonnemens ". On ignore affez communément qu'on doit à Thomas Corneille d'excellentes Obfervations

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