Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fautes qui m'ont perdu, & defire les écarter des fentiers dangereux qui m'ont conduit au précipice.

Je fuis le fils unique d'un riche fermier; je m'appelle Opfinous. Mon père, dont l'ignorance étoit complète, n'en fut que plus ardent à vouloir faire de moi un favant; il imaginoit qu'il y avoit dans la connoiffance du grec & du latin, quelque charme fecret qui devoit influer fur tout, qui m'adouciroit la route de la vie, établiroit mon bonheur & mes fuccès, & me fourniroit de nouvelles reffources dans l'indigence. Il ne put cependant se priver du plaifir de m'avoir près de lui; au lieu de m'envoyer à l'école, il propofa au curé de la pa roiffe dix livres & la table, pour devenir mon précepteur.

Cet homme étoit vieux; il venoit de perdre fa femme; il accepta la place mais en refufa le falaire. » Les foins d'une » éducation, difoit-il, rempliront agréa »blement mes loifirs, & ont un rapport

direct avec les fonctions de mon état. <<< Il obferva encore que fa cure lui rapportoit trente livres par an; qu'il en avoit long-temps vécu avec fa famille; qu'il fe trouvoit riche à préfent qu'il étoit feul: il infifta pour payer fa penfion; & mon père, après quelque réfiftance, fut forcé d'y confentir. A fix ans je commençai mon rudiment; à quinze j'avois lu les meilleurs auteurs claffiques & latins. Mais les inftru&tions qu'il me donnoit, ne fe bornoient point à l'étude des langues; outre beaucoup d'autres chofes moins importantes, il n'enseignoit la théorie du chriftianisme par fes préceptes, & m'en montroit la pratique par fes exemples.

grecs

La tranquillité & la fermeté de fon caractère lui donnèrent fur moi un afcendant fans bornes. Jamais il ne fut févère par caprice; auffi je favois toujours que fes mécontentemens étoient l'effet de mes fautes, & non celui de fa foibleffe. Il me commandoit avec tant

de tendreffe; il mettoit tant d'inté rêt dans les reproches, que je l'aimois comme un père; & fa piété noble & raisonnable, étoit fi fervente & fi foutenue, que je le regardois comme un faint. Le refpe& même que m'infpiroit fa présence, en impofoit à mes paffions; & par une attention conftante à fes avis & à fes mœurs, j'acquis une perfuafion fi forte de la connoiffance que Dieu avoit de mes plus fecrètes penfées, que les defirs déréglés étoient auffitôt réprimés, & que ma conduite étoit toujours dirigée par la réferve la plus fcrupuleufe.

Mon père crut avoir affez pris de foins de mon éducation; il defira que je commençaffe à l'aider dans l'infpections de fes valets, & la direction de fa ferme qu'il avoit deffein de me laiffer. Mais mon précepteur, qui n'étoit pas uniquement occupé de mon avantage temporel, lui dit, que dans l'état de fermier, je ne tirerois aucun fruit de

la plus grande partie de mes études; & que le feul moyen de me rendre utile à l'humanité, en proportion des connoiffances que j'avois acquifes, étoit de m'envoyer à l'univerfité, & de m'y faire prendre les ordres au temps ordinaire. Mais outre que mon père ne vouloit pas encore se séparer de moi, il avoit probablement des raifons qui s'oppofoient à mon entrée dans l'état eccléfiaftique; il avoit cependant tant de déférence pour mon précepteur, qu'il avoit prefqu'implicitement donné fon confentement, lorsqu'un parent de ma mère, procureur fameux, & très-occupé, vint paffer avec nous les grandes vacances, d'après les invitations réitérées que mon père lui en avoit faites.

.

Mon père ne crut pas devoir lai ffer échapper cette occafion de confulter un homme fi au fait du train de la vie', fur l'état que je devois prendre. Peutêtre fe flatta-t-il en fecret que mon précepteur abandonneroit la défense de fon

opinion, fi un homme, auquel l'étude & la pratique des loix devoient avoir donné tant d'expérience, fe déclaroit contre elle. Mon coufin fut donc choifi pour arbitre. Après avoir entendu les raisons pour & contre, & contre, il décida contre mon père, & ajouta, » qu'il feroit injufte d'en» fevelir mon efprit & mes talens dans » l'obscurité de la vie rurale; que fi je » voulois me produire dans le monde, »j'y pourrois acquérir de la fortune & » de la réputation. « Mon précepteur crut la queftion terminée en fa faveur: il étoit obligé d'aller voir un de fes paroiffiens qui étoit malade; il me regarda, en fortant, pour me féliciter; je vis fes joues animées par la rougeur du triomphe, & des larmes de joie brilloient dans fes yeux.

A peine étoit-il forti, la converfation prit un autre tour; mon coufin dit à mon père, » qu'il s'étoit oppofé à ce que je » devinffe fermier, mais qu'il n'approu» voit pas non plus que je fuffe curé;

« AnteriorContinuar »