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parées contre les jeux qu'on célébroit; les combattans & les fpectateurs qu'il ofoit ainfi braver, étoient furieux. Un jeune Athénien, admirateur paffionné d'Homère, ne put fe contenir, & s'écriaz "Par Caftor! n'eft-ce pas Zoile de Thrace » que nous tenons ici?« A ces mots il le frappe de fon fouet; ce coup eft suivi de cent autres, & le vifage naturellement difforme du malheureux critique, gonflé par la douleur, parut femblable à celui qu'auroit l'envie, fi fes ferpens révoltés tournoient leurs dards fur leur maîtreffe.

Ce ne fut pas le feul châtiment qui lui fut infligé dès qu'il fut reconnu pour Zoïle, il fut précipité, avec un cri général, du haut des rochers Scyroniens qui étoient proches.

Suidas dit qu'il y trouva la mort; mais je fuivrai le fentiment du plus grandnombre d'auteurs, qui prétendent qu'il fut fauvé par le peu d'élévation de ces rochers, & par quelques arbustes qui rompirent l'effort de fa chute, & que peu de

temps après, fuivant fon premier deffein, il s'embarqua pour l'Egypte.

Prolémée Philadelphe y régnoit. Ce prince aimoit paffionnément les lettres & les littérateurs; fon amour pour Homère alloit jufqu'à l'adoration; il avoit fait conftruire la plus belle bibliothèque du monde, & l'avoit enrichie d'une nombreufe collection de livres choifis avec goût; il n'épargnoit rien pour attirer à fa cour les hommes de génie, avec lefquels il aimoit à vivre de leur nombre étoient Eratofthènes & Ariftophane, philologues & critiques fameux; Callimaque poète élégant & facile, connu par fon poème fur la chevelure de Bérénice, & dont Ovide faifoit tant de cas, qu'il lui fuffifoit pour aimer une femme qu'elle le jugeât plus grand poète que Callimaque; Théocrite, le plus fameux poète bucolique; Ariftarque, le plus judicieux des critiques; & Apollonius de Rhodes, poète diftingué.

Ces grands hommes & d'autres encore

embelliffoient la cour de ce prince magnifique, dont les faveurs & les libéralités excitoient les efforts de chacun d'eux

prc

comme un ruiffeau qui arrofe différens fols, les fertilife tous, & leur fait duire les fleurs & les fruits qui conviennent à leur nature.

Ce fut à cette cour que Zoïle arriva ;. mais avant d'entrer dans Alexandrie, il paffa la nuit dans le temple d'Ifis, pour favoir quels fuccès il pouvoit efpérer de

fon

voyage: non qu'il doutât du mérite de fes écrits, mais fa dernière difgrace lui avoit appris que d'autres pourroient ne le pas connoître. Après les facrifices ordinaires, il fe coucha fur la peau de la victime; une vifion lui prédit fa célébrité future.

Il fe trouva affis à l'ombre d'un if, couvert d'ellébore & de ciguë, & près de la bouche d'un antre qui receloit un monftre pâle, défait, entouré de ferpens, nourriffant un bafilic dans fon fein, & maudiffant le foleil qui laiffoit voir l'e

fublime ouvrage des Dieux dans tout fon éclat. Le monftre tourna fur lui fes yeux livides, le regarda avec une forte de complaifance, & Zoïle reconnut en lui quelques-uns de fes traits. Le monftre alors agita fes ferpens, les enlaça en forme de thiare pour le moins effrayer, & lui dit: » Courage, digne >> fils qui me reproduit; pourfuis avec »fuccès ta généreufe entreprise contre » l'humanité; prouve que l'efprit de » l'homme n'eft que fottife, que fon » bon fens n'est que folie; n'épargne » aucun auteur, quelle que foit fa cé»lébrité; que ta langue & ta plume » foient fans pitié; infulte les vivans, » & que les ombres des morts gémiffent » fur leurs tombeaux, des outrages faits » à leur mémoire. Mais pourquoi ces » confeils inutiles? ce font des encou» ragemens qu'il te faut; viens repaître » tes yeux du prix qui t'est réservé. « Il dit, & prononça, en criant, le nom de Zoïle, dont ces lieux fombres reten

tirent. L'entrée de la caverne fut à l'inftant couverte d'une multitude de fantômes bizarres : quelques-uns étoient couronnés d'ofeille; ils marchèrent devant lui en imitant fes geftes & fes manières. Le monftre les décrivoit tranquillement, & les touchoit, à leur paffage, avec une flamme contagieuse qui fortoit de fes yeux. » Ceux-ci, couron» nés d'ofeille, dit-il, font mes profa»teurs, critiques fcandaleux: ces autres, » qui portent des lauriers flétris, font » des poètes qui s'afferviffent aux règles, » & dédaignent le génie; ceux qui les » fuivent, dénigrent tout ce qui les fur» passe; il suffit à ceux-là d'être lu, » pour éprouver leur cenfure: à présent » paffent mes grammairiens, profonds » dans la fcience des mots : voici les "fophiftes toujours prêts à produire un » argument fubtil & captieux. Regarde » comme leur chef paroît fatigué, comme » ils fe perdent dans le nuage obfcur qui » environne la caverne de l'oubli

ils

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