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Si cette lettre t'offre quelques incorrections, excufe-les; une Sauvage l'écrivit. Oui, je fuis née Sauvage, mais je n'ai jamais fu tromper; j'ai toujours ignoré ce talent affreux de l'Europe. Si les arts

quitter, & perfuada facilement à sa bienfaitrice de le fuivre. Dès qu'ils furent arrivés à la Barbade, il commença à réfléchir férieufement fur ce qu'il avoit perdu, & ce qu'il auroit pu gagner. Pour fe dédommager de fes pertes, il vendit Yarico. Celle-ci, dans l'efpérance de l'attendrir, fe déclara groffe d'un enfant dont il étoit père. Thomas profita de cet aveu pour la vendre plus cher. Voyez The-Spectator, n° 11; Hift. philofophique & politique de l'établissement des Européens dans les deux Indes, in-4°, tome 3, page 525 ; & les Variétés mor rales & amufantes de M. l'abbé Blanchet, tome 1, page 33.

Cette lettre eft tirée d'un recueil de poéfies latines publiées par M. Hoeuft, hollandois. Ce recueil eft intitulé: Jacobi Henrici Hoeuft pericula poetica, 1783, in-8°. Il contient des effais infiniment agréables, & qui prouvent un vrai talent.

de ces contrées donnent à tous leurs habitans un cœur femblable au tien, ah! combien je leur aurois dû préférer la rufticité la plus groffière! Et voilà cependant les mœurs que tu me vantois, cette terre fameuse, cette AngleFerre, je crois, dont tu me parlois avec tant de chaleur! Ma crédulité m'a perdue. Mes malheurs font venus d'avoir jugé par mon ame, de celle de mon parjure amant. Heureufe fi les monftres des forêts m'avoient privée du jour; fi j'étois morte dans les champs de mes pères ! Je ne connoîtrois pas aujourd'hui la fervitude, les châtimens & les craintes que m'infpirent les moindres mouvemens d'un maître qui peut tout commander. Qu'ai-je pu faire pour mériter une fi rude peine? Mon amour pour un ingrat eft ma plus grande faute. Je n'aurois jamais dû me laiffer féduire par la promefle de former des nœuds indiffolubles; j'aurois dû repouffer tes embraffemens. Voilà donc ma dot! cette dot qui n'étoit

pas le but de mon fatal voyage! toi feul en fut la cause. Voilà ce char brillant, attelé de deux courfiers blancs comme la neige, qui devoit me promener par les villes; ce palais de marbre que je devois habiter; ces riches colliers dont je devois me parer; tous ces biens qu'un parjure amant m'avoit promis! Pour prix de ta vie que j'ai fauvée, hélas ! devois-je donc éprouver des tourmens plus affreux que la mort? Pourquoi te rappellerois - je la douce ́volupté que j'éprouvai quand je te reçus dans mon afile? Armée d'un javelot, je cherchois un jour, dans le plus épais des bois, le repaire des monftres féroces. Tout-à-coup la mer fe gonfle & s'agite; la pluie forme des torrens; les éclats du tonnerre fe mêlent au fiflement des vents; on n'y voit plus qu'à la lueur des éclairs. J'apperçois près du rivage un vaiffeau brifé contre les rochers, & dont les flots vont bientôt engloutir les débris. Pendant que j'examine attentive

ment cette machine étrangère, tu échappes au naufrage & parois à mes yeux. Tu te traînois à peine; tu femblois près d'expirer. J'étois feule, feule je pouvois te secourir: ton état me touche, & fur le champ (rien ne me parloit alors pour toi que la pitié) je te conduis fous le toit ruftique de mes pères. L'eau d'un ruifseau limpide étanche ta foif; des végétaux, faciles à trouver, appaisent ta faim. J'étends des peaux de bêtes pour te coucher; je te donne des vêtemens fecs. Cependant, j'admirois la forme extraordinaire & noble de ton visage; le vif incarnat qui contrastoit avec la blancheur de ton teint; tes cheveux qui ne flottoient pas au gré des vents comme les nôtres. Je fentis un feu, jufqu'alors inconnu, s'allumer dans mes veines. De ce moment, je ne me plais plus à ramaffer fur la grêve des coquillages de. différentes couleurs; à jouer, comme avant, avec mes compagnes. Il m'en fouvient, je fus fept jours entiers fans

poursuivre les habitans des forêts; je languiffois; je périffois; je ne pouvois dormir; je touchois à peine aux fruits deftinés pour notre nourriture; je baiffois les yeux à ta vue; j'appris enfin à dire, j'aime, ce que je ne favois pas encore. Tu paroiffois auffi fenfible; tu femblois partager mes feux. Oh! combien de fois, quand nous pûmes nous entendre, m'as-tu juré que je ferois toujours à toi! Avant que je puiffe te quitter, Yarico, difois-tu, le foleil & la lune retourneront fur leurs pas. Eh bien! que ces aftres retournent donc en arrière aujourd'hui! Non-feulement tu m'as quittée; tu m'as vendue, ingrat! Pourquoi te rappeler ce fouvenir ? puis-je espérer de fléchir jamais ta cruauté? De vains mots toucheront-ils un cœur que tant d'amour, tant de fidélité n'ont pas été capables d'attendrir? Ah! je l'efpère; la nature pourra peut-être t'émouvoir! Je porte un trifte fruit de ma funefte fécondité; pourquoi déchirer tes propres

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