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faifoit pitié. Je fus outrée. Ma mère, à laquelle j'allai fur le champ conter ma difgrace, m'apprit qu'elle étoit informée de tout, & qu'elle s'étonnoit que je regardaffe de fimples jeux comme un outrage. Malgré ces raifons, j'eftimai cela une trop grande injure, & j'en conçus pour lui une haine & un mépris fi fort, que je me déterminai à ne plus aimer du tout. Je m'en voulus d'avoir été affez foible pour m'attacher. Dès lors je m'enfermai dans une folitude profonde, & me propofai de ne regarder homme de ma vie ; je maudis l'amour cent & cent fois, & la haine prit fa place.

Folles que nous fommes, quand nous aimons! Que ne fis-je pas pour perfévérer dans ma réfolution? J'adreffai des vœux à chaque faint, pour qu'il m'otât le fouvenir de celui que feul, hélas! j'adorois. Les images des bienheureux me fembloient devoir me tenir

lieu de fon portrait. J'imaginai que la

tendre & confolante dévotion viendroit à mon aide, & me guériroit de ma bleffure. Mais, ô amour! qui peut ou blier tes plaifirs & tes peines? Je voulois rompre les liens qui menchaînoient à mon amant, & pourtant j'aurois bien voulu le voir. Par fois, je faifois taire mes pensées, & me figurois, ou ne plus reffentir de mal, ou que ce n'étoit pas lui qui caufoit ma douleur.

Laffe enfin de vivre dans une folitude auffi ténébreufe, & de m'abreuver de larmes, je reparus tout-à-coup dans le monde. Mon premier foin fut de rechercher les lieux où jadis mes yeux l'avoient vu si souvent, & jamais affez. Il s'y trouva, je le vis; mais ce ne fut que pour affecter l'envie de le fuir. Il le fentoit bien; cela le mettoit au défefpoir, & pour moi c'étoit un délice. Malgré tout le plaifir que je prenois à le défefpérer, à peine il paroiffoit où j'étois, qu'auffitôt mon cœur palpitoit. Je fentois mon fang bouillon

ner dans mes veines; fouvent j'éprouvois un tremblement universel.

Une fois même je fus prête à m'évanouir. Mon amant accourut vers moi; &, du ton le plus touchant, me pressa de lui dire fi je penfois avoir quelque reproche à lui faire; que fi quelque autre avoit allumé mon courroux, il me fupplioit de ne pas effayer fur lui les armes que je deftinois à ma vengeance. » Un des plus grands plaifirs, » ajouta-t-il, eft de découvrir fes fenti» mens réciproques. Obéir ou comman » der à l'objet qu'on aime, & dont on » eft aimé, c'eft la même chose. Il ne » faut avoir qu'une même penfée, qu'une »feule ame; fans cela, il n'y a point » d'amour.« Il finiffoit, en me conjurant les larmes aux yeux, de lui pardonner, s'il étoit vrai que je le jugeaffe coupable. D'abord, j'eus regret de le tourmenter ainfi; mais enfuite l'orgueil triompha; je me félicitai de lui caufer tant de douleur. Pour nous autres femmes,

la vengeance eft divine. Je ne fais par quelle contrariété j'aurois voulu qu'il lût qu'au fond de mon cœur je fouffrois autant que lui; & cependant s'il avoit l'air de le foupçonner un inftant, je le niois du ton le plus froid. A m'entendre, il étoit l'homme du monde qui m'intéreffoit le moins. Je m'en voulois mille fois plus qu'à lui, mais n'importe.

Pour mettre le comble à fon défefpoir, je feignis d'écouter les propos .flatteurs que m'adreffoient les jeunes gens; & même j'avois un plaifir infini, fur-tout quand il étoit là, à me montrer fenfible aux foupirs de mes nouveaux amans. » Il croira, me difois-je en fou» riant amèrement, il croira non-seule»ment que je ne l'aime plus, mais que » j'en aime un autre. «

Pour le coup, il ne put y tenir. Mes caprices, mes dédains injurieux n'avoient pu altérer fa tendreffe & fa fidélité; mais ce dernier trait le piqua au vif. Hélas! je vis mon amant devenir réel

lement ce que je feignois d'être; tout en lui m'annonça une indifférence prochaine.

Ah! que n'euffé-je pas fait pour effacer de fon fouvenir & du mien tous les outrages dont j'avois payé fon amour? Je n'avois rien dit, rien fait, rien pensé même qui ne me devint alors un cruel fujet de repentir. Mais ce qui me tourmentoit le plus, étoit la crainte où j'étois que ce repentir fubit ne me fervît de rien. Je l'avois tant offenfé! Il s'en vengeroit fans doute.... Cette idée m'accabloit.

Malheureuse que j'étois, combien de tourmens n'avois-je pas à fouffrir! Les nuits me fembloient des éternités; les jours n'étoient que ténèbres. La douleur, le repentir, le dépit, l'amour m'agitoient fucceffivement. Je voulois & ne voulois plus; j'accufois, je déplorois ma trifte fituation, & ne pouvois m'empêcher de rappeler à ma mémoire l'idée heureuse du paffé, tant de momens fi

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