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Cadufiens, tous deux campez féparément avec
leurs troupes. Tiribafe après avoir parlé au Roi
& lui avoir communiqué fon deffein, s'en va
trouver l'un de ces deux Rois, & envoye fon fils
à l'autre. Tous deux ils abuferent ces deux Rois
chacun de leur côté, en leur faisant entendre fé-
parément que l'autre Roi envoyoit à son insçû des
Ambassadeurs à Artaxerxe pour traiter avec lui,
& pour faire seul avec lui à fon préjudice amitié
& alliance, & en leur difant à chacun, Si vous
êtes fage, vous vous hâterez de prévenir votre rival,
de traiter le premier avec Artaxerxe; de mon côté je vous
rendrai tous les fervices qui dépendront de moi. Ces pa-
roles perfuaderent ces deux Princes; chacun con-
vaincu que fon compagnon lui portoit envie &
vouloit le prévenir, envoya fes Ambaffadeurs, les
uns partirent de leur côté avec Tiribase, & les
autres du leur avec fon fils.

Tiribafe fufpect au Roi, calom

Comme cette double négociation dura un peu de tems, Artaxerxe commença à entrer en foupçon contre Tiribafe & fes ennemis, profitant de cette occafion, n'oublierent rien pour le calom- nié par les courtinier & pour achever de le perdre; déja même le Jans dans le tems Roi fe repentoit de s'être fié à lui,& par-là il don- grand fervice. noit lieu à fes envieux de répandre leurs calomnies. Mais fur ces entrefaites Tiribase arrivant de fon côté, & son fils de l'autre, avec chacun les Ambaffadeurs des Cadufiens, & le traité ayant été conclu avec les uns & les autres, & la paix faite, Tiribase devint plus grand & plus brillant que

lâcheté ne font pas le fruit du luxe.

Leur véritable

caufe.

jamais, & partit avec le Roi, qui fit voir en cette La molle & la occafion que la lâcheté & la molleffe ne font point le fruit du luxe, de la pompe & de la fuperfluité, comme le penfent la plupart des hommes, mais qu'elles font l'effet d'une baffe & mauvaise nature, qui fuit de mauvaises opinions. Car ni tout l'or, dont le Roi étoit couvert, ni fa robe de pourpre, ni ses pierreries, qui brilloient fur fa Artaxerxe portoit perfonne, & qui montoient à la fomme de douze trente-fix millions mille talens, ne l'empêchoient point de travailler & de fatiguer comme le moindre Soldat. On le voyoit le carquois fur l'épaule, & le bras chargé de fon bouclier, laiffer fon cheval & marcher

fur fes habits pour

de pierreries.

rage & la patience

premier dans ces chemins raboteux & difficiles. Il infpiroit le cou- De forte que tous les Soldats voyant fa force, fa par fon exemple. patience & fon courage, excitez par fon exemple, devenoient fi légers, qu'il fembloit qu'ils eussent 11 faifoit tous les des aîles; car il faifoit chaque jour plus de deux cent ftades. Enfin il arriva à une de fes maifons Royales, où il y avoit des jardins parfaitement bien tenus, & un parc d'une grande étenduë, & d'autant plus merveilleux, que toute la campagne des environs étoit nuë & fans aucun arbre.

jours plus de buit lieuës à pied.

Que la lâcheté & la molleffe ne font point le fruit du luxe, de la pompe & de la fuperfluité. ] Ce principe eft certain, le luxe, la pompe & la fuperfluité n'engendrent pas la lâcheté & la molleffe, car fi cela étoit, il n'y auroit prefque pas de Prince ni de grand Seigneur qui ne fût lâche & mou.

Ces vices viennent d'une nature baffe & mauvaife. Mais il faut avouer que fi les délices ne les engendrent pas, elles les entretiennent & les fomentent, & empêchent qu'une ame baffe ne vienne à fe relever. Elles achevent de l'abattre.

Il permet à fes Soldats de couper

fer.

Comme on étoit au cœur de l'hyver, & qu'il faifoit un froid horrible, il permit à fes Soldats de couper du bois dans fon parc, fans épargner fes des arbres de fon plus beaux arbres, ni ses pins, ni ses cyprès. Mais parc pour se chauffes Soldats ne pouvant fe réfoudre à couper des arbres, dont ils admiroient la beauté & la grandeur, le Roi prit la coignée lui-même, & commença à couper l'arbre qui lui parut le plus beau & le plus grand, après quoi les Soldats ne ména- prend lui-même la gerent plus rien, couperent tout le bois qui leur eoignée. étoit néceffaire, & allumerent tant de feux, qu'ils pafferent la nuit fans aucune incommodité.

Les Soldats en

font difficulté, & il

Ses pertes le ren

& cruel.

Ainsi le Roi se vit de retour dans fa capitale, après avoir perdu dans ce voyage un grand nombre de braves gens, & presque tous les chevaux. Et comme il s'imagina qu'on le méprifoit à cause de ses grandes pertes & du mauvais fuccès de fon expedition, il eut pour suspects les plus grands de sa cour, en fit mourir un grand nombre dent Soupçonneux par colere, & un plus grand nombre par crainte & par timidité; car la crainte eft une paffion trèsmeurtriere & très-fanguinaire dans les Tyrans, au lieu que le véritable courage eft doux, humain & éloigné de tout foupçon. Voilà pourquoi parmi rage eft doux les animaux ceux qui font les plus difficiles à adou- humain. cir & à apprivoifer, font toûjours les plus craintifs & les plus timides, au lieu que les plus généreux, tirant une plus grande confiance de leur hardieffe & de leur courage, ne fuient point le commerce & les careffes des hommes.

La crainte, paffion très-meurtriere

dans les Tyrans.

Le véritable cou

Artaxerxe fur fes vieux jours s'apperfes deux fils fai foient pour L'Empire.

çoit des brigues que

Ochus avoit un parti très fort con-.

toit fon aîné.

Artaxerxe étant déja vieux, s'apperçut que fes deux fils étoient en differend pour l'Empire qu'ils faifoient des brigues & des cabales, & que cela partageoit tous leurs amis & toute la cour. Les plus fages & les plus raifonnables vouloient que, comme Artaxerxe avoit fuccedé à la Couronne par droit d'aîneffe, il la laissât de même à Darius, qui étoit l'aîné. Mais le puîné, nommé Ochus, homme vif& violent, avoit aufli un parti sre Darius, qui é très-fort & très-nombreux, & il se flatoit qu'il viendroit à bout de fon pere par le moyen de la Reine Atoffa, à qui il faifoit fort la cour, & qu'il flattoit même de l'efperance qu'il l'épouferoit, & la feroit regner avec lui après la mort de fon pere. Ochus soupçonné Il couroit même un bruit fourd qu'il avoit eu avec commerce criminel elle quelque commerce mais Artaxerxe l'avoit ignoré, & voulant ôter à Ochus toute esperance de parvenir à la Couronne, de peur qu'imitant l'audace de Cyrus, il n'excitât des guerres & des féditions dans fes Etats après la mort, il déclara heritier du Royaume après lui fon fils aîné Darius, qui étoit dans fa cinquantième année, & lui permit de porter la pointe de fon bonnet droite, 'ce qui eft la marque de la Royauté.

Lavoir quelque

avec fa belle-mere Atoßa.

Darius déclaré beritier du Royaume. Lapointe du bon

net droite, la marque de la Royauté.

C'eft une coûtume parmi les Perfes que celui qui est déclaré heritier du Royaume, demande à

Qui étoit dans fa cinquantiéme année. Comment celà pouvoit il être ? Plutarque à la page fuivante l'appelle vidnonov, un jeu ne homme. On n'appelle pas jeune

un homme de cinquante ans. Au. lieu de, vxov, il faut lire qu

vai kosov, comme dans un MS. Qui étoit dans fa vingt-cinquié-; me année.

celui qui l'a nommé son fucceffeur, un don Coûtume remarque quable parmi les celui-ci ne peut lui refufer, pourvû qu'il ne de- Perfes mande rien d'impoffible. Darius demanda donc

au Roi fon pere Afpafie, qui étoit celle que Darius demande Cyrus avoit le plus aimée de toutes fes Maîtref- au roi fon pere Affes, & qui étoit alors une des concubines du Roi. pasie fa concubine. Elle étoit de Phocée en Ionie, née de parens li

bres, & elle avoit été élevée dans l'honnêteté & dans la vertu. Un foir elle fut menée au fouper de Hiftoire d'Aspa, Cyrus avec plufieurs autres femmes. Celles-ci s'affirent librement auprès de lui, & quand Cyrus fe mit à badiner avec elles; à les agacer, & à leur dire des plaifanteries, elles ne firent point les rencheries, & fouffrirent fes careffes & fes railleries avec grand plaifir.. Mais Afpafie fe tint debout auprès de la table dans un profond filence,& avec une contenance pleine de modeftie. Cyrus eut beau la prier de s'approcher, elle ne le voulut jamais; fes Valets de chambre voulurent la prendre & la mener par force; mais elle cria, Celui qui Noble hardieße aura l'infolence de mettre la main fur moi, s'en repentira. Tous les Courtifans la trouverent groffiere

Elle étoit de Phocée en Ionie. ] Je releverai ici en paffant une faute de M. d'Ablancourt, qui dans fa traduction de la Retraite des dix mille, a mis, il prit une de fes concubines qui étoit de la Phocide. Il s'eft trompé, Xenophon dit xxioa, & qnaida ne fignifie pas de la Phocide, mais de Phocée, comme Plutarque l'a fort bien mis...

Et elle avoit été élevée dans l'honnêteté & dans la vertu.] Mais cette bonne éducation n'avoit été que comme une teinture bien foible, qui ne réfifte pas au grand air, & qui s'efface très promptement. Il faut avouer aussi que pas où fa vertu fuccomba ̧ étoit un pas très-gliffant pour une jeune perfonne.

le

d'Afpafie.

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