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lons, et l'autre, à son chevet, a soin de lui tenir la tête chaude, et de lui couvrir la poitrine d'une couverture composée de cinquante peaux de mouton. Quelle est donc sa maladie? répliqua Zambullo. Il est enrhumé du cerveau, repartit le Diable; et il est à craindre que le rhume ne lui tombe sur la poitrine.

Ces autres dévotes que vous voyez dans son antichambre accourent avec des remèdes, sur le bruit de son indisposition : l'une apporte, pour la toux, des sirops de jujubes, d'althéa, de corail et de tussilage; l'autre, pour conserver les poumons de sa révérence, s'est chargée de sirops de longue vie, de véronique, d'immortelle, et d'élixir de propriété; une autre, pour lui fortifier le cerveau et l'estomac, a des eaux de mélisse, de canelle orgée, de l'eau divine et de l'eau thériacale, avec des essences de muscade et d'ambre gris. Celle-ci vient offrir des confections anacardines et bézoardiques; et celle-là des teintures d'oeillets, de corail, de mille fleurs, de soleil et d'émeraudes. Toutes ces pénitentes zélées vantent au yalet de l'inquisiteur les choses qu'elles apportent : elles le tirent à part tour à tour, et chacune, lui mettant un ducat dans la main, lui dit à l'oreille : Laurent, mon cher Laurent, fais en sorte, je te prie, que ma bouteille ait la préférence.

LE SAGE. T. 1.

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Parbleu! s'écria don Cleophas, il faut avouer que ce sont d'heureux mortels que ces inquisiteurs. Je vous en réponds, reprit Asmodée : peu s'en faut que je n'envie leur sort: et de même qu'Alexandre disait un jour qu'il aurait voulu être Diogène s'il n'eût pas été Alexandre, je dirais volontiers que si je n'étais pas diable je voudrais être inquisiteur.

Allons, seigneur écolier, ajouta-t-il, allons présentement punir l'ingrate qui a si mal payé votre tendresse. Alors Zambullo saisit le bout du manteau d'Asmodée, qui fendit une seconde fois les airs avec lui, et alla se poser sur la maison de dona Thomasa.

Gette friponne était à table avec les quatre spadassins qui avaient poursuivi Leandro sur les gouttières il frémit de courroux en les voyant manger deux perdreaux et un lapin qu'il avait payés et fait porter chez la traîtresse, avec quelques bouteilles de bon vin. Pour surcroît de douleur, il s'apercevait que la joie régnait dans ce repas, et jugeait aux démonstrations de dona Thomasa que la compagnie de ces malheureux était plus agréable que la sienne à cette scélérate. O les bourreaux, cria-t-il d'un ton furieux; les voilà qui se ré— galent à mes dépens! quelle mortification pour moi!

s'é

Je conviens, lui dit le démon, que ce spectacle n'est pas fort réjouissant pour vous; mais, quand on fréquente les dames galantes, on doit s'attendre à ces aventures: elles sont arrivées mille fois en France aux abbés, aux gens de robe et aux financiers. Si j'avais une épée, reprit don Cleophas, je fondrais sur ces coquins, et troublerais leurs plaisirs. La partie ne serait pas égale, repartit le boiteux, si vous les attaquiez tout seul : laissez-moi le soin de vous venger; j'en viendrai mieux à bout que vous. Je vais mettre la division parmi ces spadassins, en leur inspirant une fureur luxurieuse; ils vont s'armer les uns contre les autres vous allez

voir un beau vacarme.

A ces mots il souffla, et il sortit de sa bouche une vapeur violette qui descendit en serpentant comme un feu d'artifice, et se répandit sur la table de dona Thomasa. Aussitôt un des convives, sentant l'effet de ce souffle, s'approcha de la dame, et l'embrassa avec transport; les autres, entraînés par la force de la même vapeur, voulurent lui arracher la grivoise : chacun demande la préférence; ils se la disputent; une jalouse rage s'empare d'eux; ils en viennent aux mains; ils tirent leurs épées, et commencent un rude combat. Cependant dona Thomasa pousse d'horribles cris : tout le voisi

nage est bientôt en rumeur; on crie à la justice; la justice vient; elle enfonce la porte; elle entre, et trouve deux de ces bretteurs étendus sur le plancher; elle se saisit des autres, et les mène en prison avec la courtisane. Cette malheureuse avait beau pleurer, s'arracher les cheveux et se désespérer, les gens qui la conduisaient n'en étaient pas plus touchés que Zambullo, qui en faisait de grands éclats de rire avec Asmodée.

Eh bien! dit ce démon à l'écolier, êtes-vous content? Non, non, répondit don Cleophas. Pour me donner une entière satisfaction, portez-moi sur les prisons, que j'aie le plaisir d'y voir enfermer la misérable qui s'est jouée de mon amour; je me sens pour elle plus de haine en ce moment que je n'ai jamais eu de tendresse. Je le veux bien, lui répliqua le Diable : vous me trouverez toujours prêt à suivre vos volontés, quand elles seraient contraires aux miennes et à mes intérêts, pourvu que ce soit pour votre bien.

Ils volèrent tous deux sur les prisons, où bientôt arrivèrent les deux spadassins, qui furent logés dans un cachot noir. Pour Thomasa, on la mit sur la paille avec trois ou quatre autres femmes de mauvaise vie qu'on avait arrê tées le même jour, et qui devaient être transfé

rées le lendemain au lieu destiné pour ces sortes de créatures.

Je suis à présent satisfait, dit Zambullo, j'ai goûté une pleine vengeance : ma mie Thomasa ne passera pas la nuit aussi agréablement qu'elle se l'était promis. Nous irons où il vous plaira continuer nos observations. Nous sommes ici dans un endroit propre à cela, répondit l'esprit. Il y a dans ces prisons un grand nombre de coupables et d'innocens : c'est un séjour qui sert à commencer le châtiment des uns et à purifier la vertu des autres. Il faut que je vous montre quelques prisonniers de ces deux espèces, et que je vous dise pourquoi on les retient

dans les fers.

CHAPITRE VII.

Des prisonniers.

Avant que j'entre dans ce détail, observez un peu les guichetiers qui sont à l'entrée de ces horribles lieux. Les poètes de l'antiquité n'ont mis qu'un Cerbère à la porte de leurs enfers : il y en a ici bien davantage, comme vous voyez. Ces guichetiers sont des hommes qui ont perdu

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