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crains les reproches de dureté, d'infenfibilité; ma com paflion peut m'acquerir des amis. Ma complaifance me fait renoncer à mes volontez: c'eft-à-dire, à moi tout entier : mais c'eft l'impuiflance actuelle de réfifter, ou ma nonchalance, ou l'efpoir du bien, ou la crainte du mal. Je cede *une Victoire à mon ami, je place ** la Statuë d'un autre dans le Cirque préférablement à la mienne & honneurs qui me reviendront j'augmente ma gloire de toute la leur. Je verfe des larmes à leur mort ; mais, qu'est-ce que je pleure? Eft-ce la perte qu'ils font de la vie, ou la perte que je fais de leur fecours? Je pleure par vanité, pour faire croire que j'en étois fort aimé. Enfin quand je mourrois pour eux, je les envifagerois moins que l'Immortalité.

Préfentez au Sage fes Ennemis, c'est l'épreuve où il faut mettre la vertu. D'où vient qu'il ne leur répond pas par des menaces? C'eft qu'il fent que la menace eft un aveu tacite de foibleffe & d'impuiflance de fe vanger. Que ne repouffe-t'il l'outrage s'il le peut? Il se eroit déja vangé par les hommes à qui son Ennemi eft devenu odieux, il ne veut pas fe mefurer à lui. Pourquoi paroît-il infenfible ? Pour diminuer la joye du vainqueur. La fierté nous fait mépriser le mépris des autres; la crainte nous empêche de nous juftifier. Nos Superieurs nous pardonneroient-ils de les avoir confon Socrate ceda la Victoire à Alcibiades.

** Trait damitié de Sillanus pour Capiton.

dus? Et nos égaux n'apprehenderoient-ils pas le commerce d'un homme trop facile à s'offencer, & trop in flexible dans fon reffentiment.

• Quelque injure qu'on nous faffe, nous nous en déa domagcons par l'oppofition de meilleurs jugemens qu'on fait de nous, ou que nous en faisons nous-mê mes: car nous nous rendons en fecret le tribut qu'on nous refufe : ces refus mêmes, nous les prévenons. Nous cachons nos Vertus ; nous avouons quelque in perfections.. Qu'un ami nous reprenne d'un défaut leger, fon zele eft engagé à nous paffer d'autres pen chans que nous voulons dérober à la cenfure publiques On ne fe vante pas, pour faire croire que la Vertu ne coûte aucun effort. Que Thalès eût accepté le don deftiné par l'Oracle au plus Sage, Thalès risquoit fa réputation; il l'augmente par cet air de modeftie; moins il eft fage à fes propres yeux, plus il l'eft aux yeux de tous.

Qu'eft-ce donc que notre Modeftie? Un orgueil quê. eraint d'être furpris, une timide & prudente recherche de la gloire. On est tout étonné que la vanité & la modestie prennent des routes fi differentes, & qu'on les retrouve toutes deux en même tems, au même ter me. Si le Sage eft vraiment modefte, qu'il s'éloigneun peu des Villes, qu'il aille dans des lieux écartez join de la Vertu, qui feule doit faire fen bonheur mais. moes smaraldur ab aii

pu

Seneque ne l'a diffimuler on confentiroit de per dre toute la Sageffe pour en conferver feulement le titre.

pas à

Le Sage a repréfenté durant fa vie un rôle difficile, mais foûtenu par les applaudiffemens. Si la mort qui démafque les hommes vulgaires ne l'altere point, nous aurons fait injure à fa vertu. La Mort ne s'offre lui adoucie, déguisée, embellie comme aux regards du Heros: elle fe montre affreufe, elle le prend défarmé; il eft feul, il la reçoit fans fremir, il eft plûtôt confumé que vaincu par la douleur, il céde à la violence de la maladie, à l'injuftice d'un Ennemi, à la force de Ja Deftinée.

Je pardonne à des peuples jaloux de la liberté, d'avoir confacré la mort d'un Citoyen qui refufoit de furvivre à la République ; mais plus je l'examine, plus il me paroit foible: l'afpect du vainqueur le terraffe & renverfe fon imagination: Cet objet de crainte, le plus vil peuple l'avoit foûtenu: Caton a besoin de mourir pour le délivrer de fá frayeur; il redoute la vengeance de Céfar, peut-être fa clémence. Baffe malignité qui envie au Vainqueur la gloire de pardonner! La mort de Caton eft une défaite, & non pas un Triomphe.

La tranquillité des autres Philofophes eft-elle préférable à la fureur impétueuse de celui-ci ! ils meurent au milieu d'un cercle de Spectateurs ; c'est encore une

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leçon de Philofophie qu'il veulent donner. Dans ce naufrage général où ils perdent la vie, il faut au moins fauver une vie imaginaire. L'un lit fur le front de fes Spectateurs l'admiration & le refpect pour fermeté l'autre fe dérobe à l'objet terrible de la mort. Epicure repaffe les plus agréables occupations de fa vie, & par le paffé il efface ou couvre l'horreut du préfent.

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N'eft-il donc point de Heros ny de Sages qui fçachent vivre & mourir 2 Nul n'eft-il généreux par de voir, modefte par, la fincere reconnoiffance de fa foibleffe, patient par l'aveu des reproches qu'il mérite, & des défauts dont on lui fait grace, temperant par un fentiment de fa dignité qui fe dégrade dans les plai firs fourd à des applaudiffemens comme à des impostures qui le trompent, tranquille en mourant par Fefpoir d'une plus grande felicité 05

Confolons-nous, la Terre a vû de ces Vertueux à la fuite de l'éternelle Verité: elle a vû la Gloire & l'Interêt, premieres & dernieres Idoles du Genre-Humain, tomber fous les coups de ces Vainqueurs. Vain queurs admirables! Si nous les imitions, il feroit vraj de dire que ce qu'on regarde dans les Sages & les Héros comme vertu, n'eft pas toujours foibleffe, & T'apparence nous impoferoit moins fur le merite de tous les Hommes.

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DISCOURS

SUR CES PAROLES:

Rien ne contribuë davantage à former un HonnêteHomme que l'Adverfité.

D

EPUIS que les Hommes font affujet tis aux Adverfirez, n'ont-ils point encore appris à en faire ufage 2 Les uns fe font abandonnez à toute l'impatience de la Nature, & ils ont ajoûté à leurs peines; les autres ont voulu s'étourdir fur leur chûte, & affoupir un fentiment qui fe reveille toûjours. Plufieurs fe plaignent des Hommes, comme si l'on adouciffoit des Ennemis en les convaincant d'injuftice: les plus groffiers ont accufé un Deftin capricieux, objet immaginé pour le charger de leur colere; les plus fenfez ont crû la révolte inutile, & le font condamnez

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