Imágenes de páginas
PDF
EPUB

au filence: tous également mal-habiles dans l'art de fe foulager. La Raifon ne faifoit que préfenter à ceux-ci l'image de leurs maux, & l'aveuglement ne la déroboir pas à ceux-là. Parmi tous ces défefperez une efpece finguliere d'Hommes perce la foule. Si vous les écoutez, ce font eux dont les réflexions épurées ont trouvé dans la Raifon des ressources inconnues: par eux nous devons être mis au deffus des malheurs. Eh comment? Eft-ce en nous déclarant que nos maux n'en font point, qu'on ne perd rien à perdre les biens & les honneurs ? Croyent-ils par un changement de nom démentir le fentiment? Eft-ce en nous affûrant que notre vie ne tiendra pas long-tems contre des douleurs violentes? Eft-ce en nous permettant de nous en délivrer par une mort volontaire ? Précepteurs du Genre-Humains voilà toutes les confolations que vous lui promettez. Ne dites point que votre Sage feul peut goûter vos remedes, ou qu'il n'en a besoin d'aucuns ;, vous infultez à notre foibleffe, & vous décelez la fauffeté de vos leçons. Vous ne fçauriez nous conduire à cette région innacceffible à la douleur, à ce lieu éminent où vous placez votre Sage; il faut une confolation plus vraie, plus folide, & qui s'adreffe à tous les Hommes. Laiffons donc toute la fenfibilité à leurs cœurs; mais intereffons-les par un motif qui honore leur raison, fans la contredire. Tâchons de leur infpirer, non la lâcheté

de fortir du combat, mais le courage de foutenir le choc. Peut-être pardonneroient-ils à la Fortune, s'ils fçavoient que les faveurs ne leur échapent que pour faire place à l'innocence; que l'efprit aveuglé par la vanité, le cœur corrompu par les délices, ne s'éclai rent & ne fe purifient jamais mieux que par l'Adverfité: Maîtreffe utile pour nous apprendre nos devoirs, & pour nous forcer à les pratiquer.

Q

PREMIERE PARTIE.

1

UAND les fens font liez par le fommeil, il refte

[ocr errors]

à l'Imagination une activité douteuse, imparfaite. On ne voit point les objets tels qu'ils font, on en conferve un fentiment obscur & confus; on prend des fantômes pour des réalitez, & l'on s'affure que rien n'eft plus folide que ces chimeres que l'on faifit, que l'on embraffe, & aufquelles on s'atttache obstinément. Ce fommeil eft une fuite de rêves plus furieux, ou plus tranquiles. Telle eft à peu près la fituation de ceux que la Fortune a comme adoptez, dont elle a pris fur for les vûës, les projets, les défirs, qui vivent dans la fplendeur, & dans les délices. Ou d'épaiffes ténebres les environnent, ou ils ne reçoivent que de faux jours; l'idée de leur profperité croît à leurs yeux à mesure qu'ils s'y appliquent, & ils en ignorent tous les de

voirs ; ils ne fçauroient les découvrir, tout s'oppose à cette recherche, leur propre cœur, & tous ceux qui les entourent. Perfidie de la Fortune, qui nous laiffe la néceffité de chercher la Vertu, & qui nous cache la route que nous devons tenir !

Heureux, nous ne le fommes que par autrui & pour autrui. La Fortune décerne aux uns la gloire & les richeffes en échange de la protection qu'ils doivent aux autres: elle donne des titres, des préfeances; ornemens étrangers, qui ne nous ajoûtent rien, biens qui n'ont d'être que dans l'opinion, fruits nez & eftimez dans un climat, inconnus ou méprifez dans un autre dehors brillans, fous lefquels elle cache un pefant fardeau.

Oui, elle le cache toûjours; elle féduit nôtre ef prit qui confent à toutes fes illufions. Il s'éleve de tous les & leur donne une folidité qu'ils avantag n'ont pas. Le Conquérant eft revêtu de fes Victoires, le Miniftre de fes fuccès; ils ramenent tout à euxmêmes. Celui-là croit triompher feul, & compte pour rien la valeur des Soldats; celui-ci fe rend tout l'honneur de fes projets ; à peine penfe-t-il que la vigilance de fes inferieurs y ait contribué; il ne fongé à eux que pour les charger de la honte des entreprises échouées. L'homme heureux ne vit point pour les autres; il croit qu'il ne doit vivre que pour lui. A-t'il besoin de leur

fecours, la Fortune lui en a mis le prix en main: il les voit tous s'empreffer à le fervir. L'ardeur des uns pour fe procurer un bonheur à peu près pareil au fien, le dépit des autres qui ne peuvent y parvenir, tout lui releve l'idée de fa felicité, le

Né dans l'élevation, vous n'avez vû que des têtes humiliées devant vous; vous avez refpiré l'orgueil auffi naturellement que l'air ; tout vous avertit du pouvoir où vous êtes de proteger ou de nuire. Artifan de vôtre profperité, fi l'édifice s'eft élevé promptement, cette rapidité fait honneur à vôtre induftrie: fi l'ouvrage vous a coûté de longues farigues, on vous compte le mérite de la perfeverance. !

Contentez-vous, s'il eft poffible, de cette vûë fla teufe de vous-même, & des regards avantageux des autres: que ce plaifir ne tourne pas en amertume con tr'eux: joüiffez de ce qui leur manque, mais fçachez ce que vous leur. devez. Vaines leçons! vous ne les fçauriez entendre. Où retrouver des traces de l'égalité que la Fortune a effacée 2 Vous ignorez la douleur, fçavez-vous s'il faut plaindre les malheureux ? Vous recevez des déferences, croyez-vous qu'il y ait de l'injuftice à les exiger? Vous vous jouez des biens & de la réputation des Hommes, parce que vous ne recevez point de plainte de ceux que vous offenfez, que nul ne prend leur parti devant vous. Vous fçavez que

[ocr errors]

1

leur reffentiment fera impuiffant, ou qu'un fouris va vous les réconcilier. Vous confervez de fauffes impreffions contre les plus Vertueux, par la pareffe d'approfondir. Fatale ignorance! Source de mille injustices! Erreur des heureux, ne pouvez-vous être diffipée ? Helas! fi l'on veut percer le nuage, la Fortune appelle de toutes parts des Hommes pour tenir un voile devant nos yeux, où il ne paffera aucun rayon de la ve rité. O malheur! comme fi ce n'étoit pas affez de nous-mêmes, & de la vûë de nôtre bonheur, pour nous féduire, les paffions d'autrui viennent encore nous aveugler. L'envie naturelle des infortunez contre les heureux eft étouffée par la crainte & l'efperance. Ce font des Vaincus qui fuivent le char du Vainqueur, pour partager quelques dépouilles, & vaincre à leur tour ; ils chantent fa victoire, & nul ne fe tairoit impunément dans ce concert de louanges. Qui voudroit guérir les défauts de l'homme heureux ? Trop de gens ont interêt de les entretenir. La complaisance, flaterie tacite, & la plus ingénieufe de toutes, en faifant tout ce qu'il veut, lui perfuade qu'il ne veut rien que de jufte; elle prévoit fes défirs, devine fes inclinations. Le Flateur lui fait d'agréables portraits de la Vertu, la raifon n'en peut defavoüer la jufteffe. N'y manquet'il que la reflemblance ? L'amour-propre fe charge de la trouver; on eft trompé prefque de bonne foy.. a

a

« AnteriorContinuar »