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main, tout vafte & tout avide qu'il eft, n'eût pas dequoi fuffire à tous les biens dont il jouit quelquefois, & que quand il en poursuit tant de differens tour à tour, c'est que l'habitude lui pefe, & qu'il cherche à fe foulager par le changement? Telle eft la fituation des Grands dans l'opulence, dans la gloire & dans les divertiffemens leur appétit furchargé n'est plus piqué de rien; leurs fens font engourdis: au lieu que le goût des Petits eft éveillé par les moindres douceurs, & que ces douceurs ont toûjours pour eux l'aiguillon de la nouveauté. L'or prodigué fur ces lambris fuperbes éblouit mes yeux, il ne frape pas ceux d'un Grand. Ces prodiges de la Peinture, ces figures qu'elle anime pour moi, font mortes pour lui; il palle fans s'y arrê ter. Ces jardins, où l'art a dompté la nature pour l'embellir, où elle a affervi les élemens au plaifir; ces cafcades, ces rivieres fufpendues causent à ce Grand moins de fatisfaction, que n'en cause à ces particu. Hiers un ruifleau qui coule chez eux, ou un arbre qui fleurit & qui fructifie dans leurs vergers; ce qui ravit les Petits, ce qui les enchante, ce qui les tranfporte, n'effleure feulement les Grands. Que la Magnificence leur varie fes fpectacles, qu'elle leur éleve de nouveaux palais, qu'elle en change les ornemens; la curiosité des Grands n'aura pour tout cela

pas

que le premier coup d'oeil ; c'eft un plaifir bientôt épuisé pour eux.

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. Peut-être l'Honneur qui s'offre à eux fous tant de formes differentes, qui leur parle tant de langues les arrêtera mieux que ces fpectacles muets & trop conftans; la flatérie trouve pour les louer de nouveaux tours, ou ce sont de nouvelles mains qui leur offrent l'encens n'importe, ces flots toûjours nouveaux ne : forment toûjours qu'un même fleuve. Ce Grand reçoit des Hommages; il en a toûjours reçu. Il s'entend loüer; c'est un bruit auquel fes oreilles font accoutu mées. Ses inferieurs ployent les genoux devant lui, il n'en eft pas fort touché mais ils reçoivent de lui un regard favorable, & ils en font enchantez. Ah! ils font donc bien plus heureux que lui: il ne reçoit que des tributs: ceux-ci reçoivent des graces; & les graces flatent bien autrement que ce qui eft dû. Sans fon fecours ces particuliers fe procureront les uns aux autres des honneurs plus fenfibles, l'eftime non fufpecte, les éloges purs & défintereffez. L'homme privé eft loué par moins de voix que le Prince; mais il l'eft de celles qu'il connoît, c'en eft affez: fa vûe & fes defits ne portent point au-delà. Il s'éleve, il s'applaudit fans fcrupule de ces fuffrages qu'il recueille, moiffon que le Grand laiffe échaper, ou qui le laffe & l'ennuye. Avouez-le, Hommes ambitieux, convenez que les

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honneurs vous deviennent infipides sou dites-nous pourquoi vous vous dérobez fi fouvent à ces objets de votre paffion D'où vient que ce Prince n'eft pas tout le jour fur le trône à recevoir des Ambaffadeurs, à juger fes fujers, à exercer fon pouvoir, à s'occuper de l'idée qu'il eft Prince? Pourquoi le mé page-t-il des heures & des amusemens pour oublier fa dignité ? Vains fecours encore que ces divertiffemens ! ils lui deviendront plus fades que les honneurs Ce Voluptueux de Rome dans un bain délicieux né fçait s'il a du plaifir; il ignore même dans quelle f tuation il eft: il interroge fes efclaves, c'eft à eux à le lui apprendre. Cet autre, défefperé de n'être plus af fecté des plaifirs réels, en cherche de finguliers & d'extravagans. Si Caligula eût trouvé dans les voluptez communes dequoi flater encore fon goût, eût-il in venté le divertiffement de faire Conful fon cheval, & de le revêtir en plein Senat des ornemens confulaires? -La joüiffance des plaisirs veut être précedée, suivie, interrompuë de quelques momens de privation. Ici la volupté fe rafine, la terre & les mers font dépeuplées pour couvrir ces tables fomptueufes on ajoute à la fète les embeliffemens les plus recherchez une Cour polie & magnifique eft affemblée; c'est le rendez-vous des jeux & des ris. Mais quoi ! ils y marchent à pas sy lents, ils femblent appefantis: fur ces fronts chargez

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de pierreries, les rides ont peine à fe retirer. Joye par faite, joye fans mélange, où êtes-vous donc ? Dans ces campagnes où la terre laiffe arracher fes moisons à des mains laborieufes à qui elle ne promet de nouvaux presens, qu'en leur promettant de nouvelles pei nes; dans ce repas ruftique, dans ces fruits arrofeż des larmes & des fueurs de ces hommes innocens. Leurs cœurs vuides & alterez s'ouvrent aux plaifirsla Nature leur épargne la peine de refléchir & de rafiner pour y trouver des attraits. La premiere superficie les touche, eh! peut-être tous les plaisirs n'ont ils que cette fuperficie, cette Aeur fi-tôt fanée, cette pointe fi promptement émouflée. Que dirai-je da plus vif des plaisirs, de celui qui fe préfente à notre orguëil fous une apparence fi noble & fi délicate ? ce. plaifir qui confifte dans l'efperance, les refus, les im patiences, les foins, les Grands le peuvent-ils gouter Helas! l'Amour leur prodigue fes faveurs fans leur donner le tems de les connoître, tandis que les hommes du commun y préparent leur goût par l'attente par les difficultez...

& l'irritent

Mais fuffiroit-il pour confoler les Petits, que lesi Grands fuffent infenfibles au plaifir, fi les Grands étoient auffi exempts de douleur ? Il eft certain que les richef fes, les hommages, les amulemen's font les appuis fu: lefquels un Grand eft porté fans le fçavoir, & qui lui

font bien fentir fa foibleffe dès qu'ils chancelent. Quelque affurée que foit la felicité (car je ne veux pas rappeller une feconde fois les renversemens tragiques des Maîtres du Monde) n'y aura-t'il pas dans fa vie quelques inftans moins agréables ? Cette ferenité ne fera1-elle point troublée par quelques legers broüillars? II n'en faut pas davantage pour le défefperer: ce cœur amolli par les plaifirs s'ouvre, fe déchire: par les moindres égratignures. Un pli de rose bleffe Smindride.

Fatale Délicateffe, heureusement ignorée des Petits! La patience les endurcit; le cœur fe fortifie avec le corps. Comme les autres hommes ne me doivent point leurs déferences, je ne ferai point chagrin s'ils me les refufent; leurs difcours ne me troubleront pas ; fuis-je accoutumé à me nourrir de leurs flateries? Je fouffre les peines de mon état fans m'en appercevoir, comme ceux qui ont l'habitude de monter fur des rochers, ne font pas effrayez par les précipices qu'ils voyent fous leurs pieds.

Ce n'eft pas à vous que je parle, Efclaves des hom. mes, Objets d'une pitié fouvent ftérile, Victimes des befoins, Pauvres, dont les larmes ne tariffent jamais, votre état ́eft hors de comparaison. Dans l'ordre de la Nature il eft trop acablé de miferes, & dans l'ordre de la Religion il eft foutenu par des confolations trop furnaturelles, & récompenfé par un prix trop éclatant.

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