Mortels, fouvrez enfin les yeux, voyez les filets que le Tentateur a déployez fur vos pas. Vous ne fentez pas que la foif des Richeffes, cette fiévre de l'âme, la trouble, la dérange, l'affoiblit. Plus fatale mille fois, que les maladies qui abbatent le corps, elle vous donne des mouvemens convulfifs, elle vous dégoûte des alimens falutaires, pour vous nourrir de poifons. Apre nez que ce défit violent, ces démarches vers la Fortunes font une révolte contre Dieu, une fource d'injustice & d'infidelité contre les hommes.

La Terre eft l'éxil du Chrétien, & le Ciel eft fa Patrie : il a juré d'élever fes vœux au Ciel, d'y tourner toutes fes penfées ; dès qu'il ceffe d'y afpirer, il perd fes droits. Comment trahit-il un ferment fi faint ? Infidele à fon Auteur, cruel à foi-même, il s'attache à. des biens périffables qui le dégradent, qui l'aviliffent. Cherchons, dit-il, cherchons les Tréfors, établiffons ici notre demeure. Auffi lâche, auffi criminel que les. Tributs de Ruben & de Gad, qui renonçoient à la Terre promife, trop contentes de quelques Campagues au-deçà du Jourdain. Il veut s'engraiffer avec les pécheurs, il éteint fon efperance, dément fa foy, efface dans fon cœur l'image de JESUS-CHRIST

Ceux qui naiffent dans l'opulence, naiffent dans un état dangereux, il faut l'avouer; mais le Seigneur. ne leur a pas laiffé de choix. S'ils craignent le péril qui

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les menace, le bras tout-puiffant les foûtient, il affermit les flots fous les pas de ceux qui marchent par fon ordre. De quel œil au contraire voit-il ce rebelle, qui loin de craindre le danger, s'y précipite? Placé dans une voye facile, qui eût abouti au falut, cet indifcret en fort & s'égare dans des voyes laborieufes. Soldat téméraire, il quitte fon pofte, il tombera dans le piége de l'ennemi. Jonas infidelle, il s'embarque, & la tempête va le fubmerger.

Ah! Seigneur, que votre mifericorde l'arrête ou le détourne; confondez fa prudence, déconcertez fes me. fures; fon avidité repouffée fe rallentira. Non, vous le voulez punir, & vous permettez des fuccez à fest entreprises; tout lui réüffira: il fe regarde déja comme l'héritier de tous les Riches, il dévore leur dépouille, il est ennemi de tous ceux qui veulent s'agrandir, il s'efforce de les précipiter & de s'élever par leur chûte. Plein de la futeur de s'enrichir, auroit-il quelques fcrupules fur les moyens: Peut-être fouhaiteroit-il qu'il s'en offrit beaucoup de légitimes: mais les reffources que l'honneur femble approuver, le travail, l'œconomie, la frugalité, routes pratiquées par nos Peres, font aujourd'hui trop longues, on ne les fuit plus. Interrogez ces Fortunes rapides que l'on admire, & que l'on envie; parlez à ces hommes qu'un jour a vû ramper dans la pouffiere, & que le jour fuivant

voit au faîte de la profperité. Ces arbres tranfplantez ombragent une Terre qui ignore leur naiffance, & leur progrez. La pierre brute qui dans la révélation de Daniel defcend de la Montagne, devient en un moment un vafte Edifice, dont toute la plaine eft cou

verte.

La lâcheté, l'audace, la fourberie, la cruauté feront les mêmes prodiges en faveur de cet Empreffé, qui court à la Fortune. Propofez-lui les emplois les plus fufpects, il les embraffera; le plus fordide Commerce, il s'y plongera; ne les lui propofez pas, il les demande, il les follicite. Déja la prévarication vend les droits de la veuve, fous prétexte de la défendre. L'ufure, fous couleur de nourrir le Pauvre, le dévore. Les concuffions épuifent les Provinces, fous l'apparence de fervir le Monarque, Faut-il nier un dépôt, détourner les deniers publics, fe parjurer dans le Négoce, fouiller le Tribunal du fang innocent, rien ne l'arrêtera. Qui fçait même fi les Tréfors du Seigneur font en fûreté fur les Autels?

Si quelques remords fe font entendre, on leur impofe filence; fi l'on a quelques dehors de juftice, c'eft pour furprendre la crédulité. Peut-être l'impieté déclarée nuiroit à de certains projets; l'apparence des vertus y peut fervir, on les contrefait alors, & l'hypocrific eft un nouvel outrage à la Religion.

Affez & trop enrichi par les premiers crimes, qui eft-ce qui retourne fur fes pas, ou qui s'arrête? Plus la cupidité trouve d'ouvertures, plus elle fe déborde, un fuccez en appelle un autre. En vain la Raifon s'écrie, c'est affez, tes befoins font remplis, tu te confumes pour un fuperflu onéreux, pour donner plus d'ôtages à la Fortune, pour fentir plus vivement fes revers; Efclave, ou ennemi de tout le mon de, donne-toi la paix & la liberté. En vain la Nature laffée l'invite au repos, & accufe les Richeffes de ne guérir ny les maux du corps, ny les troubles de l'efprit; il eft fourd à toutes ces voix, un vent impetueux le pouffe; il cede, il eft entraîné s'il réflechit il fent croître fes befoins à mesure qu'il les fatisfait. L'eau d'un ruiffeau ne le défaltere pas, il veut puifer dans un fleuve, & les torrents irritent fa foif au lieu de l'éteindre..

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Bientôt difparoiffent les limites de fes Champs; bientôt s'étendent fes Domaines ; il absorbe, il envahit, il ufurpe, il achette des uns aux dépens des autres. Malheureux, veux-tu donc habiter feul fur la Terre ? Pour remplacer le prix d'un acquifition faite aujourd'hui, demain doit éclore une iniquité. Ces biens, que tu multiplies, ne font pas à toi. Dans ces Palais fomptueux, fous ces Trophées que tu te dreffes de la mifere publique, ne vois-tu pas la main qui écrit ton ju

gement? Ah! que ces pierres ne fe féparent-elles ! Que le fang qui les a cimentées ne peut-il fe ranimer & rejaillir fur toi !

Mais toutes les Richeffes ne coulent pas d'une fource impure, l'envie d'en obtenir n'arme pas tous les hommes. Que dis-je ? Ceux qu'elle n'engage pas dans les mêmes défordres, ne doivent leur innocence qu'au hazard,ou qu'à leur foibleffe.Ceux-ci n'ayant pas la force de rompre la Loi, fe font contentés de la plier, ceuxlà n'en ont pas eu befoin; la Fortune eft venuë au devant d'eux; qu'elle eût refufé ou fait attendre fes faveurs, ils les euffent achetées de tout ce qu'il y a de plus facré.

L'avidité cherche à fe juftifier par differents prétextes. L'un éxagere fes befoins, l'autre les dépenses. Tel fe plaint que la Fortune lui confume les biens qu'elle lui prodigue. Tel fe couvre du voile de la pieté paternelle la prévoyance pour une famille qui croît fous fes yeux, l'appelle à de nouveaux engagemens. Ainsi cet infatiable accumule la malédiction fur la tête & la pérpetuë à fa pofterité. Eft-il Pere: Eft-il Chrétien ?

Pour nous, fi le Ciel, nous conduit dans les routes de la profperité, marchons en tremblant comme dans une forêt ténébreufe, & remplie de monftres. Si nous ne pouvons refuser les Richeffes, receyons-les dans notre maison, dit un Sage, & non dans notre cœur,