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lard tourmenté par de noires penfées, quittoit fon lit pour aller écou→ ter à la fenêtre. Les foupirs que la vieille pouffoit lui perfuadoient que fa femme fouffroit, il en étoit ravi, il s'en retournoit à fon lit. Je ne fçai quel démon le vint inquiéter, & lui perfuada qu'il falloit qu'il prit une vangeance dont fa femme fe fouvint éternellement. Il prend un couteau bien affilé, il defcend dans la cour, la vieille qui le vit venir mit la main fur fon vilage pour le cacher; il lui prit une oreille,la coupa, & s'en alla fatisfait de s'être vangé. La vieille pouffa un grand cri, & elle fe feroit fait connoître, fi le vieillard ne fe fut dérobé promptement à fa vûe. La belle que la crainte avoit feparé de fon amant, arriva peu de tems après; la vieille lui raconta comment le rolle qu'elle avoit joué pour elle lui avoit été funefte, la, belfe rendit graces au Ciel de fon bonheur qui lui avoit épargné un pareil fupplice; elle admira comment fa fortune en lui fauvant une fi trifte fcéne, lui en avoit menagé une fi agréable. Elle cenfela la vieille, & lui promit une creille d'or pour celle qu'on lui avoit cou

pée. Elle lui rendit fes habits & fe mit à fa place; elle l'envoya chez un Chirurgien. Le vieillard avoit quitté fon lit, & fe tenoit à la fenêtre pour entendre les plaintes de fon époufe; celle-ci après plufieurs fanglots, dit diftinctement avec le ton affectueux d'une femme qui prie. Seigneur qui connoissez mon innocence, vous avez vû jufqu'où mon mari a pouffé fa barbarie, il m'a coupé l'oreille; cette mutilation me deshonorera toute ma vie. Rendez-moi l'oreille qu'il m'a coupée, afin que mon innocence éclaté à fes yeux. Un moment après elle dit, Seigneur, vous m'avez exaųcée, quelles actions de graces vous puis-je rendre Le mari defcendit entraîné par fa curiofité pour voir fi le miracle avoit été fait, le jour commençoit à paroître. Quelle fût fa furprife quand il vit les oreilles de fa femme faines,entieres ! Il remarqua à terre le fang qui y avoit decoulé de l'oreille coupée, il détacha luimême fa femme qu'il embraffa tendrement, il lui demanda pardon de fon injustice, il fut fi perfuadé de fa vertu après un pareil miracle, qu'il la regarda comme une fainte; il cessa

d'être jaloux, & d'être efpion. Il fe repofa entierement fur elle. Elle don na alors impunément un libre cours à fes galanteries; le mari racontoit lui même par tout l'hiftoire de l'inno. cence reconnue, il mourut peu de tems après, & laiffa tout fon bien à cette jeune veuve qui ufa en faveur de l'amour de tous les droits de fa liberté.

Moliere.

Moliere difoit que le mépris étoit Bon mot de une pillule qu'on pouvoit avaler, mais qu'on ne la pouvoit gueres mâcher fans faire la grimace.

P'amour.

Lorfque François I. fut fait La force de prifonnier à Paris, un Gentilhomme nommé Bauregard, fut un de ceux qui furent obligez de prendre la fuite, il ne voulut point retourner en France pour n'être pas témoin de la confternation de fa patrie; il s'arrêta à Turin, peu de teins après il y devint amoureux d'une veuve nommée Aurelia. Bauregard étoit un Cavalier accompli, c'étoit un efprit vieux dans un corps jeune, il avoit une de ces figures gracieufes, avec laquelle tout le monde fympathife. Aurelia étoit en femme, ce qu'il étoit en homme. Elle avoit une de ces beau

pour

tez éclatantes qui effacent toutes les autres; Bauregard en devint éperdüment amoureux; Aurelia ne vouloit point écouter fa paffion. Elle lui reprochoit à tout moment qu'il étoit François, que la legereté, l'indifcretion étoient les vices de fa nation. Bauregard l'affuroit qu'il étoit exempt de ces défauts, & qu'il étoit capable des plus grands efforts lui prouver fon amour. Hé bien, lui dit Aurelia, je vous demande que vous foyez muet pendant une année. Bauregard fur le champ ne lui parla que par figne, quand il fut de retour chez lui, il ne s'expliqua que par figne avec fes domeftiques. Tout le monde crut qu'il avoit perdu la parole; on déplora fon malheur. Les Medecins qui furent appellez prefcrivirent des remedes, il n'en voulut faire aucuns il alloit voir Aurelia à qui il parloit par figne, & ne parloit que de fa paffion, il mettoit fouvent fa main fur fon cœur, & montroit enfuite les yeux de fa belle, pour lui faire voir la caufe de fon mal. Aurelia ne parut point touchée, elle lui ordonna de s'éloigner d'elle, il paffa en France. François I. ayant

par

été mis en liberté, Bauregard qui étoit connu de ce Monarque parut à la Cour. François I. qui l'aimoit lui envoya des Medecins qui propoferent plufieurs remedes; il feignit de les écouter. Comme il ne gueriffoit point, les Empyriques parurent, il leur joua le même tour qu'il avoit joué aux Medecins,, Une étrangere qui fe vantoit d'avoir des fecrets ticuliers, fe prefenta à François I. comme une femme qui avoit fait des cures extraordinaires,qui avoit reffuscité, comme dit Moliere, des gens qui étoient morts. Sa beauté frappa ce Monarque qui ne haïffoit pas les Dames. Il manda Bauregard qui fut encore plus furpris que le Roi à la vue de cette belle Empyrique. Pour vous montrer dit-elle au Roi: quelle eft la vertu que j'ai, je veux par une parole feule le guerir; parlez dit-elle à Bauregard. Alors la langue de ce Cavalier fe délia. C'étoit Aurelia elle-même dont le cœur s'étoit fléchi, lorfqu'elle avoit appris la fidelité avec laquelle fon amant avoit executé l'ordre qu'elle lui avoit preferit, elle l'avoit jugé capable de tout faire pour elle & elle avoit

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