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le principal personnage ; & parce qu'il eft naturel qu'un Peuple ou une Cour s'intéreffe au bonheur, ou au malheur de fon Prince, le choeur prenoit un grand intérêt à l'action, avec laquelle fes chants avoient un rapport continuel : il fervoit auffi à remplir les intervalles des Actes, & à faire par là que le Théâtre ne demeurât jamais vuide. Le principal perfonnage du choeur fe nommoit le Coriphée & portoit la parole pour les autres. On fçait avec quel fuccès M. Racine a imité cette partie de la Tragédie antique. Qu'il me foit permis de faire ici une petite remarque de morale. C'eft que je ne lis jamais fans admiration ce qu'Horace a dit des fonctions du choeur. Prendre les intérêts de la vertu, en faire l'éloge, louer la frugalité, la juftice, les loix, infpirer la concorde & la douceur, demander aux Dieux qu'ils daignent protéger les malheureux, humilier l'orgueil & foudroyer le crime; telle étoit la matiére des chants du choeur chez les Payens,

ils

ils n'euffent pas entendu avec une joye fi pure & fi innocente le panégyrique continuel de la molef fe & de la volupté dont retentit un fpectacle moderne qui leur fut abfolument inconnu, & qui n'est à proprement parler ni Tragédie, ni Comédie. Ce fpectacle, précision faite de fa morale dangereufe, & à ne le confidérer que du côté du plaifir, n'a point encore réuni tout ce qui doit y concourir; car c'est non-feulement l'oreille & les yeux, mais encore l'efprit & le coeur qu'il fe propofe de charmer, puifqu'il eft destiné à amufer des hommes polis & fenfés & non des enfans ou une groffiére populace. Or combien peut-on citer de nos Opéra dans lefquels fe trouvent tout à la fois réunis le merveilleux des machines, la magnificence des décorations, l'harmonie de la Mufique, le fublime de la Poëfie, la Conduite du Théâtre, la régularité de l'action & l'intérêt foutenu pendant cinq Actes? Quinault & Lullį les deux Héros de la Scéne chan Tome II,

G

La paf

doit-elle

regner dans la

Tragédie?

tante, ont-ils une feule fois raffemblé toutes ces parties néceffaires à l'idée qu'on fe forme d'un Opéra ? qu'importe que les yeux foient éblouis, que l'oreille foit enchantée, fi l'efprit n'eft point tranfporté, & fi le coeur, malgré l'impreffion que ce fpectacle fait fur les fens, eft en proye à la froideur & à l'ennui ?

Ce feroit une entreprise bien fion de au-deffus de mes forces, que de l'amour décider cette queftion délicate fi la paffion de l'amour eft abfolu ment néceffaire fur notre Théatre, ou fi elle en doit être entierement bannie. Je me contenterai de rapporter fuccinctement les raisons qu'alléguent les défenfeurs de l'un & l'autre fentiment, en laiffant au Lecteur le droit d'examiner la validité des unes & des autres, fans gêner la liberté de fon jugement.Ceux qui foutiennent la néceffité de l'amour dans nos Tragédies se fondent 1. Sur ce que le Poëme dramatique a pour objet d'exciter la terreur & la pitié par limage des

eruautés, des violences, des malheurs que l'injuftice, l'ambition & les autres paffions entraînent après elles. Or l'amour eft fouvent le principe de toutes ces fuites funcftes, & l'expérience n'apprend que trop que plus il est violent, plus il eft capable de produire ces effets. Il eft donc néceffaire de le peindre fur le Théâtre, & de l'y peindre d'après nature, c'est-à-dire, fougueux, emporté, foupçonneux, jaloux, aveugle, & quelquefois cruel, parce qu'il influe fur les événemens, & qu'il en eft fouvent la feule & la premiere cause._2o. L'éxemple des Grecs & des Romains qui n'ont point fait ufage de cette paffion dans leurs Tragédies ne prouve point qu'on doive l'exclure des nôtres. Ces Peuples étoient des Républicains, jaloux de leur liberté jufqu'à l'excès, ennemis nés des Rois & de la Monarchie; c'étoit pour eux un plaifir délicat flatteur & fuffifant, que de voir dans leurs fpectacles des Princes humiliés, des Grands opprimés, des

Rois détrônés & malheureux. Rien n'étoit plus conforme à leurs inclinations & à leur caractere. Ainsi, ajoûte-t'on, les Anglois, nos voifins ont infiniment plus de plaifir aux représentations du Céfar de Shakespear, du Caton de M. Addiffon, & de la Venise fauvée dans lefquelles il n'eft pas queftion d'amour qu'à l'Andromaque ou à l'Iphigénie de Racine qu'on a jouées fur leur Théâtre & dans lesquelles cette paffion eft vivement exprimée; or nos moeurs font toutes différentes de celles des Grecs & des Romains, notre façon de penfer eft entierement oppofée à celles des Infulaires dont nous venons de parler, nous fommes accoutumés au pouvoir Monarchique qu'ils redoutent, les grandes idées de liberté & d'amour de la patrie dont ils font occupés, ne nous touchent que foiblement; mais parce que le coeur de l'homme ne fçauroit être abfolument exemt de paffions, les nôtres font plus tournés à la galanterie; par conféquent, conclu

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