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liation avec Britannicus, cache la
haine la plus envenimée & le def-
fein formé de perdre ce jeune Prin-
ce, qui fait ombrage à fa puissance
autant qu'à fon amour. La raifon
générale qui prouve que les moeurs
ne doivent pas toujours être bon-
nes d'une bonté morale; c'est que
la Poëfie, pour arriver à fa fin
principale, qui est l'instruction
doit également employer le ta-
bleau des vices & des vertus ; faire
contraster le crime & l'innocence:
La nature du poëme dramatique
exigeant d'ailleurs que la vertu y
paroiffe quelque tems malheureu-
fe mais à la fin triomphante &
couronnée, & que les fuccès heu-
reux & paffagers du crime y foient
fuivis d'une punition éclatante; il
eft évident le Poëte ne peut
que
fe dispenser de peindre des carac-
teres réellement vicieux dont l'i-
dée entre néceffairement dans fon
deffein, de rendre la vertu aima-
ble & le vice odieux.

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Des

Ce feroit une question curieufe à examiner que de fçavoir s'il eft utile Paffions.

ou dangereux de remuer les paffions des hommes pour perfuader leurs coeurs des vérités fur lefquelles on a éclairé leurs efprits. L'Aréopage d'Athénes fi célébre dans l'Antiquité avoit interdit aux Orateurs fous des peines très-féveres toutes fortes de mouvemens, comme contraires à l'éclaircissement de la vérité, & rien en effet ne marque tant la foibleffe & la mifere de Thomme, que cet Empire que les paffions ont fur ces jugemens. Les Poëtes tragiques furent traités plus favorablement, & l'on ne voit dans la Gréce aucune loi qui leur ait enlevé la plus grande reffource de leur Art, le jeu des paffions. Au refte ce n'eft plus un problême aujourd'hui de fçavoir fi l'on doit les exciter fur le Théâtre. La nature du fpectacle, fa fin, fes fuccès, démontrent affez que les paffions font une des parties les plus effentielles du poëme dramatique,

&

que fans elle tout devient froid & languiffant dans un ouvrage où tout doit, autant qu'il fe peut, être

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mis en action. Pour en juger dans les ouvrages de ce genre, il fuffit de les connoître & de fçavoir difcerner le ton qui leur convient à chacune; quelques exemples fuffi ront pour cela.

Chaque paffion parle un different langage: La colere eft fuperbe & veut des mots al

tiers,

L'abbatement s'explique en des termes moins fiers.

J'entrerois dans un détail fatiguant & fans doute inutile, fi j'entreprenois d'expofer ici la nature de chaque paffion en particulier, fes effets & les refforts qu'il faut employer, les routes que l'on doit fuivre pour les émouvoir. Nous n'avons rien de plus exact ni de plus profond fur cette matiere, que ce qu'en a écritAriftote au livre fecond de fa Rhétorique, c'eft là qu'il faut puifer la théorie en fe fouvenant de faire l'application des principes lumineux qu'on y trouve aux Tome II. H

écrits des Poëtes Anciens & Modernes les plus fâmeux: on y reconnoîtra pour peu qu'on veuille réfléchir que les définitions du Philofophe Grec ne font pas des idées arrangées à plaifir, mais l'anatomie du coeur humain (fi j'ose ainfi m'exprimer ) & des portraits tracés non d'après l'imagination, mais d'après la nature & l'expérience.On fera peut-être étonné en comparant les exemples & les préceptes de voir que les routes les plus sûres pour aller au coeur, font les mêmes dans tous les tems, & qu'en fait de fentiment, le goût eft invariable, qu'à cet égard, il n'est point arbitraire, comme bien des gens le prétendent; mais qu'au contraire on pourroit en quelque forte les réduire en art & en établir la certitude par démonftration. L'homme a des paffions qui influent fur fes jugemens & fur fes actions; rien n'eft plus conftant, toutes n'ont pas le même principe, les fins qu'elles fe propofent different autant entr'elles, que les moyens

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qu'elles employent pour y arriver fe reffemblent peu. Elles affectent le coeur chacune de la maniere qui lui eft propre, elles infpirent à l'efprit des pensées relatives à ces impreffions, & comme pour l'ordinaire ces mouvemens intérieurs font trop violens & trop impétueux pour n'éclater pas au dehors, ils n'y paroiffent qu'avec des couleurs qui les caractérisent, & qui empêchent qu'on ne les confondent: ainfi l'expreffion qui eft la peinture de la pensée, eft-elle auffi convenable & proportionnée à la paffion dont la penfée elle-même n'eft que l'interpréte. Les perfonnes qui ont réfléchi fur les opérations de l'efprit, entendront aifément ce langage, qui paroîtra peut-être une véritable énigme à ceux qui ne penfent & ne parlent que par méchanisme. Ces principes fuppofés, on difcernera fans peine dans les exemples fuivans fi les paffions y parlent le langage qui leur eft propre.

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