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des Grands-Maîtres. Impatient de voir la preuve qu'il en donne, je recours à l'endroit indiqué, & tout ce que j'y trouve, c'eft qu'Amauri étoit Maître particulier ou Précepteur de France en 1267.

Tels font les avantages de la nouvelle édition de Dupuy par M. Godefroi. Après les avoir annoncés au public à la tête de fa collection, il efpere qu'on fera convaincu: 1°. Que la conduite qu'on a tenue à l'égard des Templiers a été très-réguliere & très-équitable; 2°. Que ces Chevaliers étoient véritablement coupables des affreux excès & des impiétés dont on les accufoit ; 3°. Que ces excès étoient non-feulement des crimes échappés à la foibleffe des particuliers, mais adoptés par le Corps &, pour ainfi dire jurés de profession; enfin, qu'il étoit tems d'arracher cette ivraie du champ du Seigneur. Je m'étonne que M. Godefroi ne nous ait pas encore vanté la peine qu'il a prise de mettre des fommaires François à la tête des pieces latines de fa collection; mais comment lui favoir gré de cette bigarrure, où l'on retrouve le même défaut d'attention que dans fes notes? A la page 404 il met pour titre à douze ou treize pieces: Suite des actes du Concile Provincial de Londres, contenant l'aveu de prefque tous les Templiers Anglois, des crimes dont ils avoient été con

vaincus.

Nous verrons en fon lieu combien cet énoncé eft peu vrai: en attendant, on prie le lecteur de confulter la note de l'Editeur qui eft à la page 307, & les actes du

Concile en question; il y trouvera le contraire de ce que le fommaire annonce : de soixante Chevaliers qui confentirent à être relevés des cenfures comme s'ils en euffent été liés, il n'y en eut que trois qui, confidérés comme fugitifs, & plus vexés que les autres, confefferent à la fin quelques-uns des chefs dont on les chargeoit ; les autres refuferent tellement de fe reconnoître coupables, & furent fi peu convaincus, que plufieurs Prélats, trou-` vant mauvais qu'on prononçât fur eux une formule abfolue de réconciliation, représenterent qu'il falloit la changer en conditionnelle. En conféquence il fut réglé que l'absolution feroit exprimée en ces termes : Et au cas que vous ayiez encouru quelques excommunications, de l'autorité du Concile nous vous en abfolvons à cautele; ce qui feul, quand on n'en auroit pas d'autres preuves, démontre que les Chevaliers Anglois ne furent aucunement convaincus d'Apoftafie, d'Héréfie, ni des autres chefs fur lefquels on les avoit diffamés.

S'il eft trifte pour un Pape & pour un Roi d'avoir befoin d'Apologistes en fait d'avarice & d'inhumanité, il ne l'eft pas moins d'en avoir trouvé du caractere de M. Godefroi, qui, au lieu de fuivre fon deffein, & de nous donner une édition corrigée de l'Hiftoire de M. Dupuy, femble n'avoir voulu qu'adopter ce qu'elle a de défectueux. L'ouvrage du Bibliothécaire ne pouvoit être corrigé qu'en fupprimant tout ce qu'il renferme d'extrait de Robert Gaguin, du paffage d'outre-mer, de

Guillaume

Guillaume Paradin, & d'un mauvais continuateur de Guillaume de Tyr, nommé Jean Herold, Médecin d'Ochftet. Loin de les défavouer, à l'exemple du P. Alexandre, ces traits abfurdes & révoltans, M. Godefroi eft fi content de les avoir reproduits, qu'il efpere qu'on lui en aura obligation; que fon in-quarto sera bien reçu du public, & mis à côté de l'Hiftoire de Malte, pour lui fervir de fupplément, comme si l'Hiftoire d'un Ordre fupprimé en 1312 pouvoit fupplémenter celle d'une Chevalerie qui fe foutient encore avec honneur. Pour moi, qui fens la différence de mes productions d'avec celles de l'Abbé de Vertot, loin d'en désirer le parallele, j'ai tout lieu de le craindre, comme ne pouvant être qu'à mon défavantage : fon ftyle eft pur & noble, le mien inégal, fans goût, négligé, & souvent diffus; ses idées éclairent & réveillent, tandis que les miennes font fimples, communes, & peut-être quelquefois triviales.

Tout ce que j'ai à dire de l'Ouvrage que je livre au public, c'est que j'ai pris foin de l'arranger du mieux qu'il m'a été poffible, fans faire tort ni grace à perfonne, fans diffimuler les fautes, & fans exténuer les vertus des Templiers. L'Hiftorien qui fe pique le plus d'impartialité n'en eft pas toujours le plus exempt; on eft entraîné par une fecrete féduction dans le tems qu'on croit être le plus en garde contre elle. Peut-être moi-même, malgré mes précautions, n'ai-je pu me garantir de ce piége

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imperceptible. Les grandes qualités des guerriers infpirent de l'estime & de l'attachement; leurs difgraces nous font éprouver des fentimens de commifération; on se trouve ému de pitié & d'indignation contre les auteurs de leur infortune; & fans avoir deffein de s'affectionner à leurs biens & à leurs maux, on prend parti, même à son infu, pour des infortunés dignes d'un meilleur fort. L'Hiftoire des Templiers femble être faite exprès pour exciter en nous ces impressions: on y découvre ces vertus, ce zele, cette bravoure qui forment le caractere des Héros; on y remarque ces éclatantes difgraces qui arrachent la pitié, & qui remuent l'indignation; on y lit des traits de la foibleffe humaine qui demandent notre indulgence. Il est difficile, au milieu de ces objets touchans, de conferver l'efprit neutre & le cœur indifférent.

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Quelles qu'aient été mes dispositions à la vue de ces aspects divers de la conduite des Templiers, j'ofe afsurer qu'elles n'ont m'entraîner à de lâches complaifances, ni me porter à des déguisemens artificieux, ni m'engager à juftifier des foibleffes condamnables. J'ai représenté ces Chevaliers tels qu'ils étoient : fi je ne me fuis pas toujours élevé contre leurs défauts, je ne me fuis pas pour cela difpenfé de les faire fentir avec la même liberté que leurs vertus.

Les Rois & les Pontifes qui ont eu part à cette Hiftoire y paroîtront bien ou mal traités, fuivant que leur conduite m'a paru digne de louange ou de blâme.

Au refte, fi j'ai paffé les bornes de la modération fur cet article, ce n'eft pas la faute de mes amis. Souvent ils m'ont fommé d'y faire attention, & autant de fois j'ai repliqué: Qu'importe à Louis le Bien-Aimé d'avoir au nombre de ses prédécesseurs un Prince haï de ses sujets? qu'importe à Clément XIII d'avoir été précédé par un perfonnage indigne de la Chaire de S. Pierre? qu'importe aux Inquifiteurs modernes d'avoir eu pour ancêtres gens qui s'embarraffoient peu des premiers principes du droit naturel? J'avoue qu'on doit tirer le rideau fur les fautes de ces perfonnes refpectables, tant qu'elles sont sur la terre les images de la Divinité; mais dès qu'une fois elles viennent à être dégradées par les mains de la mort & que leurs cendres font mêlées avec celles du commun des hommes, il eft permis de dire ce qu'on trouve de répréhensible dans leur conduite en cela j'ufe des droits de l'Hiftoire, qui ne doit ménager perfonne, & qui craint de flatter, autant qu'elle craint peu d'offenser & de déplaire. Le rifque eft tout entier pour l'Historien, mais il lui eft glorieux de risquer pour l'intérêt de la vérité, qui eft l'ame de l'Hiftoire : peut-être que le public, à qui j'abandonne celle-ci, me faura gré de ma franchise ; mais comme je lui fuis comptable des faits que j'y avance, je dois lui indiquer les sources où je les ai puisés.

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Ce font les Ecrivains compris dans le Gefta Dei per Francos, fur-tout Jacques de Vitri, Marin Sanut & Guillaume de Tyr: ce dernier m'a paru en général parler

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