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HUGUES DES
PAYENS.

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ne recevra plus de fœurs (29). On y parle de certains faux-freres qui fe faifoient paffer pour Templiers fans en avoir fait les voeux (30). 1128 jufqu'en On y condamne, comme un abus très-dangereux introduit contre l'intention du Chapitre général, la conduite de quelques Chevaliers qui autorifent leurs écuyers à porter le manteau blanc. Cela fuppofe incontestablement un Ordre déja répandu, & ne peut convenir au tems du Concile de Troyes, auquel Hugues n'avoit encore que huit compagnons.

Cette remarque détruit l'opinion des Hiftoriens littéraires de France, qui, fondés fur un texte obfcur, prétendent que S. Bernard fe déchargea de la commiffion qu'il avoit de donner une regle aux Templiers, fur un certain Jean de Saint-Michel; mais l'endroit qu'ils apportent en preuve ne dit rien, finon que le faint Abbé ayant reçu des Evêques affemblés à Troyes, la qualité de Secrétaire du Concile, il s'en déchargea fur ce Jean de Saint-Michel (ou plutôt Saint-Mihiel), qui en effet ne fe donne d'autre qualité que celle de scribe, & non d'auteur: Ego Joannes Michaëlenfis, præfentis pagina, juffu Concilii ac venerabilis Abbatis Clarævallenfis cui creditum ac debitum hoc erat, humilis fcriba, divinâ gratiâ effe merui. Selon ces termes Jean de Saint-Mihiel n'eut de S. Bernard d'autre commiffion que celle dont le faint Abbé avoit été lui-même chargé par le Concile: or, il eft évident qu'il n'en reçut que la qualité de fcribe; comment donc peuton affurer que Jean ne fut pas fimplement Secrétaire, mais qu'il composa lui-même la regle du Temple ? Deux manuscrits, dit-on, portent qu'il l'écrivit & la dreffa par ordre du Concile & de S. Bernard. Si ces deux manufcrits euffent eu d'autres fondemens que le texte que je viens de rapporter, on n'auroit pas manqué d'en avertir; mais quels que foient ces manufcrits anciens ou modernes, Anglois ou François, ils ne peuvent en favoir plus que Jean lui-même, qui, fe croyant déja trop honoré de la qualité de fcribe, ne fe

Ber-|

(29) Admonitio in opufculum fextum S. Bernardi, tom. 2, pag. 541.

(30) Chapitres de la regle 21 & 56.

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défigne auteur de la regle ni de loin ni de près (*). On trouve dans la chronique de Jean Staïndelius & quelques autres, que ce fut le Légat du Pape qui, durant le Concile de Troyes, donna une regle 1128 jufqu'en aux Chevaliers. Parce que celle que nous avons eft divisée en foixantedouze chapitres, comme celle de S. Benoît, & qu'elle en conferve quelques expreffions, le P. Hardouin, non content d'accufer certains prétendus fripons d'avoir fait Jéfus-Chrift premier Grand-Maître des Templiers, demande encore fort férieufement fi cette regle dont il s'agit, n'auroit pas été fabriquée pour donner quelque air d'antiquité à celles des Moines d'Occident (31); mais il faudroit quelque chofe de plus que l'autorité & les foupçons de cet écrivain pour nous décider fur les auteurs de cette piece.

Au refte, mortification, filence, retraite, oraison, tout y est réglé avec affez de prudence: les premiers chapitres parlent de la diftribution des offices divins; enfuite on y diftingue trois fortes de fujets : les Chevaliers, les Chapelains & les Servans (**). Les Chapelains ne doivent retirer de la manfe commune que le vivre & le vêtir; aux Chevaliers il eft permis d'avoir jusqu'à trois chevaux de monture avec un écuyer, & pour concilier cet équipage avec la fimplicité religieufe, il y eft rigoureufement défendu de fouffrir aucune dorure ni autre ornement fuperflu qui fe reffente de la vanité du fiecle.

Un autre statut porte qu'on ne mangera de la chair que trois jours de la femaine, & que dans les jours d'abstinence, on pourra fervir jufqu'à trois mets. Quant à l'obligation d'affister à matines & aux heures du jour, il n'y a aucune diftinction entre les Chevaliers & les Chapelains. Les voyageurs feulement, & ceux qui ne peuvent se trouver au chœur, font obligés de réciter, pour matines, treize fois l'oraifon dominicale, neuf fois pour vêpres, & fept fois pour

(*) Hiftoire littéraire de France, tome 11,

pages 67 & 68.

(31) Animadverfiones in librum tertium Odarum Horatii, pag. 348. Vide ejufdem Opera varia, pag. 641.

(**) M. Mesheim, dans fes Inftitutions fur l'Hiftoire Eccléfiastique, page 389, affure trop hardiment que l'Ordre du Temple n'étoit compofé que de Chevaliers, & non de Prétres.

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les autres heures. Les prieres pour les morts font fixées au nombre de cent pater pour chaque Confrere, lefquels il falloit avoir récités 1128 jufqu'en pour le feptieme jour du décès (32).

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Je ne dis rien des défenses expreffes de fortir & de recevoir des lettres fans permission, de tirer sur aucune bête, fi ce n'eft fur des lions, de frapper les Servans qui s'engageoient à fervir gratis, non plus que du foin des malades, de la fimplicité dans les habits, de la lecture continuelle pendant les repas, de l'abftinence quadragéfimale tous les vendredis, des peines décernées contre les murmurateurs & les médifans, ni de plufieurs autres réglemens capables de conduire à la perfection par la pratique des confeils évangéliques: mais un article que je ne crois pas devoir omettre, c'est le foin du Législateur à prévoir, comme fautes de conféquence, & à défendre, comme contraires à la modeftie, des marques d'amitié très-innocentes en ellesmêmes. Voici comment il s'énonce au commencement du dernier chapitre: Et ideò... nec matrem, nec fororem, nec amitam, nec ullam aliam feminam, aliquis Frater ofculari præfumat. Il est en outre ordonné par la regle, que tous les Chevaliers, pour marque de pureté, porteront l'habit blanc : Hugues & fes compagnons l'avoient reçu à Troyes des mains du Légat, felon quelques historiens.

Après avoir obtenu la confirmation de leur Ordre, ils prirent différentes routes, pour s'acquitter, auprès des Souverains, de la commiffion dont Baudoin les avoit chargés. Par-tout ils s'arrêtoient dans les villages & les bourgades, expofant aux peuples l'état de l'Eglife d'Orient, & la néceffité d'une nouvelle croisade, exhortant un chacun à ne pas laiffer imparfait un ouvrage qui avoit eu de fi heureux commencemens. Durant le féjour qu'ils firent en Europe, leur nombre s'accrut confidérablement; une foule de gentilshommes des meilleures familles de France, d'Italie, d'Espagne, se joignirent à

(32) Selon Guillaume Dupeyrat, Hiftoire | fois le chapelet par jour, au lieu des heures Eccléfiaftique de la Cour, pag. 609, à bon canoniales, & l'auteur veut que cela foit mardroit les Chevaliers de Malte fe font obligés, qué dans un livre manufcrit contenant la regle par leurs Statuts, de dire chacun cent cinquante de ces Meffieurs.

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eux, & demanderent d'être agrégés à cette nouvelle milice. Hugues ayant parcouru une partie de la France, paffa en Angleterre, d'où il emmena bon nombre de Seigneurs qui s'attacherent à fa perfonne, 1128 jufqu'en entr'autres le frere du Comte d'Anjou, nommé Foulques, qui fut couronné Roi de Jérufalem en 1131 (33). Après avoir donné l'habit à la plupart de ces Seigneurs, Hugues reprit le chemin de la Palestine fuivi de cette floriffante recrue. La facilité qu'il avoit eue d'enrôler fur de légeres apparences de bonne volonté, ne laiffa pas de produire un grand bien, qui fut de délivrer le public de plufieurs petits tyrans qui l'opprimoient impunément. Avant que de les engager, on commençoit par les obliger à la réparation de tous les dommages qu'ils avoient caufés aux Eglifes & aux particuliers. Nous en avons un exemple dans Hugues d'Amboife, qui ayant vexé les fujets de Marmoutier par fes exactions, fans vouloir se rendre aux avertiffemens du Comte d'Anjou, fut obligé par Hugues des Payens, fon maître, de s'humilier avant de partir, & de renoncer à fes prétentions (34).

Par ce que nous avons rapporté jufqu'ici, d'après les Hiftoires originales, il est évident qu'avant 1128, les Templiers n'avoient encore en Occident aucune habitation, & qu'ils n'étoient pas alors en nombre fuffifant pour affiéger ou défendre des villes; cependant, on veut qu'en 1120, ils fe foient chargés en Espagne de défendre Montréal contre les Maures, & qu'en 1122, ils aient affiégé & pris la forteresse de Monçon (35). L'erreur vient de ce qu'on a confondu les Chevaliers du Temple avec ceux de S. Sauveur, inftitués à Montréal par Alphonse VII, Roi de Castille, la même année que ceux dont il s'agit. Toutefois, il eft certain qu'avant de quitter l'Europe, ils y accepterent des établissemens, & qu'il fallut y laiffer des fujets pour adminiftrateurs, puifqu'en 1129 au plus tard, il y avoit déja des Templiers en Flandre: cela fuit de ce que nous avons dit plus haut, & de ce qu'on pourroit prouver

(33) Henricus Huntindonienfis Hiftoriarum, (35) Mariana, tom. 3, pag. 39. tom. 2, lib. 7, pag. 384. Item. Rog. de Hoveden, pag.lib 10, cap. 10, Item. Chronicon. Barcinon, in Marca Hifpan., pag. 754.

479.

(34) Annales Benedictini, tom. 6, pag. 166.

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d'ailleurs (36). En Espagne, Raimond Bérenger III, Comte de Barcelone, connu par fa vertu & fa valeur, s'engagea dans la nouvelle 1128 jufqu'en Chevalerie en 1130, & prononça fes vœux cette année-là même entre les mains de Fr. Hugues de Rigauld, dans leur maison de Barcelone où il mourut quelques mois après (37).

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Le Roi de Jérufalem, inquiet fur le fuccès de fa députation auprès des Princes occidentaux, fut agréablement furpris de revoir Hugues des Payens accompagné d'une nombreuse nobleffe qui, s'augmentant tous les jours, foutenoit merveilleusement le courage des Croifés; mais ce qui leur caufa le plus de joie, ce fut de voir cette jeuneffe de la premiere distinction, contente d'un ordinaire fimple réserver la magnificence pour l'ornement des autels, trouver, après les actes de régularité, affez de tems & de force pour vaquer aux exercices nilitaires, pour donner la chaffe aux voleurs qui infestoient les chemins. A quelque heure du jour ou de la nuit qu'on les appellât, ils fe trouvoient fous les armes, foit pour aller à la découverte, foit pour accompagner les voyageurs. Avant qu'ils fuffent en état de former feuls un corps refpectable, ils s'attroupoient avec les Hofpitaliers fur les frontieres du royaume, pour harceler les Turcomans, éclairer leurs démarches, éventer leurs projets: parce qu'ils s'étoient fait une loi de ne jamais reculer, déja tout commençoit à fuir devant eux; & lorfqu'il s'agiffoit de courir à l'ennemi, on ne les entendoit pas, dit l'hiftoire, demander combien font-ils ? mais feulement où font-ils (38)?

Les étrangers qui avoient été témoins de leur zele, & l'objet de leurs foins & de leurs libéralités, s'en retournoient pénétrés de reconnoiffance, & ne pouvoient, de retour dans leur pays, fe laffer de raconter le genre de vie de ces nouveaux Religieux, & les fervices qu'ils en avoient reçus. De-là ces aumônes fréquentes, ces donations magnifiques qui leur arrivoient de tous côtés : il ne fe faifoit aucune difpofition teftamentaire où ils n'euffent bonne part; il ne mouroit prefque

(36) Hiftoire de la Maifon de Gand, page)
page
74 des
preuves du liv. 2.

(37) Hift. gén. de Languedoc, l. 17, p. 407. (38) J. Vitriacus, Hift. Jerofol. l. 64.

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