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HUGUES DES
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bras du Tout-Puiffant que dans leur propre courage, le Ciel sembla souvent fe mettre de leur parti, & combattre en leur faveur. On ne peut pas dire que cet éloge, par Jacques de Vitri, ne convienne qu'aux Templiers des premiers tems, puifque c'eft en 1230, c'està-dire plus de cent ans après leur institution, que cet historien écrivoit.

Baudouin II, qui les avoit vus naître, fut fouvent témoin de leur attachement à son service: ils l'accompagnerent dans fes dernieres expéditions, & ce Prince mourut dans l'efpérance qu'un jour cette Chevalerie feroit un des plus forts appuis de fon royaume. De fon tems on commença à fe fervir de leur confeil comme de leur épée, à ne rien entreprendre d'important fans les avoir confultés, & ils eurent dans la fuite tant de part aux affaires d'outre-mer, que l'histoire des Croisades n'eft, à la bien considérer, que l'histoire des Chevaliers du Temple & de l'Hôpital.

A peine fept ou huit ans s'étoient écoulés depuis la confirmation de l'Ordre, qu'on le vit s'étendre prodigieufement en Espagne fur-tout & en France (59). Les donations qu'on leur fit, n'étoient pas de terreins incultes & à défricher, comme ceux que recevoient les disciples de S. Norbert & de S. Bernard, c'étoient des châteaux, des fiefs, des forts, des bourgades avec leurs appartenances. Nous rapporterons ici & ailleurs ce qui en eft venu à notre connoiffance.

En 1130, Raimond Bérenger III, Comte de Barcelone, en s'engageant à l'Ordre, lui donna, du confentement de fon fils, un château très-fort & toute la garnifon & le peuple qui y étoit renfermé, avec tous fes droits, ufages & dépendances, le tout à charge de défendre fes limites contre les incurfions des Sarrafins. Cette place eft appellée Granena dans l'acte de donation (60).

Si nous en croyons l'Histoire de l'Eglife de Gandersheim, l'Empereur Lothaire changea en Eglife & Couvent militaire un château de fon do

(59) Robertus de Monte, apud Baron., annum, 1131.

ad

(60) Martenne, veter. Script. Collectio, col. 705.

maine particulier, nommé Supplingebourg, où il appella de ces nouveaux Chevaliers vers 1131.

En 1132, le Roi d'Aragon leur confia le gouvernement d'une colonie de Chrétiens qu'il venoit de conduire dans la fortereffe de Mallon ou Mallen, d'où il avoit chaffé les Maures. Cette donation fut changée dans la fuite avec les Hofpitaliers contre le bourg de Novillos (61).

En 1133, Lotherre, Seigneur de Baudiment en Champagne, leur fit donation de tout ce qu'il poffédoit en ce lieu, & de tout ce qu'il avoit du fief du Sénéchal André, son parent, depuis Chant-de-Merle jufqu'à Baudiment (62).

En 1134, nos Chevaliers s'étant présentés pour recueillir ce qui leur avenoit de la fucceffion d'Alphonfe, on leur répondit que le teftament ne pouvant avoir lieu pour le tout, on ne laifferoit d'y refpe&er les intentions du teftateur, & de le rendre avantageux aux légataires autant qu'il feroit poffible; mais ce ne fut qu'après une négociation de plufieurs années, que l'affaire fe termina aux conditions que nous rapporterons ailleurs.

En 1135, Pierre, Evêque de Nice, les combla de fes libéralités, & leur fit de très-grands avantages dans fa ville & aux environs. On voit encore, dans le territoire de Nice, des débris & des reftes de voûtes dans un lieu nommé la Fontaine du Temple, & l'on tient pour affuré que cet endroit tire fon nom d'un ancien monaftere de ces Chevaliers, & d'une Eglife que l'on nommoit Sainte-Marie du Temple (63).

Cette même année le 3 janvier, S. Oldegaire, Evêque de Barcelone, qui avoit porté Raimond III à fe faire Templier, engagea Raimond IV, fon fils, à s'attacher à cet Ordre, comme à un corps dont il pourroit tirer de grands fecours contre les Maures.

(61) Hifpania illuftrata, tom. 3, pag. 42.
(62) Hiftoire de la Maison de Dreux, pag.

233.

(63) Gallia Chrift. nova, tom. 3, col. 1279.

Petri Goffredi Nicienfis urbis Notitia, in tom.
9 Italia Antiquitatum, part. 6, cap. 11, сов.

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Raimond, en conféquence, leur fit bâtir un couvent pour dix Re ligieux au moins, qu'il demanda à Hugues, & non, comme dit 1128 jufqu'en Bollandus, à Robert le Bourguignon, qui n'étoit pas encore à la tête des Chevaliers. Le Comte leur donna, le troifieme de décembre, entre les mains d'Arnauld Bedos & de Hugues de Rigauld, le Mas de Barberan, château éloigné de Tortofe de trois ou quatre lieues. Deux ans auparavant, Hermengaud, Comte d'Urgel, avoit déja cédé à l'Ordre toutes fes prétentions fur cette place, voifine des infideles. Le 5 avril fuivant, S. Oldegaire fit une conftitution en faveur de ceux qui, renonçant au monde & à leur patrimoine, fe confacreroient dans cette milice à la défense & à la propagation de la foi, menaçant des cenfures les plus terribles tous ceux qui oferoient les molester. L'acte eft figné par le Prélat, & enfuite par le Comte, qui, dès-lors, s'engagea à leur donner tous les ans une certaine fomme, & à fa mort tout fon appareil militaire. Tels furent les commencemens du Temple en Aragon & en Catalogne (64).

En 1136, Roger III, comte de Foix, signala fa piété par la fondation d'une maison prieurale, près de Pamiers, dans un endroit nommé la Nogarede, qu'il abandonna aux Chevaliers en franc-alleu, du confentement de Ximene fon époufe, & qu'il voulut qu'on appellât déformais la Villedieu, diftinguée d'une autre Villedieu appartenant auffi à l'Ordre, entre le Tarn & la Garonne. Les Freres Arnauld de Bedos & Raimond de Gaure reçurent, au nom de tout le Corps, cette donation, qui fut faite entre les mains d'Amelius, Evêque de Toulouse. C'est la plus ancienne maison du Temple que nous trouvions fondée dans le Languedoc (65), fans en excepter même celle de Montpellier, dont Gariel rapporte, fans fondement, la fondation à l'an 1118 (66).

C'est encore à ce tems-ci qu'il faut rapporter l'origine du Temple

(66) Gallia Chriftiana nova, tom. 6,

column.

(64) Bollandus, tom. 3, 6. Mart., p. 492.
(65) Hiftoire générale de Languedoc, liv. 727.

17, pag. 427.

de

de la Rochelle. Guillaume X, Duc d'Aquitaine, mort en 1137, en fut, à ce qu'on croit, le fondateur. Ce qu'il y a de certain, c'est que Louis le Jeune, Roi de France, son épouse Eléonore, Richard, Roi d'Angleterre, fils d'Eléonore, & Othon, petit-fils de cette Reine,. doivent être confidérés comme principaux bienfaiteurs de cette maison. Le domaine de Bernay, dépendant du Temple de la Rochelle, fut aliéné en 1570 pour la fomme de 2500 livres (67).

En Allemagne les Templiers ne furent fondés, comme on l'a dit, que vers 1131.; & fi l'on trouve dans Bruschius qu'en 1080, c'està-dire,38 ans avant leur institution, ils céderent une église aux Chanoines réguliers de S. Hyppolite en Autriche, c'eft une faute trop palpable pour en impofer à perfonne (68).

Nous pouvons auffi compter le bienheureux Guigue, cinquieme Prieur de la grande Chartreuse, au nombre de ceux qui honorerent le nouvel institut de leur approbation : il demande à Hugues, dans une de fes lettres, que n'ayant pas eu le bonheur de le voir, ni à fon paffage, ni à fon retour du Concile de Troyes, il lui foit permis de s'en dédommager en s'entretenant avec lui par lettres, & en converfant, non fur la maniere de combattre les Infideles, mais les ennemis du falut, qui ne font pas moins à craindre. Cette lettre, qui fut envoyée par deux différentes perfonnes, renferme une inftruction très-solide fur les devoirs de cette nouvelle milice, confidérée comme fociété religieufe (69).

S. Bernard contribua plus que tout autre à fon agrandiffement; il en confidéra les premiers membres comme fes éleves, & il n'eft pas douteux, dit l'Annaliste de Cîteaux, qu'il ne leur ait rendu des fervices très-importans auprès des Souverains, non-feulement en Espagne, mais encore en France, en Italie, en Flandre, & dans les autres pays du monde chrétien (70). Il les recommanda fouvent aux Princes

(67) Histoire de la Rochelle, tom, 2, pag. | Mabilloniana. Item, Hift. littéraire de France, foi, & tom. I, pag. 636. tom. 11, pag. 644.

(68) Raim. Duellii Mifcell., tom. 1, pag.

3.13.

(70) Annales Cifterc., tom. 1, pag. 187. S. Bernardi epift. 175, 289, apud Manrique,

(69) S. Bernard., vol. 2, col, 1052, edit. necnon 288 & 392, Tome I.

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orientaux, aux Patriarches de Jérufalem & d'Antioche; il étoit en relation avec ceux de la Palestine, fur-tout avec Hugues & André de Montbard: ce fut à leur follicitation qu'il composa son traité de la nouvelle milice, qu'il dédia à Hugues qui en étoit le chef. Ce qu'il y a de remarquable, c'eft la haute idée qu'il s'étoit formée de ces Chevaliers. L'ouvrage est divifé en treize chapitres, dont le premier contient l'éloge de ce nouveau genre de vie, « où l'on fait, dit-il, » allier l'exercice des armes fpirituelles avec celui des armes matérielles, » où l'on apprend à combattre avec les armes de la foi, autant qu'avec » la lance & l'épée. Allez donc, intrépides & vaillans foldats de " J. C., continue le faint Abbé, marchez en afsurance; & animés de " cette force que le Ciel vous infpire, diffipez, mettez en fuite les " ennemis de la Croix, certains que ni la vie ni la mort ne pourront » vous séparer de l'amour de J. C. Ne perdez jamais de vue cet oracle: " foit que nous vivions foit que nous mourions, nous appartenons au "Seigneur. Quelle gloire pour vous de ne fortir jamais du combat que "couverts de lauriers ! mais quel plus grand bonheur de gagner fur le "champ de bataille une couronne immortelle ! Si des biens infinis font "accordés à ceux qui meurent tranquillement au Seigneur, que ne " doivent pas attendre ceux qui versent leur fang pour lui? Qu'avez» vous à craindre de la vie ou de la mort, fi J. C. eft le principe de " votre vie, & la mort la caufe de votre bonheur? O l'heureux & "fortuné genre de vie dans lequel on peut attendre la mort fans "crainte, la désirer avec joie, & la recevoir avec affurance! »

Le fecond chapitre de cet opufcule eft une critique de la vanité & du fafte de la Chevalerie féculiere: il eft furprenant que des écrivains, gens d'efprit d'ailleurs, aient cru que S Bernard y en vouloit aux Templiers, & qu'on fe foit fervi de cet endroit pour prouver que le déréglement s'étoit gliffé parmi eux presque auffi-tôt qu'ils avoient paru. Saifir le faux pour le vrai, le douteux pour le certain, fera toujours le fort de ceux qui ne lifent qu'avec un efprit préoccupé (71).

(71) S. Antoninus, titulo 15, cap. 20. Item, nianus, de origine Monach., ., pag. 338. Nic. Gurtleri Hift. Templarior. §. 108. Hofpi-item, Centuriatores Magdeburgenfes.

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