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Dans fon troifieme chapitre, le faint Abbé montre que l'état de ces nouveaux Chevaliers eft d'autant plus affuré, que celui des féculiers, dont il vient de condaniner le luxe, eft rempli de périls & d'occasions de chûtes ; il prouve qu'il eft permis aux Chrétiens de porter les armes, & les exhorte à les tourner fur-tout contre les infideles.

Le quatrieme chapitre eft une espece de tableau vivant de la conduite. de ces Religieux militaires. « Ils vivent, continue le faint Abbé, dans » une fociété agréable, mais frugale, fans femme, fans enfans, & fans » avoir rien en propre, pas même leur volonté. Ils ne font jamais " oififs ni répandus au-dehors; & quand ils ne font pas en campagne » à la poursuite des infideles, ou ils raccommodent leurs armes & » les harnois de leurs chevaux, ou ils font occupés à de pieux exercices » par les ordres du chef. Une parole infolente, un ris immodéré, " le moindre murmure, ne demeurent jamais impunis. Ils déteftent » les échecs & les jeux de hafard; ils ne fe permettent ni la chasse » ni les vifites inutiles; ils rejettent avec horreur les fpe&acles, les » bouffons, les difcours & les chanfons trop libres; ils fe baignent » rarement; ils font pour l'ordinaire négligés, couverts de pouffiere; » ils ont le vifage brûlé des ardeurs du foleil, le regard fier & févere; » à l'approche du combat, ils s'arment de foi au - dedans & de fer » au-dehors, fans ornement fur leurs habits ni fur les harnois de leurs » chevaux. Leurs armes font leur unique parure; ils s'en fervent avec " courage dans les plus grands périls, fans craindre ni le nombre "ni la force des barbares : toute leur confiance eft dans le Dieu » des armées, & en combattant pour fa caufe, ils cherchent une » victoire certaine, ou une mort fainte & honorable (72).›

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Il n'y a rien de trop flatté dans ce portrait: tout ce que S. Bernard y a raffemblé fe trouve conforme à ce que nous lifons dans une quantité de chroniques & dans plufieurs contemporains (73). La suite de cette exhortation renferme des avis falutaires aux Templiers, & des

(72) D. Bernard. exhortatio ad Milites Templi.

(73) Jacob. Vitriacus. Johan. Sarysberienfis. Petrus Venerabilis, epiftola 26.

HUGUES DES
PAYENS.

1128 jufqu'en 1136.

HUGUES DIS
PAYENS.

1128 jufqu'en 1136,

regles de conduite qu'il feroit trop long d'analyser. Cette piece est de 1135 au plus tard: parce que le faint Abbé n'y fait aucune mention de la regle dont il avoit été chargé, on a cru avoir quelque fondement de douter s'il en avoit jamais donné d'autre que celle-ci.

Il faut avouer que dans la fuite des tems les Templiers furent obligés de rabattre beaucoup de la févérité de cette difcipline, mais il faut convenir auffi que ce déchet fut compenfé par d'autres avantages. Dès que l'Ordre fut en état de prendre des troupes à fa folde, il fallut placer quantité de sujets en différens poftes, où il auroit été indécent qu'ils s'occupaffent à raccommoder leurs équipages: il convenoit que l'officier fût diftingué du foldat par quelque endroit ; qu'il fût moins fédentaire qu'auparavant, plus répandu au dehors, foit pour exercer fa troupe, foit pour vaquer aux autres devoirs de fa charge. J'avoue que c'étoit quitter Rachel pour Lia, & Marie pour Marthe; que c'étoit s'armer de deux glaives à la fois; que, dans cet ufage des armes fpirituelles & matérielles, il étoit difficile que le religieux ne difparût, pour faire place au militaire, mais, après tout, cette alternative étoit l'esprit de l'Ordre, le but & l'intention du fondateur, qui trouvoit par-là moyen de se rendre utile & nécessaire au public.

On pourroit ajouter au portrait que S. Bernard nous a laiffé des Templiers de fon tems, qu'ils faifoient maigre en campagne, les jours qu'ils y étoient obligés à la maifon; qu'ils couchoient fur la dure; qu'ils ne portoient point de linge; que cependant, en confidération des grandes chaleurs de l'Orient, on leur accordoit chaque été, par grace, une feule chemife de toile (74).

L'Ordre n'étant parvenu que par degrés à cette forme de gouvernement que nous y remarquerons dans la fuite, il fera plus à propos de traiter ailleurs de fes hauts officiers & de leurs fonctions, d'autant qu'ils ne furent défignés d'abord, dans la regle, que fous le terme équivoque de Procureurs. La premiere faute que l'on reproche à cette Chevalerie, eft d'avoir décliné la jurisdiction du Patriarche, fon

(74) Regula Templariorum, c. 64, 69, 70.

HUGUES DES

PAYENS.

1136.

protecteur, & de s'être fouftraite à fon obéiffance. Mais, s'agit-il d'examiner quand & comment la chofe eft arrivée, on ne trouve que fauffeté, contradiction, & fentimens hafardés. L'un prétend que 28 jusqu'en c'est fous Gelafe II, en 1119, & ofe apporter en preuve un texte de Matthieu Paris qui ne fe trouve plus (75), & qui eft contraire au fentiment de l'Hiftorien Anglois; car il dit en termes formels, après Guillaume de Tyr, que les Templiers perfifterent long-tems dans leur louable deffein (76). Un autre veut que ce foit fous Calixte II, dans un Concile tenu à Reims cette même année 1119, ce qui n'est pas moins deftitué de fondement (77). Perfonne n'a rapporté plus au long l'Histoire de ce Concile qu'Orderic Vital: qu'on prenne la peine de le confulter (78), je fuis bien trompé fi on y voit un feul mot de ce que Volfius y a trouvé, à moins qu'on n'y prenne l'Evêque de Mâcon pour le Patriarche de Jérufalem, & pour Templiers les Clugnistes, qui défendoient là leurs exemptions. Il feroit fort étrange que Hugues & fes premiers disciples, quelques mois après avoir prononcé leurs vœux, euffent dédaigné de reconnoître l'autorité de celui qui les avoit reçus fi favorablement, & qu'ils euffent mendié des priviléges qui leur étoient très - inutiles alors. Il eft plus naturel de penfer que le Saint-Siége les leur accorda, du moins en partie, par la bulle de confirmation en 1128, ainfi qu'on pourroit l'inférer des paroles de Ferdinand Ughelli (79),

Ce fut vers 1136 que Hugues - des - Payens, qualifié de premier Maître du Temple, passa à une meilleure vie, regretté de tout ce qu'il y avoit de Chrétiens zélés dans la Palestine, de ses Chevaliers fur-tout, qui furent témoins, pendant dix-huit ans, de fa tendre piété, de fon zele & de fa charité envers les pauvres & les pélerins. Le Conte de

(75) Gurtleri Hift. Templariorum, loco citato. Balaus in Gelafium 11.

(76) Matthaus Parifius, ad annum 1118. (77) Volfius in Memorabilibus. Item, Hofpinianus, de origine Monachatus, lib. 5, p. 338.

(78) Ecclef. Hift., l. 12, p. 857, ad an. 1119.

(79) Italia Sacra, tom. 1
I, col. 253. Mat-
thaus Albanenfis fub Honorio 11, in Galliis
legatione functus, in Trecenfi Concilio Militare
Templariorum inftitutum favorabilibus diploma-
tibus indultis confirmavit.

HUGUES DES
PAYENS.

1128 jufqu'en

1136.

ROBERT DE
CRAON.

1136 jufqu'en

1145.

Pagan le met au nombre de ses ancêtres. Hugues avoit été marié, &
Thiebauld, un de fes fils, fut fait Abbé de Sainte-Colombe à Sens en
1139 (80). C'est ce Thiebauld qui a écrit & enseigné que l'Extrême-
Onation ne pouvoit pas plus fe réitérer que le Baptême, & qui est ré-
futé
par Pierre le Vénérable, dans une lettre que cet Abbé de Clugni
lui adreffa (81). Hugues eut en mourant la confolation de voir ses
éleves universellement aimés des grands & du peuple, & devenus
auffi chers à toute la chrétienté, qu'ils étoient redoutables aux In-
fideles. Il eut pour fucceffeur Robert, furnommé le Bourguignon,
qu'il ne faut pas confondre avec fon aïeul de même nom. Guillaume
de Tyr le qualifie grand capitaine, habile dans l'art militaire, &
auffi illustre par la pureté de ses mœurs que par l'éclat de sa naissance.
Il étoit troisieme fils de Renaud II, Seigneur de Craon, fondateur
de l'Abbaye de la Rue en Anjou. «On prétend que Wulgrin II,
» Comte d'Angoulême, fon parent, le fiança à la fille de Jourdain II,
Seigneur de Chabanois & de Confolens; que Wulgrin investit
"Robert de ces deux feigneuries qui lui appartenoient, mais que
» le Duc de Guienne, de qui ces biens relevoient, trouva moyen
» de s'en emparer, ce qui fâcha tellement Robert, que de dépit il s'en
» alla en Terre-Sainte, & y prit l'habit de Templier ( 82 ). "

Dans ce peu de mots il y a beaucoup à rectifier: Robert fut nonfeulement fiancé, mais engagé par un mariage légitime avec Richeze, fœur unique de S. Anfelme, Archevêque de Cantorbéry. Il eut de fon époufe plufieurs enfans, qui moururent tous en bas âge, & dont il ne lui refta que l'aîné, nommé Anfelme, qu'il confacra au fervice des faints autels dans l'Eglise de Cantorbéry, & dont l'Archevêque prit un foin particulier. Le jeune Anfelme, devenu religieux, fut fait Abbé de Saint-Edme, & demeura affez long-tems en Angleterre. Il fit le voy age voyage

(80) Chronicon Senonenfe, apud Dom. Mar-
tenne, Thef. anecdot., tom. 3, columnâ 1452.
Rofcelino fucceffit Theobaldus de Pahens, filius
Hugonis, primi Magiftri Templi Jerufalem.
(81) Lib. s, epiftolâ 7.

(82) Hiftoire de Bourgogne, tom. 1, liv. 4, pag. 578.

Hiftoire généalogique de plufieurs Maisons de Bretagne, par Aug. Dupaz, pag. 748. i

de Rome, & fut très-confidéré du Pape Pascal, qui le fit Abbé de Saint-Sabbas, & lui conféra l'Evêché de Londres. Il a mérité, par fes écrits, d'être compté au nombre des Auteurs eccléfiaftiques (83).

"Il aime Dieu, dit le faint Prélat écrivant à Robert, & tout ce que » l'on doit aimer; c'est pourquoi vous ne fauriez trop affectionner » ceux qui lui ont infpiré cet amour de Dieu & de fon état : c'est » fans doute parce que vous avez donné à Dieu votre premier né, » que le ciel vous a ravi vos autres enfans, avant qu'ils fuffent en » état de contracter aucunes fouillures: rendez-en graces à Dieu; & " vous, ma chere fœur, je vous conjure de n'être pas infenfible à " cette grâce, dont vous avez été prévenue fans l'avoir méritée. » Confidérez que Dieu ne vous a privée de cette confolation, que " pour vous rendre plus libre de vous attacher à lui seul, & pour " vous ôter toute occafion d'aimer le monde. Rappellez-vous fouvent " à l'esprit l'un & l'autre le terme de vos espérances; faites-en l'objet » de vos entretiens du jour & de la nuit ; dites-vous à vous-mêmes : que "faifons-nous? que tardons-nous? à quoi fe paffent nos jours? quelles » fatisfactions offrons-nous à Dieu pour nos péchés? Nous fommes à la "veille de paroître devant le Souverain Juge, qu'avons-nous fait pour "nous le rendre propice? Tels doivent être les penfées de votre » efprit & les fentimens de votre cœur (84). "

Cette femence ne tomba pas fur une terre ingrate : les deux époux, dociles aux instructions réitérées du faint Archevêque, couloient tranquillement leurs jours dans la pratique de toutes fortes de bonnes œuvres, lorfqu'il vint en penfée à Robert de faire le voyage de la TerreSainte. Il s'en ouvrit au faint Prélat, qui lui répondit en ces termes : "S'il eft vrai que vous ayiez conçu le deffein de faire le voyage de » Jérusalem pour l'honneur de Dieu & le falut de votre ame, & " que vous n'ayiez pas voulu vous mettre en route fans m'avoir con» fulté & votre fils Anfelme, je loue vos difpofitions, & vous confeille

(83) Hiftoire littéraire de France, tom. 9, pag. 416.

(84) S. Anfelmus, lib. 3 Epiftolarum, epift. 43, 63, 66 & 67.

ROBERT DE
CRAON.

1136 jufqu'en 1146.

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