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le feconder en tout ce qui dépendroit de lui, à condition cependant que cette milice, destinée à combattre les Maures, fuivroit en tout les ftatuts des Templiers orientaux, & feroit foumise au. GrandMaître.

En conféquence, Raimond convoque à Gironne, le 27 novembre 1143, une célebre assemblée d'Evêques, Abbés & autres Grands du Royaume, qui confent à ce que l'on faffe aux Templiers de nouvelles donations, par un acte authentique où le Gouverneur explique ainfi ses intentions: « En vue de contribuer à la gloire de Dieu, à l'exaltation » de la foi & à la défense de l'Eglife occidentale, en rémiffion de » mes péchés & de ceux de mon pere, qui eft mort fous l'habit de » Templier, moi, Raimond Bérenger, Comte de Barcelone, Maître » fouverain d'Aragon, je vous donne, en franc-alleu & pour toujours, » à vous, Robert, très-vénérable Maître du Temple, à tous vos Freres » & Succeffeurs, les fortereffes de Monçon & de Montgaufi, avec » toutes leurs franchises, dépendances & immunités, quelles qu'elles » puiffent être je vous abandonne auffi, fans aucune charge ni ref»triction, les châteaux nommés Chalomere & Barbaran, celui de >> Remolins avec fon territoire, & tout ce que j'ai à prétendre fur » celui de Corbins, lorsqu'il aura plu à la Providence d'en chaffer » les Maures; je vous fais en outre donation de la dixieme partie » de tout le revenu de mes États, de mille fols à lever tous les ans fur » la ville d'Huefca, & d'autant fur la ville de Saragoce; & s'il arrive » que je fois obligé de vendre ou d'engager quelques-unes de mes » terres, le tout fe fera fans toucher au dixieme que je vous accorde. » Je vous cede auffi, à perpétuité, non-feulement la cinquieme partie » de toutes les conquêtes que vos Chevaliers feront fur les Maures, >> mais encore la dixieme généralement de toutes celles que le ciel » voudra bien m'accorder à moi-même. Outre cela je m'engage à » vous prêter secours toutes les fois que vous aurez à bâtir quelques » fortereffes contre les Infideles, & à ne faire déformais aucune >> paix ni treve avec eux que de votre avis & confentement. C'est » avec inclination, avec une pleine & entiere liberté, que je vous

ROBERT DE
CRAON.

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» transfere le domaine de toutes ces chofes, prétendant que vous ROBERT DE » jouiffiez, dans mes États, de toutes fortes d'immunités & de fran>> chifes, rendant graces à Dieu de vous avoir infpiré de condefcendre » à mes défirs, & de vous avoir fufcités pour être le foutien de fon » Eglife (96)." Cette donation fe fit entre les mains de fept Templiers préfens à cette affemblée: c'étoient Everard des Barres, Précepteur de France, Pierre de la Rovere, Précepteur de Provence & d'une partie d'Espagne, Otton de Saint-Ordogno, Hugues de Lezuns, Pierre d'Arzacho, Bérenger d'Eguignoles & Arnauld de Sorcia.

Cet acte, que M. de Marca a tiré des archives de Barcelone, eft figné par fept Evêques, huit autres Prélats, & quinze tant Comtes que Barons il fut confirmé dix-neuf ans après par Alphonfe II, Roi d'Aragon, fils & fucceffeur de Raimond Bérenger, & approuvé une feconde fois par les Grands du Royaume. Si nous étions affez fimples pour croire le P. Hardouin fur fa parole, loin de faire ufage de cette piece, nous la rejetterions comme fabriquée au quatorzieme fiecle feufement, par gens intéreffés à prouver par diplomes, quels furent autrefois les biens des Templiers (97); mais comme c'eft moins à l'autorité de cet écrivain qu'à fes raifons& à fes preuves qu'on doit fe rendre, jufqu'à ce que nous les ayions trouvées, nous pouvons bien compter ce jugement du P. H. au nombre de fes autres méprises. A l'exemple du Gouverneur d'Aragon, plufieurs autres feigneurs Efpagnols, voulant fe prémunir contre les Maures, tâcherent d'attirer ces Chevaliers dans leurs territoires. C'est dans cette vue que Bertrand & Guigues, Comtes de Forcalquier, donnerent vers ce même temps à l'Ordre, une de leurs plus belles terres, dite Leporianum ou le Permoné, maintenant la Brillane, felon quelques-uns; donation qui fut confirmée fix ans après, & cédée en échange à Pierre de Sabran, Evêque de Sisteron, pour l'Eglife de Sainte-Marie d'Olone (98). C'eft dans cette vue que Ferdinand Mendez, Duc de Bragance, leur fit don, en 1145,

(96) Appendix Marca Hifpanica, col. 1291.
(97) Joh. Harduini Opera varia, pag. 642.

(98) Hift. de l'Eglife Gallic., tom. 9, p. 569.
Gallia Chrift., tom. I, colum. 486.

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de la citadelle de Langroïva, après l'avoir peuplée & exemptée de tout impôt. Langroïva eft un bourg de Portugal, dans la Province de Beïra, fitué dans un fond entouré de quatre collines, fur le bord de Riopifco (99).

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On trouve dans l'Histoire de Cîteaux la formule du ferment qu'on exigeoit en Portugal de celui qui avoit été choisi pour Précepteur dans ce Royaume; elle eft conçue en ces termes : « Je N. Chevalier » de l'Ordre du Temple, & nouvellement élu Maître des Chevaliers » qui font en Portugal, promets à J. C. mon Seigneur, & à fon » Vicaire N., Souverain Pontife, & à fes fucceffeurs, obéissance " & fidélité perpétuelle ; je jure que je ne défendrai pas feulement " de bouche, mais encore par les armes & de toutes mes forces, "les mysteres de la foi, les fept facremens, les quatorze articles de foi, le symbole des Apôtres & celui de S. Athanafe, les livres » tant de l'ancien que du nouveau Testament, avec les commentaires » des SS. Peres, qui ont été reçus par l'Eglife, l'unité d'un Dieu, la » pluralité des perfonnes de la Sainte Trinité; que Marie, fille de " Joachim & d'Anne, de la tribu de Juda & de la race de David, » est toujours demeurée vierge avant l'enfantement, pendant & après » l'enfantement; je promets auffi d'être foumis & obéissant au Maître " général de l'Ordre, felon les ftatuts qui ont été prefcrits par notre » Pere S. Bernard; que toutes les fois qu'il en fera besoin, je passerai » les mers pour aller combattre; que je donnerai fecours contre » les Rois & Princes Infideles, & qu'en préfence de trois ennemis,

je ne fuirai point & leur tiendrai tête, s'ils font Infideles; que je ne vendrai point les biens de l'Ordre, ni ne confentirai qu'ils "foient vendus ou aliénés ; que je garderai perpétuellement la chaf»teté, & que je ferai fidele au Roi de Portugal; que je ne livrerai point aux ennemis les villes & places appartenant à l'Ordre, & que

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je ne refuserai aux perfonnes religieufes aucun des fecours dont

je fuis capable; que je les défendrai par paroles, par les armes,

(99) Raph. Bulteau, Vocabulo Portugal.

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" & par toutes fortes de bons fervices, fur-tout les Cifterciens & » leurs Abbés, qui font nos freres & nos compagnons; en foi de » quoi je jure, de ma propre volonté, que j'observerai toutes ces " chofes (100). "

Par cette piece, qui n'eft peut-être pas auffi ancienne que nous la faisons, on voit en quelle confidération étoit un Précepteur du Temple dans le Portugal, la liaison intime qu'il y avoit entre les Cifterciens & les Templiers, & combien ceux-ci étoient perfuadés que S. Bernard leur avoit dreffé des ftatuts.

Malgré cette union des deux Ordres, il étoit convenu entr'eux qu'un Templier ne pourroit être agrégé parmi les Cifterciens, fans une permission expreffe : ceux-ci, amateurs d'un certain fujet qu'on ne vouloit pas leur accorder, s'aviferent d'un stratagême pour l'enrôler: ils lui firent donner clandeftinement l'habit de Bénédictin dans l'Abbaye de Saint-Urbain, afin de pouvoir dire qu'ils ne l'avoient pas enrôlé comme Templier: les fupérieurs du Chevalier, mécontens de cette fraude, s'en plaignirent au Pape & à S. Bernard; ils obtinrent du Saint-Siége un interdit contre l'Abbé de Saint-Urbain, & le présenterent à l'Evêque de Châlons : l'Abbé de Clairvaux, de fon côté, porta Paffaire au Chapitre général, fit renvoyer le Chevalier, & fut chargé d'écrire au Pape pour demander l'abfolution des cenfures qu'avoit encourues l'Abbé de Saint-Urbain (101).

C'est aux dernieres années de Louis-le-Gros, que nous croyons devoir rapporter la fondation des Templiers de Paris: on s'eft trompé en la reculant jusqu'en 1150, puisqu'avant Pâques de 1147, ils avoient déja près de cette ville des bâtimens affez spacieux pour la tenue d'un Chapitre général (102). On leur avoit affigné, hors des murs, dans un terrein fangeux, un endroit pour y bâtir une Eglise & une Maison, qui, dans la fuite, fe font trouvées renfermées dans l'enceinte de la ville. On appelle ce quartier, le Marais du Temple. Cette Maison a

(100) Chrifoft. Henriques, pag. 479.
(101) S. Bernard., epiftolâ 261.

(102) Monafticum Anglicanum, vol. alter., pag. $23.

été

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été long-tenis le lieu où étoient mis en dépôt des deniers publics, & les revenus du Souverain. Il paroît, par un teftament de PhilippeAugufte, fait dans le temps qu'il fe disposoit au voyage d'outre-mer, 1136 jusqu'en qu'elle étoit dès-lors deftinée à cet ufage: il y eft fait mention d'un Contrôleur, de plufieurs officiers que ce Prince y avoit commis, pendant fon abfence, à la garde de fon tréfor; chacun d'eux, ainsi que le Maître du Temple, devoir avoir une clef des coffres où il étoit renfermé (103). On appelle la coulture du Temple, tout le terrein que les Chevaliers avoient près de Paris, c'est-à-dire tout ce grand espace couvert de rues & de maifons qui font entre la rue du Temple, depuis la rue Sainte-Croix & les environs de celle de la Verrerie, jusqu'au-delà des murs, & des foffés de la porte du Temple. Lorfque Charles V entreprit les murailles du côté du Temple, ce terrein fut partagé en trois; les deux tiers de cette coulture furent couverts de maifons & de rues fur la fin du quatorzieme fiecle, & le refte s'est toujours appellé le Marais du Temple (104).

Cette maison eft célebre dans l'histoire de France du douze & du treizieme fiecle, parce que Matthieu Pâris l'a nommée le vieux Temple, par oppofition à celle de Londres, qui fe nommoit le nouveau Temple. Le P. Hardouin, souvent malheureux en conjectures, s'est imaginé qu'il y avoit eu apparemment un temple de Jupiter dans ce terrein boueux, ce qui l'a fait, dit-il, nommer le Marais du Temple; &, malgré l'évidence, il foutient feul contre tous, que c'est delà, & non d'ailleurs, que les Templiers ont tiré leur dénomination (105). Il eft vrai que quand Clovis choifit Lutece pour fon séjour, on voyoit encore en masuré le temple de Cérès, ceux de Mars & de Mercure dans les environs de cette ville, mais dans des endroits bien différens & bien éloignés de celui où les Templiers commencerent à bâtir (106). On s'eft auffi trompé dans le Théâtre des Antiquités de Paris, en

(103) Traité de la majorité de nos Rois, (105) Harduini Opera varia, pag. 641. pag. 127. (106) Defcription de Paris en huit plans:

(104) Hiftoire de la ville de Paris, tom. 1, fecond plan. pag. 274.

Tome I.

F

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