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BERTRAND

DE

1155.

aux circonftances du long tems que Nazer ou Nofereddin demeura entre les mains des Templiers, des foins qu'il prit de fe faire infBLANQUEFORT. truire des lettres romaines, des progrès qu'il avoit faits dans la connoiffance de nos dogmes, du zele qu'il témoigna pour recevoir le Baptême, & de fes autres éminentes qualités, ce font des faits imaginés, & fuggérés à Guillaume de Tyr par les ennemis des Chevaliers, afin de les rendre d'autant plus odieux; car comment cet Hiftorien, qui étoit encore étudiant à Paris en 1162, auroit-il pu favoir au jufte ce qui fe paffoit entre les Francs & les Egyptiens en 1154? Ce ne pouvoit être par des mémoires hiftoriques, puifqu'il avoue (43) qu'il n'en a confulté aucun, ni Grec ni Arabe, & que toute fon hiftoire n'eft fondée que fur des traditions & des ouï-dire, à l'exception de quelques faits dont il a été témoin. Or, il est conftant qu'il ne peut l'avoir été de celui-ci ; fi donc il l'a revêtu de circonftances injurieufes à la mémoire des Templiers, ce ne peut être que fur des bruits incertains, & d'autant plus fufpects, qu'ayant obtenu en 1167, un rang diftingué dans le Clergé d'Orient, il eft cenfé en avoir époufé les intérêts & adopté les préjugés contre les Chevaliers; par cela feul il devient peu croyable. dans tout le mal qu'il en dit. Telle eft cependant la fource dans laquelle ont puifé les Dupuy, les Gurtler & bien d'autres qui ont cru pouvoir ternir impunément la réputation des Templiers. Après cela il ne faut plus s'étonner fi Jacques de Vitri femble n'avoir parlé d'eux que pour effacer les mauvaises impreffions que Guillaume de Tyr nous en a laiffées. Le premier, fans aucune distinction de tems ni de lieu, affure cent ans après leur approbation, qu'ils s'attiroient l'eftime d'un chacun par leur religion & leur fimplicité, rendant au Patriarche toute la foumiffion qu'ils lui devoient, à Dieu tout ce qui eft à Dieu, & à Cefar tout ce qui eft à Céfar; que toute la Maifon du Seigneur étoit remplie de la bonne odeur de.

(43) Nullam, aut Gracam', aut Arabicam, ha- inftructi, exceptis paucis qua ipfi oculatâ fide bentes praducem Scripturam, folis traditionibus confpeximus. Ita. W. Tyrius in fuo prologo.

leur

leur vertu
& qu'un jour la poftérité racontera avec étonnement
leurs combats & leurs victoires (44). Le fecond, moins équitable,
nous les représente comme des rebelles, qui, s'étant fouftraits à
l'obéiffance du Patriarche leur bienfaiteur, fe rendirent insuppor-
tables à un chacun, en s'appropriant les dîmes & les revenus des
Eglifes. Il est aifé de voir que c'eft aux exemptions des Templiers
que l'on en veut ici. La fuite de l'Hiftoire mettra le lecteur en état
de juger fi ces imputations font vraies ou calomnieufes, & fi ces
Chevaliers furent en effet des loups raviffans, ainfi que l'ont cru
ceux que Guillaume de Tyr a trompés.

Depuis la prife d'Afcalon, Noradin avoit remporté des avantages confidérables fur les Francs & les Grecs devenu par-là le plus redoutable voifin de la Syrie, il tourna fes armes contre Panéas, par cette raison que le dernier traité fait avec les Francs n'étoit pas religieufement obfervé. Au premier bruit de cette entreprife, le Roi fe mit en campagne, & courut au fecours de la ville. Le Sultan, averti de cette marche, furprit les Hofpitaliers dans une embuscade, & en tua le plus grand nombre. Encouragé par ce nouveau fuccès, il attaque Panéas & l'emporte; mais averti que Baudoin & les Templiers accouroient en diligence, il mit le feu à la ville, & y caufa tout le défordre qu'il put, puis il alla se cacher dans une forêt voifine, pour éclairer les démarches de Baudoin, & tendre aux Chevaliers de nouvelles embûches. Ce projet ne lui réuffit que trop heureusement, car le Roi étant entré dans Panéas pour y réparer le mal que Noradin y avoit fait, & ayant repris, fans la moindre défiance, le chemin de Tybériade, le Sultan, qui le voyoit féparé de fon infanterie, l'attendit près d'un détroit, le furprit & le chargea fi vivement, qu'on fe vit en défordre & contraint de fuir avant que d'avoir eu le tems de fe reconnoître : la plupart des Seigneurs dont le Roi étoit accompagné furent faits prifonniers; Baudoin lui-même n'échappa du danger qu'en fe faifant jour à travers la mêlée par la force de fon bras & la vigueur de fon cheval.

(44) J. de Vitriaco, Hift. Jerofol. l. 1, cap. 65.

Tome I.

K

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DE

BLANQUEFORT.

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1156.

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BLANQUEFORT.

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11570

Cette déroute arriva un mardi, 19 de juin, de la quatorzieme année de Baudoin: les Templiers y furent encore plus maltraités que n'avoient été les Hofpitaliers quelques jours auparavant. Blanquefort, enveloppé, tomba entre les mains des ennemis, & fut conduit à Alep avec quatre-vingt-fept de fes fujets, du nombre defquels étoit le Frere Odon, Maréchal du Royaume : trois cents autres Chevaliers y périrent, & la perte, tant en chevaux qu'en bagages, fut des plus confidérables.

Le Pape Adrien n'en eut pas plutôt la nouvelle, qu'il l'annonça à l'Archevêque de Rheims, fon Légat en France: après lui avoir repréfenté les Templiers comme les Machabées de la loi de grace, dont le zele & les fervices continuels font connus de l'Orient à l'Occident, il l'exhorte à leur procurer tous les fecours qu'il pourra tant en hommes qu'en chevaux, & à s'intéreffer en leur faveur auprès de fes fuffragans (45). Noradin, fier de fes avantages, retourna devant Panéas, croyant que les Francs ne feroient plus en état de la fecourir; mais il fut trompé : le Roi Baudoin, Renauld de Chatillon, les Ordres militaires & le Comte de Flandre, nouvellement débarqué, l'ayant furpris dans fes lignes, l'obligerent à décamper avec perte, & ce qui reftoit de Templiers, au nombre de trente, fut affez heureux pour défaire une troupe de deux cents Sarrafins.

L'année fuivante, tous les Francs réunis aux forces des deux Ordres & du Comte de Flandre, entreprirent le fiége de Saroudge; mais ils furent forcés de s'éloigner, & de fe retirer dans la Principauté d'Antioche: ils y apprirent que Noradin étoit tombé dangereufement malade; & dans le deffein de profiter de cette conjoncture, ils marcherent droit à Céfarée pour en faire le fiége. Les habitans, plus accoutumés au négoce qu'au métier de la guerre, laifferent prendre leur ville, & fe retirerent dans le château, fitué fur une éminence. Baudoin, qui connoiffoit le Comte de Flandre affez puiflant pour garder cette place & la défendre, avoit propofé de la lui céder ;

(45) Martenne ampliffima Collection., tom. 2, pag. 642.

mais Renauld de Chatillon, en qualité de Prince d'Antioche, la réclama, comme étant fituée dans fes États. Cette conteftation fut caufe que les Croifés fe féparerent fans avoir pris le château. Ils n'eurent pas plutôt reconnu leur faute, qu'ils fe raffemblerent pour attaquer le Fort de Harem, dont la garnison incommodoit beaucoup Antioche; on investit là place, & pour profiter de la maladie du Sultan, on preffa le fiége, on multiplia les batteries de balistes, on fappa les murailles, de façon qu'après deux mois de travaux, la place fe rendit, & fut cédée au Prince d'Antioche, qui la conferva malgré les efforts que le Mufulman fit pour la reprendre (46).

Noradin ne fut pas plutôt en état de faire la campagne, qu'il raffembla fes forces; & pendant que les Francs étoient retirés chacun dans leurs pays, il entra fur leurs terres, & commença par affiéger le fort des Kurdes, dans la contrée d'Hemeffe. C'étoit une caverne fituée fur le penchant d'une montagne élevée, où l'on ne pouvoit parvenir que par un fentier étroit & fort dangereux, à caufe des précipices dont il étoit environné ; l'intérieur de la caverne étoit fort commode, & très-facile à défendre. Déja la garnifon s'étoit engagée à remettre la place au Sultan, fi elle n'étoit pas fecourue dans l'espace de dix jours. Baudoin, qui en fut informé, s'avançoit à grands pas: Noradin, par le confeil d'un de fes Généraux, leva auffi-tôt le fiége, pour aller, avec toutes fes forces, au-devant des Chrétiens: il les rencontra proche du Lac de Genezareth. Le Roi ne lui laiffa pas le tems de se mettre en ordre de Bataille; il tomba fi fubitement fur lui, qu'après quelques efforts, fon armée fut diffipée ; on pénétra jufqu'à fa tente, & Noradin n'eut que le tems de fauter fur un cheval pour se fauver.

L'Empereur de Conftantinople étoit alors à la tête d'une armée nombreuse dans la principauté d'Antioche, pour tirer vengeance des mauvais traitemens que Renauld avoit fait souffrir à ceux de l'Ile de Chypre. Manuel ayant fait la paix avec ce Prince, se proposa

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BLANQUEFORt.

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(46) Hiftoire générale des Huns, liv. 13, pag. 181 & 182.

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BLANQUEFORT.

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d'aller, de concert avec les Francs, affiéger le Sultan dans Alep, fa réfidence. Noradin vint à bout de l'en détourner, en l'amufant de belles promeffes qu'il ne tint pas, & en rendant la liberté à fix mille Allemands qu'il retenoit de l'armée de Conrad, au GrandMaître du Temple, à fes Chevaliers & à toute la Nobleffe qu'il tenoit dans les fers (47).

Blanquefort, rendu à fes Freres, leur fut encore près de dix ans un modele achevé du zele & de la religion dont un homme en place doit éclairer fes fujets. Il eft vifible, par tout ce que nous avons rapporté depuis 1153, que c'eft véritablement Blanquefort qui fut emmené prifonnier par Noradin, & non pas de Tramelay par Saladin, ainfi que le prétend M. Ducange dans fon gloffaire, & dans fes notes fur Cinnamus (48).

Adrien IV, qui gémiffoit alors fous le poids du Souverain Pontificat, confidérant les abus de certains priviléges accordés aux Réguliers par fes prédéceffeurs, fe crut obligé d'en révoquer cette année la plupart. Pour ceux des Templiers, on fait que non-feulement ils furent exceptés de cette révocation, mais encore spécialement confirmés par ce Pape, tant on les croyoit néceffaires dans les conjonctures préfentes (49).

Je ne m'engagerai point à raconter toutes les donations qui ont rapport au tems où nous fommes; cela nous meneroit trop loin: il fuffira d'en toucher, en paffant, quelques-unes des principales.

En 1150, Roger, Vicomte de Carcaffone, fe donne à l'Ordre par fon teftament, & par un autre acte lui accorde plufieurs fonds, ferfs & familles fituées dans le Diocefe de Narbonne, au lieu nommé Falgaïras (50). Vers ce tems-là, Richard, Seigneur de Renneville, Fils de Robert, Sire d'Harcourt, fe fit auffi Chevalier, après avoir fondé la Commanderie de Renneville.

En 1151, Gaufride Olivier confirme & augmente les donations

(47) Cinnamus, lib, 4, num. 22.

(48) Verbo TEMPLARII. Notes fur Cinna- 479. Manriques, ad hunc annum.

mus, pag. 465.

(49) Regula & conftitut. Ord. Cifterc., pag.

(so) Hift. de Languedoc, t. 2, p. 523, probat.

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