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époques & les principaux événemens; mais on ne perfuadera jamais que le chroniste ait été affez hardi & affez fincere pour ne point omettre bien des circonftances peu honorables à la mémoire de perfonnes en place. J'en dis autant de Bernard Guidonis ou de la Guionie, créature de Clément V, & fon Inquifiteur général. Semblables écrivains font eftimables en ce qu'ils rapportent, mais de nulle autorité en ce qu'ils omettent: c'eft pour cela que les portraits des Rois & des premieres têtes ne font que trop fouvent dans un faux jour pendant leur vie; c'eft pour cela qu'un fameux critique craint qu'il n'y ait de la flatterie & de la calomnie dans Bernard Guidonis & ne veut pas qu'on l'en croie fur ce qu'il rapporte des chevaliers du Temple (14).

Pour nos anciens écrivains de l'hiftoire de France, Paul Emile Gaguin, Nicole Gilles, du Haillan, de Serres, s'ils racontent aufsi l'élection de Clément V comme une opération toute fimple, & faite par le commun avis des Cardinaux, c'eft qu'ils n'en favoient pas davantage. Le P. Berthier femble en convenir, puifqu'il ajoute : «Apparemment on ne lifoit guere alors Villani. » Eh! comment l'auroit-on lu? Il n'a jamais été traduit que par lambeaux, & n'a été imprimé pour la premiere fois qu'en 1537. Or, ces historiens françois étoient morts auparavant; Gaguin en 1501, Nicole Gilles en 1503, Paul Emile en 1526. Pour de Serres, qui, en zélé Huguenot, déclame à tort & à travers contre les Papes, s'il n'a rien dit des faits en queftion, c'est une forte preuve qu'il n'a jamais lu Villani. J'en dis autant de du Haillan, qui n'a eu de vogue qu'à cause de la liberté qu'il fe donne de parler fans ménagement des ecclésiastiques, & dont on fait que l'hiftoire n'eft qu'une traduction de celle de Paul Emile, mort plufieurs années avant l'édition de l'auteur Florentin.

Le P. Berthier infifte : « Mais leurs devanciers ne le lifoient donc "pas non plus? A plus forte raifon; puifqu'en Italie même, il ne fut tiré de la pouffiere qu'après deux cents ans, comme nous l'avons dit,

(14) Conatus Chronico-hiftoricus, loco citato.

& que le célebre Muratori n'en a connu que quatre exemplaires, deux de Florence, un de Venife & celui de Milan.

Mais, dans le cas dont il s'agit, reprend encore le P. Berthier, » cet auteur fe trouve donc ifolé de toutes parts?" Point du tout; on peut lui joindre Ferret de Vicence, comme on a vu, & Rainaldi, qui, rapportant les intrigues en queftion, cite en marge les manufcrits de Baronius, dont il étoit dépofitaire (15). Ifolé tant qu'on voudra, Villani n'en feroit pas moins véridique. A la vérité, le premier qui détaille un fait dont lui feul a connoiffance, ne fait pas encore une certitude morale, mais il n'en accuse pas moins vrai pour cela. Après ce que nous venons d'alléguer, il n'est pas extraordinaire que les écrivains françois cités par le P. Berthier, n'aient rien dit des intrigues dont a parlé Villani: on ne doit pas non plus s'étonner de ce que Platine n'en parle point; il étoit mort plus de cinquante ans avant l'édition de l'auteur Florentin. Platine, devenu garde de la bibliotheque du Vatican, compofa fon hiftoire des Papes dans les dernieres années de fa vie, ne fongeant guere fans doute à puifer dans d'autres fources que celles qu'il avoit en abondance & à sa difcrétion. Nous avouerons cependant, qu'à caufe du pofte qu'il occupoit, il a pu avoir connoiffance du manufcrit dont nous parlons; mais c'est deviner que de fuppofer, comme on fait, que l'ayant connu, il n'en a pas voulu extraire tout ce qui regarde Clément V. Pour assurer que Platine a vu ou n'a pas vu l'endroit en queftion dans Villani, & qu'on ne l'a pas retranché des œuvres hiftoriques de ce bibliothécaire, il faudroit en avoir la premiere édition de 1479, qui est devenue trèsrare, & qui contient bien des faits analogues à celui dont il s'agit, faits qui ne fe retrouvent plus dans les éditions poftérieures.

C'en eft affez fur les preuves négatives du P. Berthier; il eft tems de paffer aux pofitives, fi on peut appeller preuves pofitives des récits qui, en rapportant les chofes autrement que Villani, annoncent des abfurdités auxquelles M. Baluze n'a pas cru devoir répondre autrement

(15) Ad annum 1305, n. 2.

qu'en les traitant de ridicules. Ces prétendues preuves font au nombre de quatre, tirées d'une chronique de Boulogne, de Bernardin Corio, des annales de Barthelemi de Ferrare, & de celles de la ville de Forli. Comme elles ne difent toutes que la même chofe, nous pouvons bien, à l'imitation du P. Berthier, ne les confidérer que comme des ruiffeaux d'une même source, & les branches d'une même tige, c'est-à-dire comme ne faifant qu'une feule & même autorité.

Voici comment s'exprime l'Annaliste de Forli : « Clément V parvint, » à ce qu'on dit, à la papauté par une frauduleufe manœuvre, car » il fut élu par les Cardinaux enfermés, & perfuadés tous, excepté » le complice de la fupercherie, que celui qu'ils élifoient étoit mort » quoiqu'il fût actuellement Archevêque de Bordeaux (16). » De-là le P. Berthier conclut : on élut donc Bertrand; ce que perfonne ne lui conteste. Quant aux circonftances dont on dit ici que l'élection fut accompagnée, l'Annaliste n'ofe les affurer: en effet, eft-il croyable qu'un feul des Cardinaux perfuada ces deux factions, que pour fe délivrer de la captivité dans laquelle on les tenoit, elles ne rifquoient rien de choisir Bertrand, parce qu'il étoit mort; & qu'on choisit effectivement pour Pape un Prélat qu'on favoit n'être plus vivant? Cette circonftance est une abfurdité qui ne mérite d'autre réfutation que le mépris qu'en a fait M. Baluze. Villani fe feroit félicité d'être, sur ce point, contraire à la chronique de Boulogne, & à ceux qui l'ont copiée. Les deux factions étoient trop en garde l'une contre l'autre, pour fe laiffer ainfi duper les fuppofer affez aveugles pour ajouter foi à un feul homme, qu'elles devoient fufpecter dans une conjoncture auffi importante, c'est faire injure à leur politique. Toutefois, le P. Berthier trouve mauvais que M. Baluze fe moque à cette occafion de Bernardin Corio, & il ajoute : « Mais il faudroit donc envelopper » dans la même fatire les trois autres Annaliftes, & l'on doute que » M. Baluze s'y fût déterminé s'il les eût connus. » Et moi, je n'en doute aucunement, fondé fur ce qu'une abfurdité quatre fois répétée,

(16) Apud rerum Italicarum Scriptores. tom. 22, pag. 177.

n'en devient pas plus vraisemblable. Le célebre Baluze étoit plus en droit de fe moquer de quatre auteurs obfcurs, que le P. Berthier de fe fouftraire à l'autorité de tant de graves hiftoriens, qui ont trouvé dans Villani un homme de probité & fans fiel, un magistrat judicieux, dont la narration décele un hiftorien inftruit, & plus éclairé que beaucoup d'autres fur les événemens de fon fiecle.

Entr'autres méprifes que le P. Berthier reproche à Villani pour le décrier, il l'accufe d'avoir dit « que le concile de Vienne fut célébré " au mois de Novembre, quoiqu'il foit conftant qu'on l'ouvrit le » 16 d'octobre. » Les termes de Villani, à les bien prendre, ne font pas contraires à cela: in calen di novembre, doit s'entendre ici comme s'il y avoit infra calendas novembris, ce qui ne fignifie pas nécessairement le premier jour du mois de Novembre, mais encore tous les autres du mois précédent, en rétrogradant jufqu'au 16 inclufivement (17). D'ailleurs, s'il eft conftant que la premiere feffion de ce concile se tint le 16 d'octobre, il n'est pas moins vrai qu'il s'en falloit beaucoup que tous les Prélats attendus fuffent préfens : le Pape fut obligé, felon Rainaldi (18), d'écrire à plufieurs Evêques de France, les plus lents, de ne pas tarder à paroître. Ce ne fut que plufieurs mois après cette premiere feffion, qu'ils arriverent à la suite de Philippe-le-Bel. Un Evêque d'Angleterre, dont on avoit befoin, fut invité de fe trouver à Vienne au moins pour le mois de novembre. Par conféquent, avoir dit que le concile fut célébré dans les calendes de novembre, ce n'étoit pas une faute à relever, & ce prétendu anachronisme de quelques jours, reproché à Villani, prouve bien moins fon infidélité, que la mauvaise humeur de fon critique.

Elle paroît encore, en ce qu'il l'accufe d'avoir placé la canonifation de St. Louis, Evêque de Touloufe, au tems du concile de Vienne, quoiqu'elle n'eût été confommée que par Jean XXII... On fait que cette affaire fut commencée par Boniface VIII, continuée fous Benoît XI,

(17) Dictionnaire Encyclopédique. Manuel Lexique,

Gloffarium Cangii, verbo Calendæ.

(18) Ad annum 1311, n. 52, N. Alexand., tom. 7, pag. soc. ·

& reprise par Clément V, qui enjoignit à deux Prélats françois de poursuivre les informations. Mais il faut ici diftinguer entre les cérémonies & les procédures de la canonisation: nous avouons que Jean XXII en fit la cérémonie; mais il n'est pas moins certain que la procédure fut agitée & examinée durant le concile (19). Ainsi, pour que Villani fe fût trompé, il faudroit qu'il affurât que l'affaire fut confommée au concile, ce qu'il ne fait pas.

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« Enfin, dit le P. Berthier, Villani rapporte la conclufion des pro»cédures contre Boniface VIII au même concile général, & l'on fait qu'elles avoient été terminées quelque tems auparavant, lorsque Philippe-le-Bel en eut remis la décision au jugement du Saint-Siége. Cela n'empêcha pas que la même affaire ne fût rappelée & agitée de nouveau dans le concile de Vienne : c'étoit même une des raifons pour lesquelles cette affemblée avoit été convoquée felon Rainaldi, qui prouve par un manufcrit du Vatican, que Clément V avoit entrepris l'année précédente de terminer cette affaire, & de la porter au concile général, tant à caufe de fon importance, que pour se laver lui-même de tout foupçon (20). Demùm in Viennenfi concilio controverfia definita eft magno rei chriftianæ bono. Ce font les termes de Rainaldi, auxquels on peut ajouter Ciaconius, & le P. Alexandre qui s'exprime ainfi : In hâc etiam fynodo Bonifacii VIII memoria vindicata eft, declaratumque ipfum fuisse catholicum & legitimum Pontificem (21). Si cela ne paroît pas fuffifant au P. Berthier, il peut encore confulter Martinus Polonus, la chronique de François Pepin, rapportée dans la collection de Muratori: il y trouvera que les agens de Philippe demanderent au concile, de la part de leur Maître, qu'on fit déterrer & brûler les os de Boniface, comme ceux d'un hérétique, & que cette demande ne fut pas écoutée. C'en est plus qu'il ne faut pour faire voir lequel des deux eft en faute de Villani ou du P. Berthier; que tous fes traits lancés contre l'auteur Florentin donnent à faux;

(19) Idem. Ad annum, 1312.
(20) Idem. Ad annum 1312, n. 10, 11 & 12.
11 & 123.

(21) Tome 7, pag. 501.

que

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