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Pourquoi feroit-il plus permis au P. Berthier d'affurer ces faits, qu'à Villani d'en rapporter un femblable qu'il n'affure pas ?

Quelle fimplicité, dira-t-on encore! admettre dans un fourbe le pouvoir de commander au démon, lui faire porter en enfer un Chapelain curieux de favoir ce qui s'y paffe, fe peut-il rien de plus indigne de la gravité de l'histoire? Encore un coup, Villani n'admet & ne décide rien; il ne fait que narrer fimplement loin d'avoir reconnu du réel dans ce prétendu voyage en enfer, il fe fert du terme de vifion en rapportant l'impofture fur le témoignage d'autrui.

Il étoit à propos de nous étendre fur cette objection, parce que c'est la plus forte batterie qu'on ait opposée à l'autorité de Villani, & parce que fon antagoniste la répete fouvent avec complaifance, comme le plus folide fondement de fon triomphe imaginaire.

Le fecond reproche que le P. Berthier fait à l'auteur Florentin, eft " qu'il n'étoit pas affez inftruit de ce qui regarde la perfonne de » Clément V, puifqu'il l'appelle Raimond au lieu de Bertrand. » Je ne vois rien de férieux dans cette remarque: comme fi on ne pouvoit pas connoître les traits principaux de la vie d'un Pape fans favoir tous fes noms. Combien connoiffent les particularités de la vie d'Adrien IV & de Sixte V, fans favoir que le premier s'appelloit Brifelance, & le fecond Peretti? Ciaconius, Victorelli & quelques autres font tombés dans la méprife qu'on reproche à Villani, fans qu'on les ait crus pour cela moins au fait des matieres qu'ils traitoient. Clément V avoit un neveu Cardinal, qui s'appelloit Raimond Got ou Dagout; c'eft ce qui a donné occafion à la méprise. « On fe défie fur- tout, ajoute » le P. Berthier, du prétendu compromis dont parle l'auteur Florentin, " & qui confiftoit, felon lui, en ce qu'une des deux factions qui » partageoient le collége des Cardinaux, nommeroit trois Prélats François, & que l'autre en prendroit un pour le faire Pape, » ce qui paroît à notre critique un fyftême fait à plaifir; & la raifon qu'il en donne, c'eft que l'acte d'élection envoyé d'Anagni à Bertrand Got, dit expreffément qu'on l'avoit élu par voie de fcrutin, d'où l'on croit pouvoir conclure: donc le procédé que Villani fait tenir aux Car

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dinaux avant cette élection doit être confidéré comme fufpe& & inventé à plaifir. Quelle conféquence! Où trouve-t-on que dans les actes d'élections on ait coutume d'inférer tout ce qui les a précédées?

Le raifonnement du P. Berthier fe réduit à cet enthymême : Clément fut choifi par voie de fcrutin, donc Villani se trompe en difant qu'il le fut par voie de compromis. La premiere affertion eft vraie, mais il ne s'enfuit pas que notre Florentin fe trompe, parce qu'il y eut dans cette élection voie de fcrutin & voie de compromis; voie de compromis, en ce qu'on s'en rapporta à la faction Italienne fur le choix de trois Prélats François papables; voie de fcrutin, en ce que l'un des trois, favoir, l'Archevêque de Bordeaux, fut choifi & reconnu Pape du confentement unanime, ou prefque unanime, de tous les vocaux. C'eft ce que Villani femble infinuer en difant que le Roi de France ayant appris l'accord des deux factions, & qu'il étoit en fon pouvoir d'avoir un Pape François, récrivit au Cardinal Duprat & à ceux de fon parti qu'ils étoient libres de choisir l'Archevêque de Bordeaux, & que ceux-ci ayant averti la faction Italienne qu'ils étoient près de procéder à une élection, on s'affembla à cette fin. A la vérité Villani ajoute que Duprat proclama l'Archevêque, Souverain Pontife au nom des autres Cardinaux; mais ce ne fut qu'après s'être affuré de toutes les voix, ainfi qu'il eft expliqué dans l'acte d'élection qui fut envoyé à l'Archevêque. L'effet du compromis fut qu'on jetta les yeux fur trois François, à l'un defquels on feroit obligé de donner fa voix; l'effet du fcrutin fut l'élection de Clément V, deux circonftances qui ont paru compatibles à Rainaldi, à Ciaconius & à bien d'autres écrivains. Villani n'eft pas le feul contemporain qui diftingue entre l'élection de Clément, & les intrigues qui la précéderent; un autre Italien que le P. Berthier tâche d'attirer à fon fentiment, dit, en termes formels: « Qu'après plufieurs conférences, les Cardinaux ne " pouvant s'accorder, Pierre Colonne, qui s'étoit rendu de Poitiers » à Pérouse, écrivit au Roi de France, protecteur de fa famille, que " cette affaire devant traîner en longueur, elle méritoit bien que la » France y fit quelque attention; que de fon côté il s'engageoit à ne

» rien omettre, & à employer tout fon crédit à ce qu'elle réufsît au gré de Sa Majesté. Selon cet écrivain, qui eft Ferret de Vicence, » cette nouvelle engagea le Roi à envoyer à Péroufe des fommes " confidérables, & à faire de grandes promeffes à ce Cardinal pour » l'induire à folliciter en faveur de la France, & à ne fe défifter de » l'entreprise que quand elle feroit parvenue au point où lui, Philippe, » la défiroit. En conféquence le Cardinal fe mit à tenter les uns par » préfens & les autres par promeffes, fans que lui toutefois, ni » ceux de fa famille, puffent parvenir à leur but.... Ce fut dans » ces conjonctures que les deux factions ne pouvant se réunir fur aucun » d'entr'elles, elles aimerent mieux voir le Pontificat transféré à des » étrangers, du nombre defquels étoit un Gascon, Archevêque de » Bordeaux, qui fut défigné Pape, tant par les menées & vives » instances de Pierre Colonne, que par l'or & les riches préfens » qu'il fut répandre pour avoir le confentement du plus grand nombre. » Il l'obtint enfin, & il n'en fut pas plutôt averti en secret par ceux » qu'il avoit gagnés, qu'impatient d'annoncer au Roi de France que » son désir étoit rempli, il fut le premier à lui en écrire, & à » mander à l'Archevêque cette agréable nouvelle, avant même que » l'élection fe fit, & qu'on l'eût annoncée d'une maniere folem" nelle (11). "

II y eut donc, avant cette élection, des pratiques & fecretes manœuvres entre Philippe & les Cardinaux ; il fut donc réfolu entre ceux-ci d'offrir le Souverain Pontificat à des Prélats d'en-deçà des monts, & notamment à Bertrand Got, avant que de procéder à fon élection.

"L'histoire des Conclaves, ajoute le P. Berthier, tant l'Italienne » que la Françoise, paroît avoir suivi Ferret de Vicence fur l'élection » de Clément V; par conféquent elle ne dit rien du récit de Villani. » Cette conféquence est peu juste. L'histoire des Conclaves dit beaucoup, fi elle parle d'après cet Annaliste, parce qu'il rapporte le fond

(11) Rerum Italicarum Scriptores, tom. 9, pag. 942.

b.

de tout ce que Villani nous a particularifé. La feule différence qu'il y a entre ces deux contemporains, c'eft que Villani paroît mieux informé que Ferret; le premier ne fait que fuppléer ce qui manque au récit du fecond, c'est-à-dire, des faits arrivés en-deçà des monts, que Ferret avoit ignorés & n'étoit pas à portée de favoir comme l'auteur Florentin, qui avoit fes correfpondances à la cour d'Avignon. Cependant, dira-t-on, felon Ferret de Vicence & l'hiftoire des Conclaves, Bertrand ne fut préféré que parce qu'il étoit intime ani du Roi de France; &, felon Villani, ce fut par une raison contraire; felon Ferret, Pierre & Jacques Colonne furent les premiers mobiles de toute l'intrigue; felon Villani & S. Antonin, ce fut le Cardinal Duprat... Il eft aifé de voir que ces contradictions ne font qu'apparentes; elles fe peuvent aisément concilier, en difant: 1°. que Bertrand étoit réellement ennemi du Roi, quand on défigna les trois fujets François; mais ami & réconcilié, quand on s'assembla pour le choifir. 2°. Que les Colonne & le Cardinal Duprat, ayant également à cœur de favorifer la France, contribuerent, chacun de leur côté, à l'élévation de Clément V. Il n'y a rien en tout cela de contraire à l'auteur Florentin.

L'hiftoire Italienne des Conclaves qu'on oppofe, fut imprimée en 1667, fans nom d'auteur, ni de ville, ni d'imprimeur (12). Le P. Papebroch fait fi peu de cas de ce qu'elle rapporte fur l'élection de Clément V, qu'il n'a pas jugé à propos de le traduire, ni d'en faire ufage; & par cela feul qu'elle paroît oppofée en quelque chofe à Villani, il prétend qu'on doit en confidérer la narration comme fufpecte, quoiqu'il eût été facile à ce critique de concilier ces deux hiftoriens, comme nous venons de le faire.

Le Moine de Saint-Denis, celui de Liége, Jean de Saint-Victor, Ptolomée de Lucques, Amauri Auger, Martin le Fratricelle qu'on nous objecte encore, étoient tous religieux, écrivant dans l'obfcurité du cloître, & peu à portée de connoître des anecdotes découvertes

(12) Conatus Cronico-hiftoricus ad Catalogum Romanorum PP. part. 2, pag. 71.

à l'auteur Florentin; il ne faut donc pas s'étonner s'ils n'entrent pas dans le détail des intrigues dont parlent Villani, Ferret & S. Antonin. Ce n'est pas dans toutes les circonstances des faits qu'on doit attendre d'un écrivain la plus exacte vérité; ce feroit fouvent lui demander l'impoffible.

Il n'y a rien de plus favorable à l'opinion du P. Berthier dans Tristano Calchi; cet Italien dit précisément : « Qu'après la mort du » Pape Benoît, le Saint-Siége vaqua près d'un an, par la faute des » Cardinaux assemblés à Pérouse, lefquels, ne mettant ni fin à leurs » débats, ni frein à leurs paffions, étoient tellement animés les uns » contre les autres, qu'ils aimerent mieux faire tomber le fort fur "un étranger abfent que fur un d'entre eux (13). » Si Tristano ne dit rien de la conduite du Roi envers Clément, ni des promeffes de Clément faites au Roi, c'est qu'il n'en n'étoit pas inftruit : j'en dis autant des autres que nous venons de rappeler, s'ils affirment que l'Archevêque fut choifi prout confuetum eft, d'un confentement unanime, ou prefque unanime; c'eft qu'ils ne parlent que de l'élection feulement, & non de tout ce qui l'avoit précédée. Ils pouvoient donc ces. écrivains, fans être courtifans ou flatteurs, ne pas rapporter tout l'extraordinaire qui accompagna l'élévation de Clément V: 1°. parce que ces fragmens d'hiftoire qu'on nous en objecte, font moins la vie de ce Pontife, qu'une chronique abrégée de quelques événemens arrivés en Europe fous fon pontificat: 2°. parce que, ne faisant qu'un précis de la vie de ce Pape, ils ne doivent parler de fon élévation qu'en paffant: 3°. parce que les conventions de Clément avec Philippe ayant été fecretes dans le tems, il ne doit pas être furprenant, fi elles ont été ignorées de ceux qui, écrivant alors, n'étoient pas à même de les apprendre comme les Villani.

On ne doute pas qu'une chronique telle que celle de Nangis, écrite par ordre, &, pour ainfi dire, fous les yeux du Prince régnant, pour être confultée comme un monument public, ne foit une fource pure en ce qui regarde les noms, les dates, les

(13) Thefaurus Antiquitatum & Hiftoriarum Italia, tom. 2, part. 1, pag. 404.

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