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" ftatuons & ordonnons que cette taille ou collecte, appelée vulgaire"ment capitation, impofée par le Roi de Chipre fur fes infulaires de"puis quelques années, & dont le nom feul eft horrible & déteftable »foit abfolument fupprimée, pour quelque raifon qu'elle ait été or» donnée, fût-ce même pour la défense du royaume; que déformais le "Roi ne l'exigera d'aucune perfonne eccléfiaftique, religieufe ou fécu"liere, même de fes propres fujets, fans l'agrément du Saint-Siége, » n'étant pas à propos de tolérer plus long-tems de femblables abus; " & pour obvier aux difficultés qui pourroient naître dans la fuite fur " cette matiere, nous déclarons qu'aucune exaction ou tribut, im

pofé par le Roi, ne pourra dorénavant fe lever fur les Prélats » ou Commandeurs des deux Ordres, non plus que fur aucune " perfonne eccléfiaftique ou religieufe; qu'ils en feront tous abfo» lument affranchis, de même que leurs biens, ferfs, fermiers & "perfonnes attachées à leur fervice. » Le 'Pape ordonne enfuite à Lufignan & aux Chevaliers de fe garder une inviolable fidélité, & de promettre par ferment qu'ils ne fe feront aucun tort ni dommage (37).

Quoique ce réglement de l'impérieux Pontife fût en lui-même plus capable d'irriter l'efprit du Roi que de le difpofer en faveur des Chevaliers, il y eut encore en même tems ordre aux Provinciaux des Freres mendians d'engager, par tous les moyens poffibles, les deux partis à fe foumettre aux avertiffemens du Saint-Siége, & de les y contraindre par cenfures en cas de défobéiffance. Dans une autre conftitution, après avoir recommandé à Lufignan d'obferver la convention faite avec les Grands - Maîtres, Boniface prend une feconde fois la défenfe des Chevaliers contre ce Prince, qui craignant que les deux Ordres ne devinffent trop puiffans, les empêchoit nonfeulement de faire de nouvelles acquifitions, mais encore de rien ajouter à leurs anciens bâtimens. Sur les remontrances des fupérieurs, le Pape explique ainfi fes intentions au Roi : « Il eft vrai

(37) Rainald., àd annum 1299, 11⁄2 37.

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"que par vos ordres & avec l'agrément du Saint-Siége, il a été défendu aux Chevaliers d'acheter de nouveaux fonds dans vos États; "toutefois ce réglement ne doit être pris tellement à la rigueur, qu'il ne leur foit permis, par un effet de votre générofité royale, » de faire quelques acquifitions, dans le deffein d'élever non des palais dont on pourroit tirer ombrage, mais de fe loger plus » commodément, & de rendre par-là leur féjour dans vos États » d'autant plus utile, qu'ils y feront traités plus favorablement. Puifque vous n'ignorez pas combien ils vous font néceffaires, "engagez-les dans vos intérêts par ces traits de douceur & d'affa»bilité qu'ils ont lieu d'attendre de vous, & vous les verrez fe "facrifier tous avec joie pour la défense de vos Sujets & l'agran» diffement, de votre Royaume (38). » Sourd aux avertifiemens du Pape, Lufignan continua tellement de vexer le peuple, la noblesse & le Clergé de Chipre, que fes freres, entr'autres Alméric, le jugeant incapable de gouverner fes Etats, entreprirent de le dépofer.

Les Mufulmans, retenus jufqu'alors par des maladies populaires, & empêchés, par des troubles domeftiques, de pourfuivre leurs conquêtes fur les Chrétiens, avoient fait une irruption en Arménie fur la fin de 1298, s'étoient emparés des places fortes, & avoient contraint le Roi Léon de fe retrancher fur les hauteurs, en attendant le fecours qu'il avoit demandé au grand Kan des Tartares Mogols. Ce Prince étoit le fameux Cazan, qui avoit épousé une fille du Roi d'Arménie, Princeffe d'une rare beauté, à qui il permettoit l'exercice public de la Religion Chrétienne. Devenu, par cette alliance, grand ami des Arméniens, & réfolu de leur porter fecours, il invita les Chevaliers & les Chrétiens en général à cette expédition. Il fe mit en marche au printems de 1299, fuivi de deux cent mille chevaux , auxquels fe joignirent toutes les forces du Roi de Chipre & des deux Ordres Militaires. On détacha de cette armée trente-cinq mille hommes qui partirent pour la Syrie fous

(8) Rainald., ad hunc annum, n. ¡8.

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les ordres de trois généraux, dont le dernier, nommé Bouliah = par les Arabes, & Molai par les Latins, me femble avoir été le Grand-Maître du Temple, que Haïton a pris, peut-être trop légérement, pour un Tartare Mogol.

Le Sultan d'Egypte, qui étoit alors Melec-Nazer, n'attendit pas que les Perfans fe fuffent repofés de leurs fatigues; il les prévint, & les attaqua: le combat fut rude, & ne finit que par l'entiere défaite des Musulmans, que les Mogols pourfuivirent jufqu'au foir. Cazan chargea le Roi d'Arménie & Molai de fuivre Nazer jufqu'au défert d'Egypte; le Sultan, manqué de quelques heures, n'eut que le tems de s'échapper fur fes dromadaires, & de fe renfermer dans Baalbek. Les vaincus fe fauverent où ils purent: plufieurs furent maffacrés fur le chemin de Tripoli; & Cazan commença par s'emparer d'une place où étoit le tréfor de Nazer. On fut éronné de voir les richeffes immenfes que le Sultan avoit amenées avec lui dans ces conjonctures. Cazan fit une députation au Pape & aux Princes Occidentaux, pour les engager à envoyer des troupes en Syrie, & à le feconder dans la pourfuite de fes conquêtes. Mais ce fut en vain; les Européens avoient d'autres affaires à terminer : il n'y eut que les Dames Génoifes, qui offrirent jufqu'à leurs joyaux pour équipper une flotte.

Après quelques jours de repos, Cazan marcha vers Damas, dont on lui envoya les clefs, avec de magnifiques préfens; mais tandis qu'il jouiffoit tranquillement du fruit de ses victoires dans les prairies de Lanbac, on vint lui annoncer qu'un certain Baidon profitant de fon abfence, fe formoit un parti, & travailloit à foulever les Perfans. Cet avis ayant déterminé le Kan à s'en retourner jusqu'à l'endroit où les troubles s'étoient élevés, il laiffa Cotuloffe, fon principal Commandant, dans la Syrie, avec une partie des troupes, & ordonna à Molai, qui avoit ravagé tous les environs de Gaza, de Jérufalem & de Krak, d'obéir à cet Officier; puis, ayant établi des Gouverneurs dans chacune des villes qu'il avoit conquifes, il fit appeler le Roi d'Arménie, pour lui annoncer fon départ. « Je me

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» ferois fait, lui dit-il, un vrai plaisir de livrer aux Chrétiens Occi» dentaux tout le pays que j'ai fubjugué, s'ils euffent répondu à "mes invitations; & s'il arrive qu'ils reviennent de leur indiffé– »rence, j'ordonnerai à Cotuloffe de les remettre en poffeffion de "toutes les terres dont ils jouiffoient, & leur procurerai tous les » fecours néceffaires pour rétablir les villes démantelées". Les chofes ainfi réglées, Cazan reprit la route de Tartarie; mais, avant que de repaffer l'Euphrate, il crut devoir rappeler Cotuloffe, & laiffer à Molai vingt mille Tartares, qui, s'étant emparés de Jérufalem, donnerent lieu aux Chrétiens d'y célébrer cette année la Pâque avec grandes folemnités & réjouiffances. Ces heureux fuccès ne furent pas de longue durée. Un Sarafin de nation, que Cazan avoit fait Gouverneur de Damas & comblé de bienfaits, préférant les intérêts de fa patrie à ceux des Mogols, fit alliance avec le Sultan Nazer, & entreprit de foulever, contre fon bienfaiteur, toutes les villes où il y avoit garnison persanne ; il en vint d'autant plus facilement à bout, qu'il s'y prit durant les grandes chaleurs de l'été, tenis auquel il favoit que les Perfans font le moins en état de fe battre & de monter à cheval. Damas fut reprife, avec la plus grande partie de la Syrie, & le traître fe retira à la Cour du Sultan (39).

Molai, déconcerté par ce revers, s'étoit retiré en attendant quelques nouveaux fecours de la part de Cazan & des Arméniens, lorfque le Musulman, rentré dans Jérufalem, y profana les Saints-Lieux, & acheva de rafer les forts qui auroient pu faire quelque réfiftance. Le reste de la campagne fut employé, par les Chevaliers du Temple & de l'Hôpital, à courir la mer le long des côtes de Syrie, avec une flotte d'onze petits vaiffeaux, qui, remontant par une des embouchures du Nil, diffiperent quelques bâtimens égyptiens, pillerent un château, &, après s'être montrés à la hauteur d'Alexan

Guill. Nangis.

(39) Rainald., ad annum 1299, n. 44.
Idem, ad annum 1300, n. 34.
Hiftoire générale des Huns, tom. 3, pag.
Sanutus, Haiton, Hift. de Tart., Chronicon 272 & fuiv.

drie, s'en retournerent fans avoir fait d'autres prifes que celle d'un bâtiment farafin, auquel ils mirent le feu, après avoir fait l'équipage prifonnier. Cependant l'hiver s'approchoit, & lès Tartares, réfolus de retourner en Syrie, s'avançoient au nombre de trente mille, fous la conduite de Cotuloffe, qui avoit ordre de Cazan de l'attendre, avec le refte de l'armée, dans le pays d'Antioche, & d'appeler au rendez-vous les forces des Arméniens, du Roi de Chipre & des Chevaliers. Déja les Chipriots & les deux Grands-Maîtres étoient defcendus dans l'ifle d'Arade, proche Tripoli, quand on apprit que Cazan, attaqué d'une maladie violente, étoit abandonné des Médecins cet accident, joint au mauvais tems, qui avoit rendu les chemins impraticables, ayant fait rebrouffer chemin à Cotuloffe, les Chrétiens fe retirerent, les uns en Chipre, les autres en Arménie (40). Il n'y eut que le Maître du Temple qui ne voulut pas quitter Arade: après y avoir raffemblé bon nombre de fes Chevaliers, il tenta de s'y fortifier, & y commença même des lieux réguliers; de-là il faifoit des courfes fur les terres des Mufulmans, & les incommodoit fi fort, que le Gouverneur de Phénicie demanda des troupes pour le repouffer. Un Emir, defcendu par une branche du Nil fur une flotte de vingt bâtimens, s'étant joint à un corps de Sarafins qu'il trouva aux environs de Tripoli, fe fit conduire à la hauteur d'Arade, & l'attaqua par deux endroits. Les Templiers foutinrent ses premiers efforts avec leur courage ordinaire, & le firent reculer jufques fur fon bord; mais enfin, voyant toute l'ifle couverte d'ennemis, & l'impoffibilité où ils étoient de fe trouver par-tout, ils fe renfermerent dans une groffe tour, au nombre de cent vingt, qui, fommés de fe rendre, n'y confentirent qu'à condition qu'ils feroient conduits fains & faufs où ils jugeroient à propos. L'Emir ne les eut pas plutôt en fon pouvoir, que, contre fa parole donnée, il les chargea de chaînes, & les conduifit en triomphe au grand Caire. L'histoire ne dit pas fi Molai fut du nombre des captifs, ni comment il

(40) Sinutus, pag. 242.

Item, Haïton, apud Rainald., n. 36.

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