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ODON DE

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Mosful, un Sultan de Khoraffan, deux Califes, l'un de Bagdad, S. AMAND. l'autre d'Egypte, maffacrés par leurs émissaires, fans compter le fameux Vifir Nezam, plufieurs Princes Seljoucides, & quantité d'autres (41). Saladin lui-même en fut attaqué plufieurs fois; le fils du Roi d'Angleterre en fut bleffé, & n'échappa qu'avec peine à leurs coups. Quelquefois ils fe faifoient baptifer, pour mieux cacher leurs complots, & pour avoir plus facilement accès auprès de ceux à qui ils en vouloient. Ainfi fut poignardé le Prince de Tyr avec d'autres, par deux de ces fcélérats qui s'étoient mis à fa fuite, & qui l'accompagnoient ordinairement. Ils étoient tellement décriés par leurs attentats, qu'à peine accordoit-on le droit des gens à leurs Députés dans plufieurs conjonctures, on les menaça de les jetter dans la mer.

Le premier des Croisés qui périt par leurs mains, fut Raimond II, fils du Comte de Tripoli, qu'ils tuerent au pied d'un autel à Tortofe en 1148. Les Templiers, qui avoient des places voifines de ces fanatiques, furent les feuls qui oferent venger la mort de Raimond. Après en avoir cherché les moyens, on découvrir enfin quelques avenues par où on pouvoit les attaquer on leur donna la chaffe, & on les réduifit à la néceffité de fe rendre tributaires, & de payer à l'Ordre une fomme annuelle de deux mille befans, qui font près de vingt mille livres de notre monnoie. Leur Chef craignoit tellement les Templiers, qu'il n'ofa jamais attenter à la vie d'aucun Grand-Maître, quoiqu'il eût pu le faire : en quoi, dit Mezerai, ces Chevaliers étoient glorieux d'être formidables à celui qui l'étoit à tout le monde (42).

Ces Barbares, las enfin d'une fervitude qui duroit depuis vingtquatre ans, s'imaginerent que le vrai moyen de s'en délivrer, étoit de parler de converfion & de baptême aux Chrétiens. En confé

(41) Hift. des Huns, table gén., au mot Affaf fin... Hist. Univ., par une Société de G. de L., L. 17, p. 119, 128, 129, 132, 199.

(42) Hiftoire de France, premiere édition. in-fol., liv. 43.

quence,

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quence leur Commandant députa au Roi un courtifan fin & rufé, nommé Boaldelle, qui fit entendre que fon maître, homme d'efprit, S. AMAND. après une étude férieuse de l'Evangile, en avoit goûté les maximes, adopté les mysteres, admiré les prodiges, & les avoit enseignés à fes peuples; que réfolu de renoncer aux impoftures de Mahomet, ils avoient abattu leurs mofquées, introduit l'usage du vin & de manger du jambon, en un mot qu'ils recevroient volontiers le baptême, fi on vouloit les laiffer jouir de la même liberté que les autres Chrétiens, & les délivrer du tribut qu'ils payoient aux Templiers (43). Amauri n'appercevant rien de captieux dans cette propofition, l'accepta, & en témoigna beaucoup de joie. Quant aux Chevaliers, il n'eft pas dit s'ils refuferent de payer, à fi haut prix, une, converfion fimulée, ou tout au moins fufpecte; mais on fait que le Roi promit de les dédommager de fes propres deniers; qu'il traita honorablement l'Affaffin, & le fit reconduire jufque fur les frontieres de fes États. Boaldelle ayant dépaffé Tripoli, un Templier vint à fa rencontre, & lui fit apparemment quelque reproche; on fe prit de difpute; des paroles on en vint aux coups, & le Chevalier tua l'Envoyé. Au premier bruit de ce meurtre, Amauri, outré de colere, demanda au Grand-Maître prompte fatisfaction, & le fomma de lui livrer Gaultier du Mefnil (c'étoit le Chevalier coupable). Saint-Amand, fondé fur les immunités de fon Ordre, qui venoient d'être renouvellées, refufa d'abandonner fon fujet aux Officiers Royaux, foutenant qu'il ne leur étoit pas foumis; que c'étoit à lui, Grand-Maître, à le punir; que déja il lui avoit imposé uné pénitence, & que dans peu il l'enverroit au Pape pour en être jugé; qu'en attendant il défendoit, de la part du Saint-Siége, à qui que ce fût de s'en faifir. On n'eut aucun égard à ses remontrances; du Mesnil fut enlevé de Sidon par force, & renfermé dans les prisons de Tyr.

Voilà ce qui autorise l'Historien d'Amauri à noircir la réputation

(43) W. Tyrius Hift., lib. 20, cap. 31.

Tome I.

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mence par l'attribuer au corps des Chevaliers, & finit en difant S. AMAND. que les Templiers & les Hospitaliers avoient déja tellement dégénéré, que les Écrivains Chrétiens & Mahometans s'accordent à les dépeindre comme les plus méchans de tous les hommes, qui, dans leurs brigandages, n'épargnoient pas plus les Chrétiens que les Infideles, avec lefquels ils ne gardoient ni traité ni parole. Je ne vois rien de moins fondé que cette invective: le Pape Alexandre III, qui étoit alors fur le Saint-Siége, mieux informé que nos Modernes, tient un langage bien différent dans fes lettres (48), & dans la bulle que nous avons rapportée : il eft aifé d'y recourir; on y trouvera autre chofe que des reproches de brigandages.

D'ailleurs, afsurer indéfiniment que les Chevaliers n'épargnoient pas plus les Chrétiens que les Infideles, c'est détracter d'une maniere révoltante, & tout-à-fait contraire à la conduite que les deux Ordres ont tenue jufqu'à ce tems. Si l'Hiftorien eccléfiaftique fait ici allufion au fac de Pelufe, où plufieurs Chrétiens périrent dans la foule, on fait que les Templiers refuferent de fe trouver à cette expédition, & que ces accidens doivent être moins attribués à l'avarice des Hofpitaliers, qu'à la fureur du Soldat. Mais, à quelle fin maltraiter les Hofpitaliers à l'occafion d'un meurtre qui ne doit être mis que fur le compte d'un feul Templier? Je dis d'un feul, ainfi qu'on peut le voir dans Matthieu Pâris (49), dans Jacques de Vitri (50) & dans le Chroniste Pipin (51). Ces deux derniers ne difent pas même fi le meurtrier de Boaldelle étoit Chevalier

ou non.

Un Auteur auffi grave que l'Abbé Fleuri, fondé, à ce qu'il prétend, fur le concours unanime des Ecrivains Chrétiens & Arabes pour décrier les deux Ordres, devoit au moins nous citer en marge quelques-uns de fes garans. Toutefois on n'y trouve qu'une vie de Saladin manufcrite, qui n'a pas encore vu le jour, & qui, pro

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bablement, ne le verra pas de fi tôt, puisque celle de M. Marin eft au-deffus de tout ce qu'on peut donner fur cette matiere. Cet S. AMAND. habile Historien, dont l'ouvrage eft autant & peut-être plus fondé fur l'Hiftoire Arabe & Chrétienne que le manufcrit cité, ne dit nulle part qu'en ce tems les Chevaliers avoient déja dégénéré, au point d'être les plus méchans de tous les hommes, quoiqu'il fe fût propofé de n'épargner perfonne, en nous traçant le portrait le plus fidele de la corruption des Orientaux. Les fources où il a puifé, font Jacques de Vitri (52) & Marinfanut (53). Loin d'y appercevoir ce que l'Abbé Fleuri ofe avancer, on n'y trouve aucune mention des Chevaliers, pas même fous le terme général de Réguliers, par lequel ces auteurs entendent les Moines, les Religieufes & leurs Chapelains. Quant à ce qu'on ajoute en général, qu'ils ne gardoient ni traité ni parole avec les Infideles, cette accufation n'est pas moins hafardée que les précédentes : pour peu qu'on foit versé dans l'Histoire des Croisades, on fait que les ruptures & manques de foi des Chrétiens venoient ordinairement de la part des nouveaux débarqués, qui, peu inquiets fi les Francs étoient en paix ou non, avoient honte de s'en retourner fans avoir guerroyé. C'est ainfi que les Siciliens engagerent l'année fuivante les Francs au fiége d'Alexandrie, durant la paix faite avec les Mufulmans. Les Prêtres, dit un Auteur moderne (54), croyoient pouvoir difpenfer des fermens faits aux Infideles, & regardoient comme une action fainte de tromper les ennemis du Chriftianifme. C'eft donc en vain qu'on voudroit prouver, par l'infraction des traités, que les Chevaliers étoient les plus méchans de tous les hommes, puifque ce vice étoit celui des Prêtres & de la Nation. Je ne m'attendois guere que l'histoire du Bathénien assassiné nous conduiroit fi loin: au refte, tout ce que j'avance à cette occasion, n'est pas pour difculper du Mefnil; fon action est inexcu→ fable, & il feroit indigne de l'Hiftoire d'en vouloir effacer la noirceur

(52) Cap. 69, 70, 71, 72, 87, 88. (53) Lib. 3, part. 8, cap. 5, 6.

(54) Hiftoire de Saladin, liv. 3, pag. 241.

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aux dépens de la vérité. La faute eft perfonnelle, & le refus que fit Saint-Amand d'en livrer l'auteur, ne prouve pas qu'il l'ait confeillée ou autorisée, mais feulement qu'il avoit des priviléges à maintenir, des efprits à raffurer contre la crainte de fe voir condamner à une mort infamante pour des caufes légeres, ainfi que l'avoient été depuis peu ces douze infortunés qu'Amauri fit pendre fans forme de procès, pour avoir livré un fort qui ne leur fembloit plus tenable.

onze ans,

Cette année, la mort enleva aux Mufulmans le Sultan Noradin, dans le cours du mois de mai, & aux Francs, le Roi Amauri le 11 juillet. Le premier eut pour fucceffeur fon fils Saleh, âgé de & le fecond, fon fils Baudoin, âgé de treize. Amauri avoit peu de vertus & grand nombre de vices; Noradin n'avoit, dit l'Histoire, aucun vice & beaucoup d'excellentes qualités. Le Roi accabloit fes fujets d'impôts, & foutenoit qu'il falloit qu'un Souverain fût riche; le Sultan fe difoit tréforier des Mufulmans, & ne fe comportoit en effet que comme dépofitaire du tréfor public. La dévotion de l'un confistoit à aller fouvent à l'Eglife, & à porter des reliques à fon cou; celle de l'autre étoit de fe relever la nuit pour prier, & de ne porter fur lui ni foie, ni or, ni argent. Le premier négligeoit l'administration des finances, & ne vouloit écouter aucun avis fur cet article; le fecond chaffoit de fes états les ufuriers, les concuffionnaires, & établit une chambre de juftice, pour réprimer les vexations que fes Emirs exerçoient fur le Peuple. L'un faifoit bâtir des hôpitaux, des mofquées, & des monafteres pour les Religieux Mahometans; l'autre en vouloit aux immunités du Clergé, & réduifit les Eglifes à l'indigence, en exigeant d'elles plus que ne portoient leurs facultés. Noradin, animé par les fiens à profiter de la mort de Baudoin III pour tomber fur les Francs, répondit qu'il n'étoit pas homme à profiter du malheur des autres ; Amauri, moins généreux, n'eut pas plutôt appris la mort de Noradin, qu'il attaqua les Mufulmans, parce qu'il les croyoit fans défense, mais il fut trompé ; la Sultane veuve l'arrêta devant Panéas

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