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ARNAULD

-1184.

en conférence à Vérone, ils s'y rendirent fans délai, & y expoferent le fujet de leur députation. Tout ce qu'ils en obtinrent, ce DE TORROGE. furent de belles promeffes de la part de Frédéric I, & des indulgences de la part du Pape, avec des lettres de recommandation pour les Rois de France & d'Angleterre.

Ce ne fut pas à Paris, ainfi que l'a cru Vaffebourg, mais à Vérone, que le Grand-Maître du Temple fut attaqué d'une violente maladie qui l'emporta en peu de jours. A la nouvelle de cette mort, les Chevaliers affligés procéderent à une élection; le fort tomba non fur Gerard de Riderfort, felon que M. Marin, les Abbés Fleuri & de Vertot femblent l'infinuer (2), mais fur un autre Chevalier nommé Terric ou Thierry, dont nous ne connoiffons ni le pays ni la famille (3).

Le Patriarche, Roger Defmoulins & leurs Compagnons, ayant fait rendre au Maître du Temple tous les honneurs funebres dus à fon rang, pafferent en France, & arriverent à Paris au commencement de 1185. Philippe-Augufte les reçut avec toutes les marques de confidération qu'ils avoient lieu d'en attendre: non content d'ordonner qu'ils feroient défrayés par-tout fur fes terres, & qu'on y prêcheroit la Croifade, il eut encore la complaifance de leur expofer les raisons qui l'empêchoient de marcher lui-même en perfonne, & s'engagea d'envoyer inceffamment des chevaux avec bon nombre de gens de pied. Les deux Ambassadeurs, partis de France pour Londres, furent reçus à Rhedingue par le Roi Henri, à qui ils préfenterent les lettres du Pape, avec les clefs du Saint-Sépulcre, de la Tour de David, & la banniere royale. Pendant fon féjour en Angleterre, Héraclius fut invité par les Templiers de Londres à con facrer leur Eglife. Il remua ciel & terre, & s'oublia jufqu'à employer infolemment les reproches & les outrages en parlant au Roi, pour

(2) Hift. Eccléfiaftique, livre 74.
Hiftoire de Malte, livre 2.
Hiftoire de Saladin, tom. I, pag. 456.
(3) Italia Sacra tom. 3, pag. 417.

Chronicon Reicherfpergenfe, ad ann. 1187. Godefridi Monachi Annales, ad annum 1187.

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l'engager à fe croifer ou à lui accorder un de fes fils, le menaçant de la colere du Ciel, s'il ne fatisfaifoit à fes engagemens. Ce n'est pas l'argent qui nous manque, difoit le fier Prélat, nous en recevons de tous côtés ; c'est un homme, c'est un Chef qu'il nous faut. Henri ne laissa pas, malgré cette hauteur du Patriarche, de le faire monter fur fon vaisseau pour le conduire en Normandie, où ils conférerent avec le Roi de France fur les moyens de fecourir la Palestine. Les deux Rois renouvellerent, à cette occafion, les promeffes déja faites d'envoyer au plutôt des fubfides tant en hommes qu'en argent; puis ayant comblé de préfens les Ambaffadeurs, ils les congédierent.

Tel fut le fuccès de cette fameufe députation, dont le Chef s'étoit flatté de ne reparoître qu'à la tête d'un puiffant fecours. A fon arrivée, il trouva le Roi abandonné des médecins, le Peuple plongé dans la tristeffe, & les Chevaliers dans le découragement. Roger de Hoveden affure que cette fituation des affaires porta un Templier Anglois, nommé Robert de Saint-Alban, à fe retirer auprès de Saladin, parce que s'imaginant que tout étoit perdu pour les Chrétiens, il n'y avoit plus pour lui de fortune à faire parmi eux; qu'en offrant fes fervices au Sultan, il lui avoit promis de lui livrer dans peu la Ville Sainte, & d'anéantir l'Eglife Orientale; que pour affurance de fa parole, il étoit prêt à abjurer la Religion Chrétienne & à fe faire Mahométan; enfin que fes offres ayant été acceptées, Saladin lui donna fa niece en mariage, le conftitua Commandant général de fes troupes, & lui en confia la conduite. Si nous en croyons le même Hiftorien, le Chevalier Apoftat, à la tête des Mufulmans, alla se former dans la plaine de Saint-George, & partagea fon armée en trois corps, dont deux furent employés à désoler la campagne, depuis Sébaste ou Samarie jufqu'à Jéricho, & l'autre fous fes ordres alla se préfenter devant Jérufalem, dans le dessein de la furprendre. Il ajoute que le peu de militaires qui gardoient la ville étant fortis à propos par les poternes avec les Bourgeois, ils furprirent le traître lui-même au moment qu'il s'y attendoit le

moins, le chargerent vigoureusement, & le contraignirent de prendre la fuite, pour éviter le jufte châtiment de fa perfidie (4).

Ce Chevalier fut-il Apoftat ou non? c'est chose peu importante à difcuter les Sociétés les plus régulieres fe purgent de tems en tems par de femblables éruptions; mais on fait très - certainement que Robert ne fe trouve point au nombre des Généraux qu'avoit alors Saladin; qu'aucun de ceux qui ont traité des Guerres Saintes, n'a dit que Jérufalen fut affiégée ou bloquée en 1185. On fait qu'au commencement de cette année, Saladin eut affaire avec plufieurs Rois d'Orient, jaloux de fes fuccès; qu'il attaqua plufieurs fois Moful & quelques autres de leurs places; que les chaleurs exceffives lui ayant caufé une dangereufe maladie, il se retira à Harran pour y prendre l'air, & qu'après fon rétabliffement, il paffa le Jourdain au commencement de juillet, pilla Naploufe, Janin, Sébaste, le château de Beauvoir, dépendant de l'Hôpital, le grand & le petit Gérin, dont le dernier appartenoit à la Maison du Temple, enfin qu'il ravagea lui-même tous ces cantons, fans le fecours d'aucun autre Commandant que de fon frere Al-Malec & de Nour-Eddin (5). Matthieu Paris, qui ne parut jamais porté pour les Chevaliers " est entré dans le détail de ces opérations, fans dire un feul mot de ce prétendu Apoftat. Dans quelle fource Roger de Hoveden a-t-il donc puifé tout ce qu'il met fur le compte de Saint-Alban? Ce ne peut être que dans celle où il a trouvé que le Diable faifant cette année les fonctions de fage-femme dans une bergine, déclara à l'accouchée que depuis la réfurrection de Jésus-Christ, jamais on n'avoit remarqué en Enfer telle défolation que ces jours derniers, auxquels on avoit vu plufieurs Evêques & Prélats, & prefque tous les Barons Anglois fe croiser; mais que ce deuil feroit bientôt changé en joie, d'autant que la plupart de ces Croifés pafferoient aux Infideles, & alloient fe livrer à des défordres qui les feroient

(4) Rogeri de Hoveden Annalium pars | 1185, dans le 16o. tome de l'Hiftoire Univerpofterior, pag. 631. felle. Hiftoire de Saladin, tom. I, pag. 440

(s) Hiftoire des Arabes, fur l'an 1184 &

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effacer du livre de vie (6). Comme c'eft pour vérifier la prédiction de l'accoucheur que Roger raconte l'Hiftoire de Saint-Alban, on demande s'il eft plus croyable fur l'un de ces articles que fur l'autre.

Baudoin IV n'eut pas plutôt les yeux fermés, que fon neveu & fucceffeur fut conduit à Saint-Jean d'Acre, pour y être confié à la garde du Comte Jofcelin. Au bout de fept mois ce jeune Prince fut trouvé mort, fans qu'on pût favoir comment ni de quelle maladie. Nouveaux fujets de trouble & de divifions. Aucun des Barons, pas même le Tuteur du Pupille, ne vint lui rendre les derniers devoirs, de peur fans doute qu'on ne les fommât de tenir la parole qu'ils avoient donnée, de reconnoître pour héritiere de la Couronne l'une ou l'autre des deux fœurs de Baudoin IV, Isabelle & Sybille, au cas que le jeune Roi vînt à mourir dans l'efpace de dix ans. En conféquence, il fallut que les Templiers fe charge affent de conduire à Jérusalem le corps de Baudoin V, pour l'inhumer dans leur Eglife, où étoit le tombeau du Marquis de Montferrat, fon pere (7).

Après la cérémonie des obfeques, auxquelles affifta Terric, avec le Patriarche & Roger Defmoulins, la Comteffe Sybille, épouse de Lufignan, fœur de Baudoin IV, mere du dernier Roi, & héritiere de la Couronne comme fille aînée d'Amauri, fit appeller Héraclius & les deux Grands-Maîtres, pour les confulter dans l'embarras où elle fe trouvoit, & avifer aux moyens de rendre inutiles les oppofitions qu'on pourroit faire à fon couronnement : elle n'ignoroit pas que le Comte Raimond s'étoit formé un parti nombreux dont il briguoit les fuffrages, & dont elle avoit tout à craindre. Son Confeil la raffura, en lui répondant qu'elle feroit couronnée & reconnue pour feule héritiere du royaume, malgré fes compétiteurs; & fans perdre de tems, après avoir affemblé quelques Seigneurs du parti, on fit favoir à ceux qui tenoient pour Raimond de fe trouver, fans délai, à Jérufalem pour la cérémonie du couronnement. Au

(6) Rogeri de Hoveden, pag. 619.
(7) Bernard Thefaurarius, cap. 147.

Hiftoria Montisferrati à Benevenuto de Sancto Georgio.

fieu de comparoître, ceux-ci firent une députation au parti con-
traire , pour lui défendre de paffer outre, & lui déclarer que la
Comteffe ne feroit jamais reconnue pour héritiere de la Couronne
à moins que fon mariage avec Gui de Lufignan ne fût déclaré nul.
Sybille, en femme adroite, feignit d'y confentir, à condition qu'on
s'engageroit, par ferment, à couronner le même jour celui qu'elle
fe choifiroit pour mari: cette convention ratifiée de part & d'autre
le Patriarche, homme capable de tout, caffa le mariage, & ayant
obtenu des deux Grands-Maîtres les clefs du tréfor royal, dont ils
étoient dépofitaires, il en tira deux couronnes, une pour la Com-
teffe & l'autre pour celui qu'elle prendroit pour fon époux. Le
jour du couronnement les portes de la ville étant fermées de
crainte de surprise, Terric & Renauld de Châtillon allerent prendre
Sybille, & la conduifirent à l'Eglife du Saint-Sépulcre. Là, Héra-
clius l'ayant couronnée, lui montra une feconde couronne qui étoit
fur l'autel, & lui dit : Madame, c'est à vous maintenant de vous
affocier un fujet digne du trône, & de difpofer de cette couronne
en fa faveur elle la prit, & ayant fait approcher Lufignan, fon
mari, elle la lui mit fur la tête, en difant: Je ne connois,
Sire,
perfonne plus digne que vous de porter ce diadême; c'eft en vain
que les hommes ont prétendu féparer ceux que Dieu avoit unis (8).
Après le fervice & les cérémonies accoutumées le Roi & la
Reine defcendirent chez les Templiers, où fuivant un ancien ufage,
la Ville étoit obligée de leur fervir à dîner (9). Ceux des affiftans
qui s'étoient mêlés de cette intrigue, ne furent pas furpris d'en voir
le dénouement; mais ceux du parti opposé ne pouvoient affez ad-
mirer la façon dont ils avoient été dupés. Raimond, qui considéroit
tout ceci comme l'ouvrage des Templiers, jura dès-lors leur perte
& celle de Lufignan: non content de lui refufer hommage, il porta
le reffentiment jusqu'à proposer de choisir un autre Roi, & de faire
tomber la couronne fur Onfroi de Thoron, mari d'Ifabelle, fœur

(8) Tyrii continuata Hißoria, col. 594.

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(9) Affifes de Jérufalem, chap. 288.

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