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Ainsi pensoient le Peuple & l'Evêque, las de fouffrir pour les crimes DUPLESSIES. de leur Prince ou de leur Seigneur (2).

PHILIPPE

1207.

Delà ces démonstrations publiques de joie que les Habitans des Paroiffes interdites faifoient paroître à l'arrivée d'un Chapelain du Temple, qui avoit droit de fe faire ouvrir la porte de l'Eglise pour y célébrer les Saints Myfteres; delà cet empreffement d'entrer en confraternité avec les Templiers, dont on étoit voifin, afin de n'être pas privé de la fépulture eccléfiaftique, car l'Ordre avoit droit de communiquer ce privilége à tous fes confreres féculiers, qui n'étoient pas d'ailleurs nommément interdits ou excommuniés, mais parce qu'alors il n'étoit pas aifé de diftinguer ceux-ci d'avec les autres, fur-tout dans les grandes villes, & quand ils venoient de loin, les Chapelains étoient, en ce cas, fouvent trompés, & il n'eft pas étonnant s'ils donnoient quelquefois, à l'article de la mort, la fépulture eccléfiaftique & communication de leurs priviléges à gens, ou qui les avoient furpris, ou qu'ils ne connoiffoient pas affez. Premier fujet de plaintes.

De plus, lorsqu'un Prélat mettoit en interdit quelque heu de fon Diocese où il y avoit de ces Chevaliers (& où n'y en avoit-il point alors? ), ceux-ci, en vertu de leurs priviléges, fe comportoient à l'ordinaire; le Saint-Siége les y avoit autorifés plus d'une fois. Autre fujet de murmures. Les Evêques regardoient cette conduite comme une plaie faite à la difcipline; grand nombre de Prêtres qui, hors les tems d'interdit, auroient pu vivre de l'autel, fe trouvoient réduits à la mendicité, & crioient tout haut, en voyant porter les offrandes aux Chapelles du Temple. Delà ces plaintes portées de toutes parts au Saint-Siége contre les Chevaliers. En conféquence, Innocent fait au Grand-Maître de fanglans reproches fur le mauvais ufage que fes Sujets font de leurs immunités, & lui enjoint, comme au premier zélateur de la gloire de fon Ordre, d'ufer de prudence & de toute fon autorité pour réprimer ces abus,

(2) Hift. Eccléf. tom. 16, pag. 132.

PHILIPPE

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qu'il appelle énormes & fcandaleux; il lui ordonne de févir contre les réfractaires, & contre tous ceux que l'amour de Dieu & le refpe& DUPLESSIES. pour le Saint-Siége ne peuvent contenir ; « & fi vous y manquez, "dit le Pape, vous ne pourrez imputer qu'à vous-mêmes tous les » maux que vous attirera cette défobéiffance... A la honte de l'Eglife » Romaine, leur bonne mere, qui ne ceffe de les combler de fa» veurs, ils ofent, ajoute Innocent, prêcher en public qu'à leur " entrée dans une ville interdite, ils ont pouvoir de s'en faire " ouvrir fucceffivement toutes les Eglifes, pour y célébrer aujourd'hui » dans l'une, & demain dans l'autre, à leur volonté; & s'il arrive " qu'ils aient une Eglife dans ces lieux, ils ne font aucune diffi"culté d'y célébrer tous les jours l'office à porte ouverte & au fon » des cloches, ne faisant pas attention que c'eft énerver la difci"pline, & rendre inutiles les interdits. "

Innocent lui-même ne fait pas attention que, fur ce dernier article, il avoit fouftrait les Templiers à la jurisdiction des Evêques. Toutefois il ne laiffe pas de condamner leur conduite en général, tant on l'avoit aigri, tant on lui avoit groffi les objets. Il porte l'aigreur jufqu'à dire que mener une telle conduite, c'est apostasier, c'est suivre une do&rine de démons, & mériter la peine due à ceux qui fcandalifent les foibles, c'est-à-dire, d'être précipités au fond de la mer (3).

Etrange apoftafie, que d'ouvrir les Eglifes à des innocens qui fe les croient injuftement fermées! nouveau genre de fcandale, que d'ufer de priviléges fouvent renouvellés, & toujours utiles, pour parer du moins aux inconvéniens des interdits généraux! Que des Chapelains du Temple, arrivés fucceffivement dans un lieu interdit, s'en foient fait ouvrir l'Eglife plufieurs fois dans un an, au lieu d'une feule, foit par complaisance pour les peuples, foit par ignorance ou en vue des offrandes, fans s'embarraffer fi d'autres de leurs confreres n'avoient pas déja confommé leur droit, c'est abus,

(3) Lib. 10 Epiftolar. Inn. III, epift. 121.

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c'est défobéissance, c'eft mépris encore fi l'on veut; mais le scandale DUPLESSIES. & l'atrocité de cette conduite commencent à difparoître, quand on fait que les Evêques mêmes, que bien d'autres Religieux s'embarraffoient peu des interdits généraux, & ceffoient de les obferver, les uns de leur propre autorité, les autres par le commandement de leurs Supérieurs. Dans un Chapitre général, tenu à Cîteaux en 1208, tous les Abbés Anglois qui avoient obfervé l'interdit, furent mis en pénitence pendant trois jours, dont le premier au pain & à l'eau, comme infracteurs des immunités de l'Ordre (4). Pour ceux qui avoient refufé de s'y foumettre, le Pape s'en plaint à la vérité à l'Evêque de Londres, mais en fe plaignant, il semble les excufer fur ce qu'ils avoient, du Saint - Siége, le privilége de n'être foumis à aucun refcrit de Rome, à moins qu'ils n'y fuffent expreffément nommés (5). Or, les Templiers avoient reçu le même privilége, nous l'avons vu fur l'année 1198. Comment est - ce donc que, pour la même faute, les uns ne font que téméraires, & les autres apoftats?

L'année fuivante, Conrad, Evêque d'Halberstad, ayant proposé aux Templiers de Saint-Jacques de cette ville, de céder leur emplacement aux Religieux de Citeaux, qui occupoient l'Abbaye de SaintThomas hors des murs, où elles fe trouvoient trop expofées, les Chevaliers y confentirent à certaines conditions, entr'autres, que le Frere Bruno, Procureur de leur Bailliage, feroit envoyé en France de la part de l'Ordinaire, pour folliciter cet échange auprès du grand Précepteur, & que le Frere Corvin, Supérieur de la Maifon de Saint-Jacques deviendroit Supérieur de celle de Saint-Thomas. Nous avons la réponse du Précepteur de France; elle eft conçue en ces termes: A fon R. P. le très-refpe&table Conrad, Evêque d'Hal"berftad, Frere W. Cil de Boeuf, humble Miniftre de la pauvre » Milice du Temple, falut & amour en Jésus-Chrift: Votre dilec"tion faura qu'après avoir connu, & parfaitement compris vos in(4) Thefaurus anecdot., tom. 4, col. 1306. (s) Inn. III, lib. 2 Epiftolarum, epift. 141.

»tentions, je me fuis fait un devoir, non-feulement d'y acquiefcer,

PHILIPPE

» mais encore de vous rendre mille actions de graces de ce qu'en DUPLESSIES. » toute occafion, vous donnez des marques de bienveillance à nos

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fujets & confreres, ainfi qu'il nous a été raconté par le Frere "Bruno; en reconnoiffance notre Chapitre s'eft cru obligé de vous "admettre à la participation de toutes nos bonnes œuvres, & de "demander pour nous la même grace à votre charité, felon qu'il "eft écrit: Priez les uns pour les autres, afin que vous foyez "fauvés. Pour ce qui eft de l'échange que vous demandez, "commettons le Frere Bruno pour agir de notre part, & pro» mettons de nous en tenir à tout ce qui fera réglé de votre con» fentement & du fien. ”

nous

Le Commiffaire ne fut pas plutôt de retour, qu'après certains arrangemens les Religieufes de Saint-Jacques pafferent à SaintThomas, & les Templiers de Saint-Thomas en l'Abbaye de SaintJacques. L'acte de cet accommodement fut lu & approuvé en plein Synode; Conrad s'y exprime en ces termes : « Et nous, au nom & " de l'autorité du légitime Supérieur, nous recommandons aux Che»valiers du Temple notre cher fils le Frere Corvin, comme person"nage digne, par fa fageffe & fa prudence, d'être reconnu pour " premier Supérieur à Saint-Thomas; l'opinion que nous avons "de fes talens nous faifant efpérer que fous fa conduite tout y » profpérera, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre côté, nous » nous engageons à le feconder, autant qu'il fera en nous, dans "tout ce qu'il entreprendra pour le bien de cette Communauté, " & fupplions très-instamment tous nos fucceffeurs de la prendre, » en vue de Dieu, fous leur protection & fauve-garde (*). »

Il n'étoit pas rare de rencontrer alors des Chevaliers envoyés d'Orient par les deux Grands-Maîtres, pour expofer aux Occidentaux l'état des Lieux Saints. Quelques-uns d'entre eux ayant appris que l'Empereur Philippe avoit convoqué une diete à Northaufen en

(*) Concilia Germania, tom. 3, pag. 484.

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PHILIPPE DUPLESSIES.

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1208.

Thuringe, s'y transporterent avec d'autant plus de confiance, qu'ils étoient très-connus de ce Prince. Après lui avoir expofé de bouche & par écrit l'objet de leur délégation, ils en obtinrent qu'on feroit, pendant cinq années confécutives, une collecte en faveur de l'Eglife Orientale. « Nous fommes convenus dit l'Empereur, avec les » Princes assemblés, que dans toutes les Provinces d'Empire on » levera fix deniers par charrue, deux deniers fur chaque Mar» chand & fur quiconque fe trouvera propriétaire d'une maison à la » ville ou à la campagne; fix deniers fur tous les Nobles & Clercs » bénéficiers. Pour les Princes, Comtes & Barons, foit Laïcs » foit Eccléfiaftiques, nous n'exigeons d'eux que ce que leur gé"nérofité leur inspirera. "Ce réglement fait dans une autre affemblée à Quedlinbourg, fut exécuté, par ordre des Ordinaires, dans chaque Diocefe (6).

Il est parlé de cette collecte dans une lettre d'Innocent, où il exhorte les deux Grands-Maîtres à procurer, à son exemple, tous les fecours poffibles aux Orientaux. « Jufqu'à préfent, dit-il, nous " n'avons ceffé de folliciter des fubfides de toutes parts: dans peu " nous aurons fur pied une armée de François & d'Allemands prêts " à partir; nous avons obtenu de ces derniers l'agrément néceffaire » pour une collecte générale, mais comme nous ne fentons que » trop le befoin que vous avez d'argent, nous confentons que vous " vous chargiez des aumônes des Cifterciens, & du quarantieme » mis en dépôt dans la Maifon du Temple de Paris

, pour être employés aux néceffités de la Palestine les plus urgentes. Nous "allons auffi vous envoyer dans peu mille livres en or, qui pro" viennent des offrandes de Saint-Pierre; nous vous enjoignons en "outre & prions très-inftamment d'employer avec prudence le peu "de forces qui vous restent à la défense non- feulement de vos » frontieres, mais encore de celles du pays d'Antioche & du

(6) Aub. Mirai Opera Diplomatica & Hiftorica, tom. 3, pag. 372.

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