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JACQUES DE
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échappa des mains du Mufulman. Il y eut à cette defcente huit cents Chrétiens tués, tant Infulaires qu'Arbalètriers, foudoyés du Temple (41).

C'est à quoi fe terminerent toutes les opérations de 1302, & j'avoue que je ne comprends pas de quel front on ofe dire que « les Templiers, fous la conduite d'un certain Roger, qui s'étoit em"paré du Magiftere, ravagerent cette année la Thrace, le Pélopon» nefe & l'Hellefpont; qu'après avoir pillé Theffalonique, ils péné"trerent dans l'Attique, y mirent tout à feu & à fang, affiégerent » Athenes; que l'ayant prife, & tué Robert de Brenne, qui y » commandoit, ils porterent jufques dans la Macédoine la terreur » de leurs armes, butinant & faccageant par-tout: enfin, qu'après » s'être enrichis de pillage, ils retournerent chez eux chargés des » dépouilles de l'Orient, pour se partager enfuite en différentes Co»lonies dans les Provinces occidentales (42) ".

Le feul expofé des pertes que les Chevaliers avoient effuyées depuis vingt ans, prouve qu'ils n'étoient pas en état d'entreprendre une telle expédition, quand ils en auroient eu la volonté. En fecond lieu, il eft faux qu'ils aient jamais eu de Grand-Maître du nom de Roger, & que la Grande-Maîtrise ait été poffédée par aucun ufur· pateur. De tous les Grecs contemporains, il n'y en a pas un feul qui attribue aux Templiers ces défaftres de leur pays. Les Efpagnols, fur la relation d'un témoin oculaire, en accufent les Catalans & les Almogaraves (43). Ce n'eft que deux cent-quarante ans après l'extinction de nos Chevaliers, qu'on a cru pouvoir mettre impunément fur leur compte cette dévastation de la Grece. Le premier à qui cette imagination foit venue en tête, eft Jean Hérold, Médecin Allemand, qui vivoit au milieu du feizieme fiecle, & qui compofa dans fa jeuneffe une Hiftoire des Guerres Saintes, Ouvrage

(41) Sanutus, Hift. générale des Huns, num. 124. tom. 4, pag. 184.

(42) Nicol. Gurtler, Hiftoria Templarior.

(43) Spond., ad hunc annum.

rempli de fautes, imprimé à Bâle en 1540, à la fuite des Œuvres de Guillaume de Tyr (44).

Parce que ce jeune Ecrivain avoit lu dans Pachymere, que Roger ou Rontzer fut un apoftat du Temple, il s'eft imaginé qu'apparemment tous ceux qu'il conduisoit étoient gens de fa forte; mais il est auffi peu vrai que Roger fût Templier, qu'il eft faux que l'Ordre ait jamais caufé aucun tort aux Chrétiens Grecs. Pour éclaircir ce fait, nous rapportons l'endroit de Pachymere où il eft parlé de Roger. « C'étoit, dit-il, un jeune Guerrier à la fleur de fon âge, » plein de feu & d'ardeur, d'un regard farouche, & capable de » tout, lorsqu'il s'agiffoit de parvenir à ses fins; & fi ce que je » vais en dire paroît peu fondé, c'est moins à moi qu'au bruit com» mun qu'il faut s'en prendre. Il entra dans la Milice du Temple » à Saint-Jean-d'Acre, du tems que cette ville étoit encore flo

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riffante; la voyant affiégée, & les Chrétiens obligés d'en sortir, » il enleva le tréfor de fa maison, & en équipa quelques vaiffeaux. Après avoir ramaffé tout ce qu'il put de gens de fon caractere, il " fe fit Chef de pirates, fe rendit formidable par ses brigandages, s'empara de tout ce qu'il trouvoit à fa bienféance, jufqu'à ce qu'en» fin, devenu riche & puissant, il s'abandonna au luxe & à l'orgueil, avec les compagnons de fes pirateries; puis il vint offrir "ses services à Fridéric, Roi d'Aragon, qui difputoit la Sicile à » Charles II, Roi de Naples. Pachymere ajoute que les troubles de » la Sicile appaifés, & la paix conclue entre ces deux Princes, le » Pape tâcha par tous moyens d'avoir Roger fous fa puissance, pour » lui faire fubir la peine de fa défertion; qu'il l'envoya demander » au Roi d'Aragon mais que Fridéric n'ayant pas voulu livrer à » l'indignation de Boniface un Officier qui lui avoit été d'un fi grand » fecours, le congédia, & lui confeilla de chercher fortune ailleurs; "que de-là, Roger, avec tous ceux de fa fuite, paffa en Romanie,

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(44) Bibliotheca Gefneri, pag. 545.

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" au fervice de l'Empereur Andronic, dont il devint le favori, & » à qui il caufa du chagrin par fa mauvaise conduite (45) ».

Tout ce qu'il y a de vrai dans ce narré, c'eft que Roger ayant en effet fuivi quelque tems le parti de Fridéric contre le Roi de Naples, quitta la Sicile, fe retira auprès d'Andronic, & fit à l'Empire d'Orient beaucoup de maux & très-peu de bien. Le reste du portrait, felon le P. Pouffines, a été imaginé & inventé par les Grecs, en haine de Roger (46).

Ce Seigneur étoit né à Brindes, de Richard Florus, Allemand, & Grand-Veneur de l'Empereur Fridéric. Quand on accorderoit qu'il fut conduit en Palestine à l'âge de quinze ans, par un Templier François nommé Vaffaille, & qu'ayant fait profeffion dans l'Ordre du Temple, il y renonça pour fe faire Chef de pirates; il resteroit encore à montrer comment ce prétendu apoftat parvint à fe faire fuivre des autres Chevaliers fes confreres. D'ailleurs, comment peuton l'accufer d'avoir volé le Temple d'Acre en 1291? Nous avons vu comment le trésor de cette Maifon fut fauvé & tranfporté en Chipre par le Maître Gaudini. L'Empereur Andronic, menacé d'une inva➡ fion par les Mufulmans, voifins de fes Etats, ayant fait appeller ce Capitaine à Conftantinople, Roger s'embarqua avec quelques mille hommes, la plupart aventuriers, gens de néant & accoutumés au pillage arrivé en Orient, il fut comblé d'honneur par Andronic, qui le créa Grand-Duc, lui donna fa niece en mariage, avec le commandement d'un corps d'armée compofé de troupes levées dans la Romanie, & de ces vagabonds qu'il avoit amenés de Sicile, dont les uns étoient Alains, les autres Génois, & le plus grand nombre Catalans. Tels font, fuivant les Hiftoriens Grecs, ceux qui commirent, dans les Etats d'Andronic, tous les défordres dont on a voulu depuis rendre les Templiers coupables (47).

A ce trait feul, on voit combien peu il y a de fond à faire sur

(45) Pachymeris, lib. 5, cap. 12.

Hiftoire Univerfelle, tom. 11, pag. 561.
(46) Poffinus in caput 12.

Pachymeris, pag. 548.

(47) Idem, ibid, pag. 581.

Item, Niceph. Gregoras, lib 7, cap, 2 & 3.

ce qu'on a écrit contre ces Chevaliers depuis leur extinction. Qu'un Gurtler, un Dupuy, intéreffés à les trouver coupables, aient adopté cette accufation de Hérold, on n'en est pas furpris; mais que des Historiens de marque, tels que Rainaldi, Dupin, Jauna, Boiffat, Broverus, Paul Emile, Pantaléon & tant d'autres, y aient foufcrit fans aucun examen, fans s'être donné la peine de confulter les Grecs contemporains, c'est une faute d'autant plus inexcufable, qu'il s'agiffoit d'un fait important que Hérold imagine avoir été la caufe de la deftruction de tout l'Ordre.

Cependant les principales forces des deux Ordres, réunies à celles de Chipre, rangeoient les côtes de Syrie, en attendant une occafion favorable pour fe joindre encore une fois aux Mogols, qui étoient rentrés en Palestine au nombre de quatre-vingt mille hommes, fous les ordres de Cotuloffe. Celui - ci ayant rencontré les Musulmans dans un endroit appellé Koum, leur livra bataille; la victoire, long-tems balancée, fe déclara contre les Mogols & les Chrétiens, qui furent obligés de lâcher pied après avoir perdu beaucoup de monde. Un fecond avantage des Mufulmans, le refte des Mogols & de leurs Alliés en déroute grand chagrin à Cazan, qu'il y fuccomba. Sa mort fut une perte irréparable pour les Chipriots & les Chevaliers, qui, voyant par-là toutes leurs efpérances anéanties, s'en retournerent chez eux également excédés de fatigues & épuisés par les dépenfes exceffives que leur avoient occafionnées ces mouvemens des Tartares-Mogols (48).

mit & caufa un fi

L'an 1303, remarquable par les démêlés de Philippe-le-Eel avec Boniface VIII, nous fournit des preuves de l'attachement des Templiers François à leur Souverain. Dans une affemblée où il s'agiffoit de s'opposer aux entreprifes de la Cour de Rome, le Vifiteur de France, Hugues de Péralde ou Pérault, fe joignit aux Abbés de Citeaux, de Prémontré & de Clugny, pour demander un Concile général, & pour en appeller au Pape futur de la conduite de Boniface & de fes cenfures lancées contre la perfonne du Roi. L'affem(48) Hiftoire générale des Huns, tom. 4, pag. 185.

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blée congédiée, Philippe envoya une lettre circulaire à toutes les Eglifes & Communautés de fon Royaume, pour avoir leur confentement fur ces deux articles. En conféquence, les Etats de Languedoc ayant été convoqués à Montpellier, le Frere Bernard de Rocha, Commandeur de Vaor, repréfentant le Précepteur de Provence, adhéra aux appellations faites à Paris, & dit qu'au nom de tous les Commandeurs Templiers de Provence, il les renouveloit dans la même forme & avec les mêmes proteftations avec lesquelles le Vifiteur y avoit confenti (49). Le Roi féjournoit alors au Temple de Paris, avec la Famille Royale, tout le tems qu'il avoit à refter dans cette ville (50). Péralde étoit en honneur auprès de Sa Majefté, & fe trouve qualifié Intendant des finances par le P. Daniel. Il avoit un neveu Templier, nommé Hugues Catalan, qui fụt député à Rome par le Duc de Bourgogne, pour travailler à la réconciliation du Roi, & prier deux Cardinaux de fes amis d'adoucir l'efprit du Pape (51). C'eût été plus qu'il n'en falloit pour preuve que ces Chevaliers n'étoient pas trop attachés au parti de Boniface, fi leurs ennemis cachés euffent été moins ardens à les noircir. On répandoit dans le Public qu'ils envoyoient de l'argent à Rome, & quelques Historiens ne font pas difficulté d'avancer que c'est une des causes principales des indifpofitions du Roi contre eux : c'eft ce qu'assure la Chronique d'Afti, qui ajoute en même tems que Guillaume de Nogaret étoit devenu un de leurs plus puiffans ennemis, parce qu'ils avoient livré fon pere, d'autres difent fon aïeul, entre les mains des Inquifiteurs, qui le firent condamner à mort, comme Hérétique; & c'eft, dit-on encore, ce que lui reprocha Boniface à Anagnie, lorfqu'il tomba fous fa puiffance & celle des Colonnes, Nogaret menaçant de le conduire à Lyon, pour y être jugé & depofé par un Concile, le Pape lui répondit: Je me confolerai aifément de me voir condamner par des Patariens. Nogaret entendit plus

(49) Preuves de l'Hift, da différent de Boniface, &c. Item, Hift. générale de Languedoc, tom. 4, pag. 116.

(so) Nouv. Traité de Diplomat., f. 1, p. 461. (51) Preuves de l'Hift. du différent de Boniface & de Philippe, pag. 80 & 82.

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