Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ne fe faifoit que trop connoître dans l'affaire contre Boniface. « Et » l'un d'entre eux, dit le Pape, de grande nobleffe & fort eftimé dans » l'Ordre, dépofa fecrétement devant nous, après avoir prêté fer» ment, qu'à la réception des Freres, la coutume eft que celui qui eft reçu renonce à Jéfus-Christ ».

Le Chevalier dont il eft ici question, étoit Camérier du Pape, & s'étoit fait Templier à onze ans. Mariana en a parlé de façon à faire entendre qu'outre lui & les deux premiers dénonciateurs, il y en avoit encore eu d'autres ; ce qu'on ne voit nulle part, pas même dans Dupuy & Mariana, qui nous renvoie fur cet article aux Bulles du Pape, ne peut y avoir trouvé que ce que nous y voyons nousmêmes. Ce qui rend cette dénonciation du Camérier douteuse, c'eft qu'on dit, dans un endroit, qu'elle fut faite au Pape fecrétement & dans un autre, en préfence d'un Cardinal coufin du Pontife, qui la rédigea par écrit (76). Si elle fut rédigée par écrit, comment eft-ce qu'on ne la communiqua pas au Roi, & qu'elle ne fe retrouve pas dans le tréfor des chartes, parmi tant d'autres pieces moins im¬ portantes? Mais fuppofons-la fecrette ou publique, & telle qu'on voudra, l'autorité d'un Camérier eft elle fuffifante pour rendre probables des chofes deftituées de vraisemblance?

Quoique cette Bulle de convocation foit datée du 12 d'août, elle ne peut avoir été dreffée que fur la fin de ce mois, puisqu'il y est parlé des interrogatoires faits à Chinon, qui finirent feulement le 20. Après qu'on l'eut envoyée à toutes les Puiffances eccléfiaftiques. & féculieres, & qu'on eut pris tous les arrangemens nécessaires pour exterminer abfolument cette fociété monftrueufe de fybarites & d'apoftats, le Pape fortit de Poitiers, & prit la route de Toulouse par Bordeaux.

(76) Mariana, lib. 15, cap. 10.

Dupuy, Condamnation des Templiers, pag. 13 & 109.

Fin du Livre douzieme.

JACQUES DE
MOLAI.

1308.

HISTOIRE

CRITIQUE ET APOLOGÉTIQUE

DE L'ORDRE

DES TEMPLIER S.

JACQUES DE
MOLAI.

1308.

APRÈS

LIVRE TREIZIE M E.

PRÈS la premiere Conférence de Poitiers, il restoit encore à l'Ordre la trifte confolation de pouvoir dire: Effuyons l'orage; nous en ferons battus, mais non pas anéantis: tout parle en notre faveur; une réputation fondée fur des fervices rendus en Orient, en Espagne, en Hongrie, une confiance acquife, une estime méritée auprès des Grands & des Petits, prouvée par une foule de monumens qui nous établit dépofitaires de leurs aumônes, arbitres de leurs différends, exécuteurs de leurs dernieres volontés: cela doit fuffire pour empêcher une ruine du moins totale.

En effet, tant de fang répandu pour la défenfe de la Religion tant d'éloges, tant de prérogatives de la part des Souverains & du Saint-Siége, paroiffoient devoir les raffurer; mais la feconde entrevue, dont nous venons de parler, fit tomber ce qui leur reftoit d'efpé

rance. La Bulle faciens mifericordiam continuant de noircir les Supérieurs, comme coupables, par leurs propres aveux, d'une profeffion anti-chrétienne, accufoit les autres indirectement, & les traduifoit par-tout comme gens auxquels il ne s'agiffoit plus que d'extorquer une confeffion; en outre, elle ordonnoit d'employer les cenfures contre quiconque feroit affez ofé pour leur donner afile, aide ou protection, à moins qu'il ne fe fût préfenté aux Inquifiteurs. Parmi ceux qui n'avoient pas attendu cette feconde diffamation, le Gouverneur de Chipre fut des premiers prêts à feconder les intentions du Pape : indifpofé contre les Chevaliers pour les raisons que nous avons touchées ailleurs, il penfoit dès l'année précédente à les faifir, felon l'ordre qu'il en avoit reçu par le canal du Prémontré Haïton, qui avoit fuivi la Cour du Pape pendant quelques mois, & qui, de retour en Chipre, avoit remis à Almeric la lettre qui lui enjoignoit de s'emparer fubitement, & en un même jour, de tous les Templiers de fon ifle & de leurs poffeffions; de ne procéder cependant à ce coup d'éclat qu'avec beaucoup de prudence,

Almeric, qui connoiffoit les forces & le nombre des Chevaliers, les voyant informés de ce dont on les menaçoit, & raffemblés tous dans la ville de Nimoce, n'ofa tenter l'exécution de fon projet, craignant qu'ils ne vinffent à fe défendre à force ouverte : toutefois, comme il ne laiffoit que trop entrevoir fon aveugle deffein, les Chevaliers crurent qu'en le prévenant ils le difpoferoient en leur faveur. Ainfi le 27 de mai, quinze des principaux, entr'autres le Maréchal, le Précepteur, le Drapier, le Tréforier & le Turcopolier, au nom de ceux qui compofoient la garnison de Nimoce, allerent à Nicofie, fe préfenter au Gouverneur, un jour que le Palais royal étoit rempli d'une foule de monde, tant du Clergé que de la Nobleffe & du Peuple: cette conjoncture étoit favorable aux Chevaliers, pour rendre le Public témoin de leur foumiffion, de leurs plaintes, & même de leur défense, si on venoit à les détra&er. On ne dit pas s'ils le furent autrement que par le Pape, ni ce qu'ils répondirent pour se justifier, mais feulement qu'ils témoignerent, pour les ordres de Sa Sainteté,

JACQUES DE
MOLAI.

1308.

JACQUES DE
MOLAI.

1308.

toute la déférence qu'on pouvoit attendre d'eux, & que, par refpect pour le Saint-Siége, ils fe foumirent d'une maniere édifiante à tout ce qu'il plairoit au Gouverneur d'ordonner touchant leurs biens leurs perfonnes, & tout ce qui en dépendoit (1). Mais le fruit qu'ils recueillirent d'une démarche auffi prudente, fut de fe voir tous défarmés, éloignés de leurs maifons, gardés féparément, & privés de l'administration de leurs biens. Cet événement, que l'Abbé Fleuri rapporte au mois de mai de 1307, n'en peut pas être, puifque, de son propre aveu, Haïton étoit encore alors à Poitiers (2).

Almeric, qui avoit befoin du Pape, ne tarda pas à lui rendre compte de fa conduite. « J'ai abandonné, lui dit-il, toute autre » affaire pour procéder à un inventaire de leurs biens, tel que " vous me l'avez demandé, & j'efpere vous l'envoyer au plutôt ; » il ne m'a pas été poffible de me rendre maître, en un feul jour, » de leurs perfonnes & de leurs biens, felon que vous l'aviez or» donné, d'autant qu'ils étoient informés de tout, & fur leurs gardes, "long-tems auparavant : fans cela, vous auriez été obéi à la lettre ». Ce dévouement d'Almeric aux ordres du Pape ne furprend plus, quand on fait attention à ce que nous avons dit ailleurs, & combien il étoit difficile à la maison de Lufignan de se maintenir dans la poffeffion de l'ifle de Chipre fans le fecours du Saint-Siége. Almeric le reconnoît ingénument en finiffant ainsi sa lettre : « Au reste, jo "recommande très-inftamment à Votre Sainteté ma perfonne & »ce Royaume, fitué au milieu d'une nation perverfe, vous fuppliant " avec toute la foumiffion poffible de ne point perdre de vue la dé" fenfe & la confervation de cette ifle; car de long-tems on n'a "vu appareil de forces navales auffi formidable que celui que les "Musulmans ont fur pied. J'ai grand soin de m'informer de toutes » leurs démarches; & plus je les examine, plus je trouve de fujets "de craindre".

(1) Baluzius, vita Papar. Avenionenf. zom. 2. colum. 104 & IOS.

(2) Hiftoire Eccléfiaft., tom. 19, pag. 120

& 133.

- Almeric ne jouit pas long-tems du plaifir d'avoir humilié les Templiers, malgré les précautions qu'il prenoit pour fe conferver, aux dépens de fon frere, un Gouvernement dont il avoit fi long-tems goûté les douceurs : il fut trouvé mort dans fon cabinet, & percé de dix coups de poignard, que lui avoit donnés Simonet du Mont, fon Favori. Nous avons vu comment l'avidité de ce Prince, & l'incapacité de son frere pour le gouvernement, furent caufe des troubles excités en Chipre ; & c'eft fe moquer de nous, de dire que « les "Templiers, naturellement fiers & hautains, fomenterent le mé» contentement des Chipriots contre Henri; qu'Almeric n'en fut » que le chef muet, & que le Grand-Maître des Hofpitaliers ne » prit aucune part à tous ces mouvemens". Qu'on prenne la peine de lire l'endroit de Sanut où il eft parlé de cette révolte, on n'y trouvera pas un mot des Templiers, mais feulement que les Vaffaux, les Grands du Royaume & quelques Chevaliers, étoient opposés au Roi leur Souverain; que des Prélats & Religieux, les uns fuivoient le parti d'Almeric, les autres celui de Henri. Si l'Abbé de Vertot eût confulté Rainaldi, il auroit vu que les Templiers ne furent pas plus attachés à l'ufurpateur que les Hofpitaliers. Quand de Molai fut contraint d'attefter qu'Almeric ne s'étoit chargé du gouvernement que par force, par néceffité, & pour l'utilité même de fon frere & de fon confentement, le Grand-Maître de l'Hôpital en fit autant: & ce qu'il y a de vrai, c'est que l'un & l'autre y furent forcés par l'ufurpateur, les armes à la main, durant le tumulte. Si Bofio ou Pentaléon racontent les chofes autrement, il faut les abandonner (3). Il eft certain que les Chevaliers, détenus en Chipre, n'y furent pas poursuivis à outrance; qu'Almeric, & enfuite le Roi Henri, ne les crurent pas tels qu'on les leur avoit dépeints, puisqu'il y en avoit encore fous le pontificat de Jean XXII, comme nous le verrons ailleurs.

JACQUES DE
MOLAI.

1308.

(3) Sanut., lib. 3, part. 13, cap. 11. Rainald., ad annum 1308, n. 37.

Hiftoire de Malte, in-4., pag. 449, 450.

« AnteriorContinuar »