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L'ISLE DES PEUPLIERS

n. 9 promenade agréable vous conduit à l'endroit où la vallée s'élargit un peu.

Sur une éminence escarpée qui se présente en face, on a construit au milieu des bois un hermitage: jamais situation ne fut plus favorable & mieux choifie pour un lieu confacré à la retraite & à la folitude.

Laiffez sur la droite le sentier qui monte à l'hermitage; celui qui traverse le pont vous mène fur le bord du lac, en face de l'île des peupliers; mais c'est un peu plus loin, au banc des mères de famille, qu'il faut s'arrêter, pour faifir ce tableau dans tout fon ensemble.

On ne peut se défendre d'un fentiment de vénération, en apercevant le tombeau de J. J. au milieu des peupliers. Ce monument imprime un grand caractère à tout le pas fage. Quel est le cœur sensible qui refuseroit quelques larmes à la mémoire d'un homme dont les Ecrits lui ont fait paffer d'aussi délicieux inftans? Ceux qui, comme moi, ont eu le bonheur de connoître J. J. Rousseau, lui en doivent bien davantage. Il étoit impossible de n'être pas tendrement attaché à cet homme fi bor, fi aimant, & fur-tout fi sensible. Mais je sens qu'il faut m'arrêter: j'ai promis au Public un Itinéraire d'Ermenonville, & BOR point l'expression des sentimens d'attachement & d'enthousiasme que renouvelle dans mon cœur tout ce qui me rappelle le fouvenir d'un homme que j'ai pleuré fi souvent.

La fraîcheur, la variété du coloris, les rayons animés du soleil, le ramage des oiseaux donnent à la nature, pendant le jour, un air de gaîté, qui ne convient point à ce tableau: on aime à la voir en deuil après la perte de fon amant. Si vous voulez jouir de tous les charmes de ce lieu, venez le contempler dans le filence d'une belle nuit. Regardez la lune qui s'élève derrière l'amphithéatre des bois; sa lumière pâle & argentée éclaire le monument, & fe reflète dans les eaux tranquilles & tranfparentes du lac ; cette elarté fi douce, jointe au calme de toute la nature, vous dispose à une méditation profonde. C'est à vous, amis de Roufseau; c'eft à vous que je m'adresse; vous seuls pouvez fentir le charme attendrissant d'une pareille Situation. Dans ces lieux folitaires rien ne peut vous distraire de l'objet de votre amour: vous le voyez; il est là. Laiffez, faiffez couler vos larmes, jamais vous n'en aurez verfé de plus délicieuses & de mieux méritées.

> Ces quatre vers font gravés sur le banc des mères de famille.

De la mère à l'enfant il rendit les tendreffes,

De l'enfant à la mère il rendit les caresses;
De l'homme, à sa naissance, il fut le bienfaiteur,
Et le rendit plus libre, afin qu'il fût meilleur.

Sur une grande pierre couchée au pied d'un saule voisin, vous trouvez l'infcription suivante :

Là, sous ces peupliers, dans ce simple tombeau
Qu'entourent ces ondes paisibles,

Sont les restes mortels de Jean-Jacques Rousseau.
Mais c'est dans tous les coœurs sensibles

Que cet homme si bon, qui fut tout sentiment,
De son ame a fondé l'éternel monument.

Je vais donner une description d'autant plus exacte du monument, qu'on ne permet plus à personne d'en approcher (1).

(1) M. de Gérardin laissoit autrefois à tout le monde la liberté d'aller à l'Ile des Peupliers. Bientôt on en abufa, pour écrire des horreurs fur le tombeau; on essaya même d'en mutiler les sculptures; ce fut là l'époque où il fit défendre aux conducteurs de mener fur l'Ile. Il n'y a point de semaines où l'on ne soit obligé de raccommoder des grilles forcées, & où l'on ne surprenne des gens qui s'amufent à détruire, pour le seul plaisir de faire le mal: ce qui pourroit forcer M. de Gérardin d'interdire l'entrée de ses jardins au Public, qui ne respecte pas des lieux livrés à sa bonne foi.

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