fonds de sable, des rochers couronnés de pins, une grande étendue d'eau, des genevriers aussi vieux que le monde, des forêts, des montagnes à l'horizon se perdant dans la vapeur. L'abbaye de Chaalis, aperçue dans le lointain, semble avoir été placée exprès pour achever de donner un caractère mélancolique à ce pays, dont l'aspect sauvage n'a pourtant rien d'effrayant. Dans ce lieu, la main de l'homme auroit profané la Nature; il falloit se contenter d'en jouir, de l'admirer, & fur-tout n'y rien changer; des sentiers semblables à ceux des chaf seurs, pour amener dans les points de vue les plus intéressans, voilà tout ce qu'il falloit y faire. Le propriétaire d'Ermenonville a donné trop de preuves de goût dans la composition de ces jardins, pour ne l'avoir pas senti; aussi cette partie du parc est-elle unique dans le monde. Elle forme une oppofition fr fingulière avec le pays que vous avez traversé, qu'on s'y croit transporté par un art magique. Parcourons-en les détails, quelques vues en donneront une légère idée; car la Peinture ne peut qu'être bien imparfaite auprès d'un pareil modèle: il est des situations que le pinceau ne peut rendre. L'orme heureux qui est tout près de la ca hutte du Charbonnier, offre une vue fi bien composée, que je lui ai donné la préférence dans la quantité que j'aurois pu choisir: beaucoup de gens instruits, en lifant fur cet arbre, Le voici cet orme heureux où ma Louise a reçu ma foi, se sont rappelé l'ariette du Déferteur; ils ont effacé ma foi, pour y substituer mes vœux. Le sentier que vous suivez traverse un petit bois de pins, & conduit sur une hauteur où est pratiquée une grotte cintrée foutenue par un pilier. On y lit ces quatre vers gravés sur le roc : Vois-tu, passant, cette roche creusée ? Cette grotte, ou plutôt ce banc couvert, présente un asile commode pour jouir de la fuperbe vue que l'on découvre de la roche Joseph. Si l'on me reprochoit de ne l'avoir pas fait graver, je répondrois qu'elle étoit trop étendue pour être réduite dans un aussi petit format; d'ailleurs les vues à vol d'oiseau, qui produisent souvent un effet agréable par leur immenfité & leur variété, sont ordinairement très-ingrates en peinture, où la muluplicité des détails nuit à l'effet général. Je demandai à mon conducteur, avant de quitter cet endroit, l'explication des vers de l'inf cription. Il me dit que l'Empereur étant venu voir Ermenonville, la pluie l'avoit furpris dans ce lieu, & qu'il s'étoit mis à couvert sous cette grotte; c'est depuis ce temps qu'elle est appelée la roche Jofeph; & M. de Gérardin a voulu consacrer ce petit événement par ces quatre vers. J'avoue que je fus fâché que cet hommage à Jofeph II vînt troubler dans mon esprit l'idée d'égalité que l'aspect d'un désert y avoit fait naître. En suivant le sentier tracé à mi-côté, vous trouvez écrit sur un tronc de genevrier : Sentier des Peintres. Que tous ceux qui n'ont rien senti en parcourant l'enclos de la forêt, qui n'ont rien éprouvé lorsque le tableau du Défert s'est présenté à eux dans tout fon développement, enfin que ceux qui ne font venus ici que pour pouvoir dire, & mor aussi j'ai vu Ermenonville, s'arrêtent là. Que gagneroient-ils à poursuivre ? Rien. En defcendant la montagne, ils arriveront à la maison de Jean-Jacques par un chemin plus court & plus facile, & n'en auront pas moins vu Ermenonville. Mais que ceux qui cultivent les arts ou qui en ont le sentiment |