Des écrits où l'on examine fi Pon peut faire des Poëmes en profe: &fur la Rime. Ous êtes maintenant inftruit " Vfinon de tous, au moins des prin- ECRITS SUR cipaux écrits faits en notre langue fur LA RIME. la poëfie en géneral, & fur les différens genres de poëme. On a fait, & aujourd'hui encore l'on fait deux queftions qui ont rapport au même fujet. La premiere, fi la verfification eft ef fentielle à la poëfie : la feconde, si dans notre poëfie Françoise on peut fe paffer de la rime. Comme ces deux queftions rentrent en quelque forte l'une dans l'autre, prefque tous les écrits où il s'agit de la premiere, traitent auffi la feconde; ce qui fait que je ne mettrai guéres entr'eux d'autre divifion que celle que l'ordre des tems où ces écrits ont été compofés, y a mis luimême. La profe & la poëfie ont eu chacune de tout tems des partifans & des apologistes. Mais je ne connois point d'ouvrage où l'on ait examiné la pré ECRITS SUK férence de l'une fur l'autre avant le LA RIME. Mont-Parnaffe de Pierre de Brefche, imprimé à Paris en 1663. in-4°. L'Auteur s'y déclare pour la poëfie: mais fon livre eft oublié depuis longtems, & il faut avouer qu'il mérite peu qu'on en rappelle le fouvenir. Nous avons eu depuis le commencement de ce fiécle plufieurs écrits plus dignes de notre attention, tant par le mérite perfonnel de leurs Auteurs, que par les raisons que chacun apporte en faveur de fon fentiment. l'Acad. les tom. 6. Mém. de Je commence par la differtation de belles lettr. M. l'abbé Fraguier qui fut lûë l'onziéme d'Août 1719. dans l'Académie des infcriptions & belles lettres. L'Auteur y foutient, qu'il ne peut y avoir de poëmes en profe. Pour le prouver, il pose d'abord quelques principes que perfonne ne conteste; que dans le vafte champ des lettres humaines, dans l'héritage des beaux arts, chaque portion de cet héritage a fes bornes; que l'intelligence qui les anime tous, & qui leur donnant la fécondité, préfide à leurs différentes productions, préfide en mêmetems à la confervation des limites qu les féparent; qu'on ne peut les ôter de leurs places, fans troubler l'ordre, fans jetter la confufion où doit regner la ECRITS SUR tranquillité. De ces principes, il tire cette conféquence: Que fi les perfonnes d'efprit qui dans les poëmes mettent la profe à la place des vers, euffent confideré mûrement la nature & les fuites de leur entreprise, ils fe feroient contentés d'exceller dans les vers & dans la profe fans remuer la borne éternelle qui les fépare effentiellement. Mais comme on ne doit condamner perfonne fans l'entendre, M. l'abbé Fraguier examine fur quoi fe fondent ceux qui préferent la profe aux vers dans les poëmes, & qu'il accufe pour cela d'innovation. II réduit toutes leurs raifons à celles-ci: que le Poëte dont tout l'art confifte à imiter & à peindre, trouvera dans la profe, & y trouvera plus abondamment que dans les vers, tout ce qu'il lui faut pour peindre & imiter: Que par conféquent, fans affervir la liberté de fon génie à la contrainte du vers, qui donne toujours des bornes trop étroites à l'imagination, il arrivera au but de fon art, & & que fes compofitions, quoiqu'en profe, ne laifferont d'être d'excellens poëmes. fon pas LA RIME. LA RIME. Pour répondre à ce raisonnement, ECRITS SUR M. l'abbé Fraguier dit : Que le Poëte par fa nature n'eft pas feulement imitateur, de forte qu'il ait le choix libre des moyens qu'il employe pour imiter, qu'il eft de plus affujetti à se servir des vers pour faire fon imitation. Les raifons, les voici c'est que comme le Peintre imite avec les couleurs, le Muficien avec les fons, le Poëte doit met tre en œuvre certains mots choifis dont l'union différente dans une mefure invariable, produit une modulation variée à l'infini; ce qu on appelle vers: Que c'est pour cela que le Poëte a des mefures & des nombres pour toutes fortes d'imitations, & que chaque fujet en général demande la forte de vers qui lui convient Que l'on ne doit point s'écarter de lá méthode que l'on a commencé de prescrire, chaque art ayant fes regles, fa méthode, qu'il faut fuivre & obferver: Qu'enfin ce n'étoit point par des odes en profe qu'Orphée adouciffoit les tigres & les lions, ni qu'Amphion élevoit les murs de Thébes. J'ai de la peine à croire que M. l'abbé Fraguier fût bien touché de cette derniere raison : il peut être vrai qu'u ne ode en profe n'auroit ni le feu, ni l'enthoufiafme qu'exige ce genre de poë LA RIME. fie mais les deux faits fur lefquels il ECRITS SUR appuye cette raison, étant fabuleux que prouvent-ils ? A ces quatre raifons, l'Auteur ajoute: que quelque éloquence que l'Orateur ait eu, jamais on ne l'a fait l'interprête des Dieux, & que l'on ne peut avilir davantage la poëfie que de la faire parler en profe. Mais c'eft ce qui est en queftion : & je ne vois point que M. Fraguier montre cet aviliffement de la poëfie,lorfqu'elle parle en profe. Il ne fuffifoit pas de dire: que fi l'on admet une fois la profe dans l'ode, la fureur poëtique & l'enthousiasme s'éclipseront; que ce beau naturel, ce génie divin ce riche talent d'harmonie qui, felon Horace, fait le Poëte, n'appartiennent qu'au Poëte qui parle en vers : les apologiftes de la profe nient ces propofitions générales; il falloit prouver qu'ils ont tort. Il est vrai que le favant Académicien ne fe diffimule ni les objections qu'on peut lui faire, ni les exemples qu'on peut opposer à ceux qu'il apporte mais fes réponses ne me fatisfont pas entiérement: il étoit capable de mieux manier ce fujet. : Je me donnerai bien de garde ce |