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de s'élever beaucoup, qu'il faut reconnoî- Malherbe tre que jamais homme ne modera la chaleur de fon efprit avec plus de jugement, & ne mérita mieux la qualité d'excellent Poëte Lyrique (2).

Mr. l'Abbé Ménage n'a point été d'un fentiment different de celui des deux Prélats que nous venons de rapporter. Il dit (3) que la jufteffe des penfées de Malherbe, la nobleffe de fes expreffions, la variété de fon ftyle, & fur tout ce je ne fai quoi, qui fe voit, qui fe fent, & qui ne fe peut exprimer, lui donnent le premier rang parmi les Poëtes François.

Quoique Malherbe ne fe foit pas rendu Pidolâtre ni l'efclave des Anciens comme avoient fait Ronfard, du Bartas, du Bellay & les autres, il n'a point laiffé de pren dre leur ordre & leur artifice, & il a encheri même fur leurs penfées, & les a mifes au goût de notre nation fans keur faire perdre aucune de leurs graces. 11 s'eft enrichi de leurs dépouilles, il s'eft paré de leurs ornemens, mais avec tant d'adreffe, qu'il faut avoir bonne vue pour les diftinguer d'entre ceux qui font à lui. En un mot i les a pris pour fes guides, jugeant fans doute que pour être capable de produire quelque chofe d'excellent, it en faut prendre les femences dans les livres de ces Anciens, les lumiéres des Modernes auprès des leurs ne pouvant paffer

Pédition de Malh. par M. Ménage.
3. Gill. Ménage, Préface fur les Ouvrages de Malë
herbe avec fes Obferv.

Malherbe. paffer fouvent que pour de véritables ténébres dans ces fortes d'éxercices où ils ont été nos Maîtres.

Auffi Mr. de Balzac nous apprend-il que Malherbe les imitoit fort volontiers; mais il ajoute (1) que fes imitations ne font pas violentes, qu'elles font fines & adroites, & qu'il ne gâte point les inventions d'autrui en fe les appropriant. Ce qui n'étoit que fimplement bon dans le lieu de fon origine, dit-il, devient meilleur dans Malherbe par le tranfport qu'il en fait. Il va prefque toujours au-delà de fon éxemple, & dans une Langue inférieure à la Latine, fon François égale ou furpaffe le Latin.

Mais il n'y a perfonne parmi tous ces Anciens qu'il ait plus heureufement imité qu'Horace dont il a parfaitement reprefenté le génie & le caractére dans fes Odes & dans fes Stances, qui méritent auffi le nom d'Odes, puifqu'elles femblent avoir été faites pour être chantées (2). Et ce n'eft point le flater de dire, que fous prétexte de vouloir imiter un ancien Poëte, il l'a furpaffé en divers endroits comme l'ont remarqué Mr. de Balzac, Mr. Ménage & quelques autres Critiques (3). On peut dire auffi qu'on lui trouve l'esprit

1.

Jean L. Guez de Balzac, Entretien xxxı. pag. 319. de l'édit. in-12. d'Hollande.

2. Godeau, Difc. Balzac pag. 319. de fes Entr. Ménage & divers autres Critiques François de ce fiécle.

3. Entretiens de Balzac de la comparaison de

Rou

prit de Seneque en divers endroits; il l'a- Malherbe, voit beaucoup étudié & traduit même en notre Langue, c'est ce qui lui avoit rendu fes fentimens plus familiers, & qui a contribué beaucoup fans doute à rendre fa Poëfie fi touchante, fi animée & fi confolante lors qu'il parle de la mort ou des adverfités de la vie. Enfin Malherbe n'a pas dédaigné même d'imiter les Modernes, parmi lefquels Mr. Colletet a remarqué quelques Italiens & quelques Espagnols (4). Mais il en ufoit partout avec fon choix & fa difcretion ordinaire; de forte qu'il n'étoit pas moins le Maître de fes Auteurs que de fon Art, & l'on peut dire qu'il a fait plus d'honneur aux Auteurs qu'il a imités qu'il n'en a reçu de fecours. Je n'en excepterois pas même le Stace Auteur de la Thebaïde, s'il étoit bien conftant que Malherbe fe le fût prò pofé comme un modéle qu'il eût voulu fuivre. Mr. de Racan fon ami & fon disciple l'a dit dans les Memoires qu'il a Paiffés pour faire fa Vie. Mr. Ménage nous l'a confirmé dans fes Obfervations, & il en rapporte deux éxemples dans fes Additions & fes Corrections. Cependant Mr. Mofant de Brieux écrivant à Mr. Turgot de Saint Clair nous fait affés con

2

noître

Ronfard & de Malherbe. Observat, de Ménage pag. $41. &c.

4. Guillaume Colletet au Difcours de l'Eloquen ce & de l'imitation des Anciens pag. 33. 34. à la fin de fon Art Poëtique &c.

1. Colletet dans l'endroit cité ne nomme aucun Auteur. Efpagnol que Malherbe ait imité

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Malherbe, noître que la chofe a peu de fondement. Le caractére de Malherbe, dit cet Auteur, eft éloigné de celui de Stace autant que le Ciel l'eft de la Terre, & il n'est pas aifé de comprendre comment Mr. de Racan a pû dire (1) que notre Poëte François faifoit de ce Poëte Latin fon modéle & fes délices. L'un eft Poëte Lyrique, l'autre eft Poëte Heroïque; l'un jouë du luth l'autre bat le tambour. Malherbe eft doux & réglé; Stace eft emporté & violent. Le premier eft une riviére qui coule paisiblement dans fon lit; le fecond eft un torrent qui fe précipite parmi les rochers. Celui-là eft animé d'un feu pur & tout céleste, continue l'Auteur; celuici, dit Scaliger, eft un furieux & un phrénétique. Ce n'eft pas que Stace n'ait fes charmes, mais fes beautés & celles de Malherbe font toutes différentes, car l'on voit en celui-ci un vifage ferain, & une Majefté douce & tranquile; au lieu que Stace n'a rien que de terrible, & qu'il a mis tous fes charmes dans un certain air belliqueux & plein de fierté.

Il eft donc hors d'apparence que Malherbe eût voulu choifir Stace pour fon Maître

1. . Il l'a dit parce qu'il favoit la chofe d'original. Malherbe trouvant dans Stace plufieurs de ces penfées brillantes qu'aime la Poëfie Françoife, pouvoit fort bien les habiller à la Françoise, & fe les approprier par le tour. C'est par cette même raifon que le Grand Corneille préféroit Lucain à Virgile.

2. Mofanti Epift. ad calcem 2. partis Poëmatum pag. 109.

3. ¶. Pierre le Petit en 1671, imprima un Recueil

Maître & fon Directeur, & quoiqu'il ne Malherbe fe foit point borné à un feul Auteur pour s'en faire un éxemple à fuivre, on peut dire après Mr. de Brieux qu'Horace étoit. fon unique Patron & le feul modéle fur lequel il vouloit fe former. C'étoit, ditil, l'ami du cœur de notre Poëte, il ne fe contentoit pas de l'avoir dans fon cabinet, il l'avoit encore fous le chevet de fon lit, fur fa toilette, aux champs, à la ville, & il l'appelloit ordinairement fon Bréviaire, comme le racontoft fouvent Mr. de Grentemefnil qui l'avoit connu particuliérement (2).

C'est donc principalement à Horace que Malherbe étoit redevable de ce qu'il avoit acquis hors de fon propre fonds. Mais outre l'avantage qu'il a eu quelquefois fur fon Maître, on peut dire qu'il y a une gloire qui lui eft propre & particuliére, à laquelle les étrangers ou ceux qu'il a pu imiter n'ont point eu de part. C'est celle qui fait la diftinction & la différence effentielle de fa Poëfie d'avec celle de tous

les autres. Mr. de Breves, ou u Mr, de la Fontaine (3) nous marque affés bien cette différence (4). Elle confifte, dit-il, en trois

de Poëfies Chrétiennes & diverfes en 3. vol. in-12. Meffieurs de Port-Royal, qui fous le nom de Lucile Hélie de Bréves avoient fait ce Recueil, y mirent une Préface. La Fontaine le dédia au Prince de Conti par une trentaine de vers, & y ajouta en profe l'Avertiffement qui fuit la Préface.

4. Avertiffement, mis à la tête du Recueil de Poë fies Chrétiennes & diverfes, fait par de la Eontains ou de Breves in-12,

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